Asymétrie : les limites d’une lecture militaire

Le Cahier n°5 du Centre d’Etudes et de Recherches de l’Ecole Militaire (Cerem) traite de l’asymétrie dans les problèmes contemporains. Cette étude forte intéressante sur un thème central des conflits contemporains comporte quelques limites. Nous en avons volontairement choisi une pour contribuer au débat. Les auteurs abordent en page 44 du cahier n°5 du CEREM la problématique suivante : répondre à l’asymétrie par une autre asymétrie. Ils citent à ce propos la manière dont l’armée britannique ont contré le combat asymétrique d’embuscade mené par les forces des Boers par le regroupement forcé des habitants des villages favorables aux Boers.
« Sur le plan opératif, la guerre des Boers offre un exemple particulièrement dur de ce jeu d’asymétrie. Après avoir perdu la guerre classique, les forces Boers mènent, dans la deuxième partie de la guerre, un combat asymétrique d’embuscade. Celui-ci s’appuie sur leur parfaite connaissance du terrain et une logistique légère reposant sur la connivence des habitants des villages disséminés. Le commandement anglais réplique par le regroupement forcé de tous les habitants dans des camps gardés et dégagés, qui à la fois prive les Boers de leur soutien logistique, et les pousse à s’exposer pour aller libérer leur famille. Cette asymétrie insoutenable vient à bout des combattants ».
Lune telle analyse centrée sur l’aspect militaire ne tient pas compte d’une autre analyse qui élargit le spectre des enjeux de puissance. Les lignes qui suivent sont tirées d’un article rédigé en 2005 par un lieutenant colonel de l’armée britannique dans le cadre d’un séminaire au Collège Interarmées de Défense à Paris :
« L'appétit public pour l'empire a diminué et puis disparu complètement par suite de la guerre des Boers – une guerre menée contre des blancs. La supériorité militaire britannique a forcé les Boers à mener une campagne de guérilla. A leur tour les Anglais ont adopté une tactique de la terre brûlée pour détruire leurs récoltes et ont créé les premiers camps de la concentration du monde pour regrouper les femmes et les enfants des Boers. Bien que ces tactiques ont sapé la volonté des Boers pour combattre, les reportages des médias sur les conditions de détention et des taux élevés de mortalité dans les camps de concentration ont choqué le public britannique et l’ont détourné du mythe de l’empire tel que le défendaient des hommes comme Disraeli. Les conséquences de la guerre des Boers étaient plus profondes en Grande-Bretagne qu'en Afrique du Sud. C'était la répugnance contre la conduite de cette guerre par les Britanniques qui a finalement amené l’une partie de l’électorat britannique à opter pour une politique de gauche dans les années 1900. Les esprits critiques ont argué du fait que l'impérialisme était immoral. Les éléments plus radicaux de l’opposition dénonçaient une escroquerie comme quoi  cette guerre était financée par des contribuables britanniques, menée sur le terrain par des soldats britanniques, mais qu’elle bénéficiait principalement à une élite très minoritaire de millionnaires tels que Rhodes et Rothschild.  Quatre ans seulement après la mort de la reine Victoria, l'impérialisme était largement considéré par l’opinion publique britannique comme un terme d'abus. »
L’une des lacunes récurrentes dans l’analyse des rapports de force est de limiter l’analyse à son expression purement militaire sans prendre le recul nécessaire pour cerner la hiérarchie des enjeux et leurs conséquences en termes d’expression et de pérennité de la puissance. Les études sur l’asymétrie ne doivent pas faire l’impasse sur cette profondeur de champ analytique.

Sources :
http://www.cerems.defense.gouv.fr
http://www.infoguerre.fr/documents/matrice_empire_britannique.pdf