L'inventeur de la raison d'Etat

Prélat, écrivain, stratège, homme politique… Les rôles joués par le Cardinal de Richelieu dans l’Histoire de France ont souvent amené à une mauvaise compréhension de la politique qu’il a conduite en Europe.

Evêque et conseiller du fervent Louis XIII et pourtant allié des protestants à l’extérieur pour contrer la maison espagnole qui a le soutien inconditionnel de l’Eglise, l’Eminence Rouge a souvent été réduite à un esprit fourbe et double. Cette théorie est évidemment trop simple pour être vraie. L’on traite ici de politique de puissance, de politique en premier lieu, et celle-ci, pour sa finesse, mérite que l’on explique les impératifs qui l’ont conduite. L’immixtion du religieux dans le domaine politique fait croire à une action opportuniste. Cependant, c’est une politique d’une modernité étonnante, qui avance la « raison d’Etat » au dessus de toute autre, qu’il faut saluer. Le début d’une dissociation entre la tiare et la couronne, qui tranche singulièrement avec le siècle précédent, passé à se battre pour la foi. « Qui fait ce qu’il peut, avec prudence, pour une bonne fin, fait ce qu’il doit.  » La fin justifie ses moyens et la cohérence profonde de l’œuvre de l’homme apparaît lorsque l’on comprend l’impératif de puissance qui a guidé ses pas.

Armand Jean du Plessis et la « raison de grandeur »


Deux grands domaines retiennent l’attention de la postérité : la défense de la foi catholique au sein du royaume et l’abaissement de la très catholique maison des Habsbourg à l’extérieur, dont les possessions, en Espagne, en Italie, dans l’Empire et aux Pays-Bas, menaçaient la France d’encerclement. Cependant, l’Angleterre et la Hollande figuraient aussi dans ses plans : la première au sujet de la mer, la seconde du commerce. Ce sont là les trois points principaux de la politique épiscopale, ceux qui s’alignent pour la puissance de la France en Europe et dans le monde.

Dans son action contre les Huguenots, il prit soin de séparer la question religieuse de la politique et ne s’attaqua en France, qu’aux privilèges civils des Protestants. Cette action est l’exact parallèle de celle menée contre la noblesse, et répondait à la nécessité de rétablir l’omnipotence royale sur le territoire français, afin, ensuite, de la porter en Europe. La souveraineté, pour être établie hors des frontières, doit être parfaitement établie en leur sein. Le parti Huguenot, trop soumis à l’Angleterre, représentait une atteinte à l’autorité royale et un danger pour la souveraineté de l’Etat.

L’inventeur de la « raison d’Etat » avait bien compris, après un siècle de Guerres de Religion, que la puissance ne s’obtenait qu’en sachant distinguer ce qui est à Dieu de ce qui revient à César. Ses objectifs étaient avant tout politiques et non pas fanatiques. La raison d’Etat était aussi celle de ses décisions et son attachement de ministre à la papauté ne dépassait pas la Vallée de la Valteline . C’est pour cette raison que le siège de La Rochelle ne doit pas être compris comme étant en contradiction avec sa politique étrangère. Après avoir affamé les Rochelais, il laisse la liberté de culte et l’égalité civile aux Protestants dans la paix d’Alès (1629). « Les diverses créances ne nous rendent pas de divers États; Divisés en la foi, nous demeurons unis en un prince au service duquel nul catholique n’est si aveugle d’estimer, en matière d’État, un Espagnol meilleur qu’un Français huguenot… ».

L’empire de Charles Quint n’est pas, comme on se plait à le dire, exactement mort avec lui : la solidarité qui règne entre les Maisons d’Autriche et d’Espagne enserre la France dans un inquiétant étau. L’impératif immédiat est de conserver un passage dans les Alpes, vers la riche Italie marchande et de sécuriser sa frontière nord-est afin d’empêcher l’empire de Charles Quint de se refermer sur le pays. Son alliance avec les princes protestants du Nord relève de ce même calcul de désenclavement. La grandeur et la puissance de la France ne pouvaient être garanties, asphyxiée comme elle l’était par la double couronne. Les guerres successives, auxquelles il aura eu tant de mal à décider le pieu Louis XIII, ont permis de prendre des places économiques de première importance telles Arras, le Roussillon, Perpignan, l’Alsace, l’Artois et quelques places fortes en Flandres et en Lorraine qui ont apporté une manne précieuse en ces temps de récession économique européenne, ainsi que d’affirmer la souveraineté française et sa puissance.

Enfin, il aura aussi été l’homme de l’expansion commerciale. Le désenclavement de la France lui permet de s’étendre en réseau en Europe et dans le vaste monde que l’on se dispute âprement à cette époque.
Ayant compris la nécessité de développer l’influence hexagonale dans tous les domaines, il entreprend de doter la France d’une puissance maritime. « Il n’y a royaume, a dit Richelieu à l’assemblée de 1626, si bien situé que la France et si riche de tous les moyens nécessaires pour se rendre maître de la mer; pour y parvenir, il faut voir comme nos voisins s’y gouvernent, faire de grandes compagnies… » . Protégeant les explorateurs , envoyant Tavernier en Perse, il signe des traités de commerce avec le Tsar, le Danemark, même avec le Maroc (1631), peuple les Terres Neuves et permet même que les gentilshommes pratiquent le commerce maritime sans risque de dérogeance , donnant à sa politique de puissance la tournure internationale nécessaire pour contrer les empires maritimes que sont l’Espagne, l’Angleterre et la Hollande. Prenant le titre de Grand Maître et Surintendant de la Navigation, il dote le pays d’arsenaux  pour assurer la sécurité des routes maritimes.

Le coût pour les populations d’une telle politique de puissance a laissé beaucoup d’à priori négatifs sur l’homme et le soulagement fut grand de le voir disparaître. Cependant, c’est bien cette politique qui a préparé le règne du Roi Soleil et permis le rayonnement du siècle suivant.. « Je n’ai eu d’autres ennemis que ceux de l’Etat » dit-il sur son lit de mort, et l’on voit en quoi sa politique n’a servi que des intérêts supérieurs.


JB