Les ambigüités du Web médecin

Le fichier de la Police Nationale française ayant pour utilité de répertorier les personnes susceptibles de porter atteinte à l'ordre public, répond aujourd’hui au prénom affectueux d’« Edwige ». Il n’est cependant pas sans rappeler que celui-ci a par le passé, défrayé la chronique et fait enfler le concernant une polémique Homérique. Les débats houleux qui s’en sont suivi ont été fortement relayés par les médias de tous rangs.
Un autre fichier sensé contenir des données à caractère personnel, semble - quant à lui - poursuivre en toute quiétude son bonhomme de chemin. Il parait se faufiler subrepticement dans notre quotidien… Ce fichier encore méconnu pour beaucoup, a pour devanture une interface Web. Ce portail Internet est dénommé le « Web médecin ».Il est vrai que le dispositif « Web médecin », a - contrairement au fichier « Edwige » - eu l’élégante courtoisie de s’armer de beaux atouts. Au prix d’un troublant silence et d’une communication volontairement minimaliste, il a - convenons en -, évité de se voir qualifier par les journalistes de ‘’Fichier’’. Un tel qualificatif aurait, pourrait-on penser, eu l’effet non désiré d’attirer sur lui les projecteurs transgressifs de médias en mal de sensationnel. Bien évidemment, en l’absence d’information il est aisé d’éviter l’éveil de quelques consciences, d’avertir le plus grand nombre de bénéficiaires de l’Assurance Maladie, quant à l’existe d’un tel dispositif, et au-delà, renseigner sur le bien fondé présumé de son utilisation.
Au milieu du mutisme des grands médias nationaux, surnage l’article de la journaliste Cécile Prieur. Paru dans ‘’Le Monde’’ le 11 février 2006 « Un autre projet : le "Web médecin" ». Cet article à défaut d’être exhaustif a néanmoins le mérite d’avoir traité l’information que constitue l’avènement du dispositif « Web médecin ». Rédigé il y a bientôt trois ans, cette brève nous renseigne subtilement sur ce fameux fichier, ou listing devrait-on dire pour se conformer à la rhétorique bien pensée de l’article.
A la lecture de cet article, apparaissent sept informations majeures :
- Le projet « Web médecin » a été préparé par la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM) « en toute discrétion »,
- le dispositif « Web médecin » se présente comme un listing de la nomenclature des actes médicaux,
- la CNAM assure que le dispositif ne fera pas doublon avec le Dossier Médical Personnel (DMP),
- la CNAM décrit « Web médecin » comme « un outil synthétique et facile d'accès, disponible immédiatement »,
- des garanties de confidentialité seront assurées par un accord explicite donné par le patient quand il remettra sa carte Vitale à son médecin traitant,
- d’après la CNAM toujours, le patient sera suffisamment informé des enjeux que constitue « Web médecin »,
- concernant le dispositif, la CNAM assurera le lancement d'une campagne d'information auprès des patients.
En y regardant de plus prêt, les informations contenues dans l’article de Céline Prieur, - bien qu’empruntes de véracité -, celles-ci semblent pouvoir être mises en doute. Sous l’éclairage de la description de « Web médecin », ainsi que des multiples recommandations et retenues le concernant, peuvent être contredit les propos de la CNAM utilisés pour la rédaction du fameux article.
Prévu par la Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à la réforme de l’assurance maladie et plus précisément par le Décret n°2006-143 du 9 février 2006 concernant les modalités d’accès des médecins aux données relatives aux prestations servies aux bénéficiaires de l’Assurance Maladie, (décret lui même modifié le code de la sécurité sociale (deuxième partie : Décrets en Conseil d’Etat) et notamment ses articles L. 161-31, L. 161-33 et L. 162-4-3), le « Web médecin » est un service en ligne (accès Internet) qui permettra à terme à tous les médecins le désirant, de consulter les remboursements et les indemnités journalières dont ont bénéficié leurs patients dans les douze derniers mois.
L’historique des remboursements récapitulera, dans un ordre chronologique inversé, toutes les prises en charge en médecine de ville ou en établissement de santé, à savoir les prescriptions d’indemnités journalières et de transport, les médicaments et autres produits de santé délivrés, « les soins médicaux, chirurgicaux, dentaires, analyses et examens biologiques (...), les soins infirmiers et de rééducation fonctionnelle, y compris les actes et traitements à visée préventive ». Le service « Web médecin » ne contiendra aucune information relative à l’identification des professionnels de santé prescripteurs. Le « Web médecin » peut être défini un système d'accès à des données à caractère médical issues du fichier de la CNAM. L’utilisation du service « Web médecin » par un praticien lors de la visite d’un patient doit obligatoirement être subordonné au consentement de celui-ci quant à la consultation de son historique des remboursements médicaux.
