Les médias et la guerre

polémiques qui sont apparues sur le rôle des journalistes français qui couvrent les opérations de guerre en Afghanistan. En retraçant le rôle joué par les médias américains durant la guerre du Viêt-nam, le réalisateur de l’émission Patrick Barberis analyse les mécanismes qui ont amené les journalistes américains à devenir un des axes de manipulation majeur de la stratégie du Nord Viêt-nam contre les Etats-Unis d’Amérique. Deux éléments-clés ressortent de son travail d’enquête : l’offensive du Têt lancée par le Viêt-Cong et des éléments de l’armée nord-vietnamienne pour déplacer la guerre des campagnes dans les villes. Militairement, le résultat a été catastrophique pour Hanoi car les pertes humaines se sont chiffrées en dizaines de milliers de soldats et de miliciens. Médiatiquement, cette offensive a été un succès inestimable.


Un général américain interviewé dans l’émission explique que les dirigeants communistes Ho Chi Minh et Giap ont choisi de perdre sur le plan militaire en sacrifiant leurs troupes dans des opérations sans aucune chance de succès durable (prendre et garder les villes) car ils avaient compris que les images prises par les journalistes américains dans les villes jusque-là peu affectées par la guerre allaient montrer l’armée américaine attaquée par surprise, reprendre Hué la capitale impériale avec lenteur et surtout transformer les journalistes américains en relais de propagande. Il faut savoir qu’à l’époque la plupart des journalistes américains présents au Viêt-nam du Sud restaient dans les hôtels et seule une minorité partait sur le terrain. Ils ne connaissaient que les échos de la guerre. Brutalement, ils la découvrent lors de cette offensive du Têt et c’est leur angoisse qu’ils expriment au premier degré sans avoir le temps de prendre le recul sur ce qu’ils vivent. Ho Chi Minh et Giap savent aussi que l’image prime sur l’information. Lorsqu’elles prennent temporairement Hué, les commissaires politiques qui accompagnent les troupes du Viêt-Cong font exécuter plusieurs milliers de personnes. Le fait est connu, cité mais il n’y a aucune image. Rappelons à ce propos que beaucoup de civils assassinés sans jugement figurent parmi la liste des victimes du Viêt-Cong.

Cette information n’aura aucun écho chez les manifestants qui défileront quelques semaines plus tard aux Etats-Unis pour protester contre la guerre et dénoncer la politique américaine. Dans cette phase décisive du conflit vietnamien, la guerre de l’information prend le dessus sur la guerre militaire. Comme le rappellent les auteurs de l’émission, « si l’armée américaine remporte en effet des victoires écrasantes sur le terrain, les images générées par ces combats produisent l’effet inverse ». Autrement dit, on peut perdre une guerre parce qu’un camp a eu l’intelligence d’instrumentaliser les journalistes de l’autre camp. Ce qui surprend encore plus dans ce reportage est le témoignage a posteriori de certains reporters américains présents au Viêt-nam lors de cette offensive du Têt. Aucun d’entre eux n’a compris qu’il jouait contre son camp. Seul le photographe qui a pris la célèbre photo de l’assassinat du chef d’un commando vietcong par un général sud-vietnamien aurait par la suite, rappelle un de ses confrères, eu des remords et s’était excusé quelques années plus tard auprès de responsables de l’US Army. Pour les autres, ils ne faisaient que leur métier. La froideur de cette constatation ne se passe pas de commentaires.

médias, le magazine présentée par Thomas Hugues diffusée le samedi 27 septembre), ces sommes d’argent sont symboliques sur le plan militaire car les talibans ont d’autres ressources financières, autrement plus importantes, pour s’acheter des armes. Si cette remarque s’applique au contexte militaire, elle ne s’applique pas au contexte de guerre de l’information. Ce sont les talibans qui instrumentalisent nos journalistes et pas l’inverse. Ils ont donc l’initiative dans ce domaine, ce qui est loin d’être notre cas. Les militaires américains ont dû quitter le Viêt-nam parce que leurs généraux n’avaient pas compris que la guerre de l’information était au moins aussi importante que la guerre militaire. Ils ont su, par la suite, en tirer les enseignements sur le rapport des médias à la guerre et faire la distinction entre le fonctionnement d’une démocratie et la manière de perdre ou de gagner par les armes ou par l’information. Espérons que cette mémoire opérationnelle ne tombe pas une fois de plus dans les oubliettes de la routine dès qu’elle franchit l’océan atlantique.



Christian Harbulot