La protection informatique de l’historique des remboursements médicaux, sera réalisée à l’aide d’un cryptage des données issue du fichier de la CNAM et à l’utilisation combinée de la carte Vitale du patient et de la Carte du Professionnel de Santé (CPS) du praticien à chaque connexion du praticien au portail Internet « Web médecin ». Il est à préciser que le dispositif  est en phase d’expérimentation dans quatre départements (Alpes-Maritimes, Yvelines, Seine-Saint-Denis et Val-d’Oise. Une généralisation était annoncée par la CNIL pour juillet 2007.
Alors qu’aujourd’hui encore, l’état d’avancement du déploiement de « Web médecin » demeure une inconnue, il convient de noter que de nombreuses recommandations - pour ne pas dire mises en garde - furent émises à son sujet par diverses instances. La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) dans un premier temps fit deux recommandations importantes. Première recommandation : bien que considérant les conditions de sécurité des accès au « Web médecin » comme satisfaisantes, la CNIL a toutefois recommandé que chaque médecin utilisant ce service, soit doté d’un antivirus et d’un pare-feu mis à jour régulièrement, afin de réduire les risques d’intrusion sur son ordinateur… Deuxième recommandation - et pas des moindres -, la CNIL a souligné le caractère primordial de l’information des patients. Elle estime indispensable que l’information diffusée auprès des patients par voie de plaquettes et d’affichettes dans les cabinets médicaux, permette de distinguer sans ambiguïté les différentes opérations qui sont susceptibles d’être réalisées avec la carte Vitale (télétransmission et accès à l’historique des remboursements).
Toujours, d’après la CNIL, seule une information claire et complète sur ce point est de nature à garantir l’effectivité du consentement des patients à la consultation de leur historique des remboursements.
De façon plus générale, la Commission semble se préoccuper de l’articulation future du « Web médecin » avec les différents dossiers accessibles via Internet qui se développent de façon concomitante mais obéissent à des régimes juridiques distincts comme le Dossier Médical Personnel (DMP) et le Dossier Pharmaceutique. Le Conseil national de l'Ordre des médecins estime quant à lui indispensable qu’un certain nombre de garanties et de précisions soient apportées au dispositif « Web médecin » et qu’une évaluation de sa mise en œuvre soit rapidement menée. De nombreux praticiens s’inquiètent quant à eux du fait que le « Web médecin » ne permette pas à ce jour aux patients de faire valoir leurs droits au masquage d’informations qu’ils voudrait garder confidentielles. Sans possibilité de s’y opposer, dévoiler ce type d’informations à son médecin traitant pourrait éveiller chez certains patients des sentiments de culpabilité. Dans des contextes parfois angoissants de la maladie, il est vraisemblable d’imaginer que cela pourrait concourir à nuire à la relation médecin-malade dans son ensemble. Pour d’autres praticiens, les informations contenues dans « Web médecin » ne sont pas assez exhaustives ni suffisamment structurées, pour être utilisables. Elles peuvent même soulever des questions, tant sur le plan juridique que médical…De plus, la mise en œuvre de « Web médecin » peut soulever la question d’une concurrence ambiguë avec le DMP. Difficile d’expliquer à un patient que l’accès au « Web médecin » peut être librement refusé, alors que le refus de donner accès au DMP pourra entraîner un moindre remboursement de l’Assurance maladie.
Seul le bénéficiaire des soins peut donner son accord à l’accès au « Web médecin », pourtant bon nombre de patients estiment qu’une fois la carte Vitale remise à son médecin traitent, il devient difficile de refuser son consentement à l’utilisation d’un tel dispositif. Par ailleurs, pour certains praticiens, le consentement du patient est ‘’réputé obtenu’’ par l'utilisation de sa carte Vitale et non pas au travers d’une information du patient de l'objet et des conditions de cette procédure. Ainsi, au travers de la description de « Web médecin » et des différents avis le concernant, apparaît un dispositif beaucoup moins innocent que semble vouloir le décrire la journaliste Cécile Prieur. Sous l’appellation « Web médecin » se cache en fait bel et bien une architecture informatique de stockage d’informations confidentielles accessible par certains professionnels de la santé. Cette architecture semble souffrir d’un point faible : Elle expose le médecin à des risques d’intrusion sur son ordinateur. La mise en œuvre de cette application Internet à haut débit n’est pas si facile. Elle nécessite un accès ADSL, un ordinateur doté d’un antivirus et d’un pare-feu mis à jour régulièrement. Ces contraintes techniques peuvent limiter le nombre d’utilisateurs potentiels compte tenu de la complexité technique et du coût qu’elle engendre - d’autant qu’aucune indication renseigne sur qui va supporter le coût de sa mise en œuvre.
La description du dispositif en question permet de proscrire le qualificatif de ‘’Listing’’ au profit de celui de ’’Ficher’’. Cela rend « Web médecin » névralgique d’un point de vue informationnel. Pour les professionnels de la santé, la tentation est grande d’utiliser à terme « Web médecin », comme un dispositif complémentaire au DMP alors même que ceux-ci obéissent à des régimes juridiques distincts. Contrairement à ce qu’assure la CNAM dans l’article de Cécile Prieur, les garanties de confidentialité sont limitées. Elles tendent à ce faire par le biais d’un accord implicite - et non par un accord explicite - donné par le patient lors de la remise de sa carte Vitale. Ces deux éléments combinés font que le patient est rarement informé des enjeux que constitue un tel dispositif. L’absence de bilan de la phase d’expérimentation, le silence qui règne autour du dispositif « Web médecin » ne sont pas des éléments rassurants quant au lancement d’un dispositif de campagne d'information. Il serait pourtant essentiel de clarifier les choses afin d’éclairer les bénéficiaires de l’Assurance Maladie sur leurs droits et devoirs en la matière.

Sources :
http://www.lemonde.fr - Un autre projet : le « Web médecin »
Article publié le 12 Février 2006 - Par Cécile Prieur
http://www.conseil-national.medecin.fr/?url=actualite/article.php&id=30 - Mars 2006
Le Quotidien du Médecin du : 02/03/2006 - http://www.quotimed.com/
http://www.association-samba.org/Web-medecin-un-flicage-inutile-et.html - Juillet 2007
http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-web-medecin-historique-des-actes-sous-controle-23710.html - Août 2007
http://www.service-public.fr/actualites/00640.html - Octobre 2007
http://www.morphee.biz/article-299477.html - Avril 2005
D’après l’article « Pas de secret pour le ‘Web médecin’ » d’Agnès BOURGUIGNON paru dans Le Quotidien du Médecin le vendredi 22 avril 2005
http://www.securite-sociale.fr/comprendre/reformes/reformeassmal/decrets/maitrise/20060211.htm
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000790369&dateTexte= - Version consolidée au 11 février 2006
http://www.conat.net/SPIP/article.php3?id_article=147 - Février 2006
http://www.01net.com/editorial/356789/vos-depenses-medicales-accessibles-aux-medecins-sur-le-web/ - Août 2007
http://www.juritel.com/Liste_des_chroniques-1280.html
http://www.viva.presse.fr/La-Secu-etend-son-Web-medecin_8344.html - Août 2007
http://bulletin.conseil-national.medecin.fr/article.php3?id_article=25 - Mai 2006
http://www2.fulmedico.org/a/article.php?id_article=227 - Powerpoint Schéma architectural SI « Web Médecin » - Mars 2005.
http://74.125.39.104/search?q=cache:n4HAIjnUv6kJ:www.atoute.org/n/forum/showthread.php%3Ft%3D26250+web+medecin&hl=fr&ct=clnk&cd=3&gl=fr
http://www.service-public.fr/actualites/00640.html
http://www.cnil.fr/index.php?id=2257&news[uid]=493&cHash=c2d636fae1
http://www.conat.net/SPIP/article.php3?id_article=147
http://www.mgfrance.org/index.php?option=com_content&task=view&id=591&Itemid=856
http://www.impactmedecine.fr/index.php?display=resultat&searchArticle=oui&dateSearch=0&FT=web+medecin&x=9&y=6
http://www.msa.fr/front/id/msafr/S1120156495483/S_Publications-legales/S_Actes-Reglementaires/publi_Generalisation-dispositif-WEB-MEDECIN--Historique-des-remboursements-.html