Les limites de la France face aux conflits extérieurs afghan et géorgien
L’émission Sept à Huit de TF1, diffusée dimanche 31 août, présentait le témoignage du père d’un des 10 parachutistes français tués en Afghanistan. La sobriété des paroles de cet homme mettait l’accent sur une autre approche des faits : sans remettre en cause l’engagement de son fils dans la carrière militaire, celui-ci avait du mal à expliquer le sens de son combat en terre étrangère et à définir la place de la France dans ce pays ingouvernable. Autrement dit, la pudeur d’un père qui venait de perdre son fils dans un conflit armé extérieur était l’accent de vérité de son discours. L’émission Esprit Libre diffusée le matin sur France Culture ne nous a pas éclairé davantage sur le sens à donner à cet acte de guérilla. Les participants étaient favorables à un maintien des troupes sans se faire d’illusion sur leur efficacité finale en raison de la corruption qui sévit au sein des autorités de Kaboul, du manque de fiabilité de la police afghane, du problème endémique du trafic de drogue et des échecs des méthodes employées par la coalition (les Italiens repliés dans leur camps fortifiés, les Américains tirant sur tout ce qui bouge dès qu’ils sont attaqués, les Canadiens qui allant au contact des populations et subissant en retour la perte d’une centaine d’hommes). Yves Michaud, directeur de l'Université de tous les savoirs, a souhaité quant à lui le retrait de nos troupes et une diplomatie concertée des démocraties. Il évoqua même l’idée d’un recours à l’arme nucléaire tactique pour garantir les principes d’une sécurité commune en cas d’agression terroriste majeure contre nos populations. Les garants de la pensée libérale et démocratique n’ont pas grand-chose à dire si ce n’est à répéter des évidences ou à rappeler comme Denis Olivennes, président du directoire du Nouvel Obs, les aspirations du monde occidental dans sa volonté d’aboutir à une mondialisation pacifiée et démocratique des relations internationales.
Que ressort-il de ces voix discordantes entre la pensée d’un homme touché par le destin et les réflexions d’expert de la vie politique ? Un grand vide sur la perception de ce qu’est la France, de son utilité et surtout de son devenir dans ces rapports de force complexes du monde d’aujourd’hui. La volonté du Président de la République sur la préservation de notre statut de puissance tout comme la suggestion d’Hubert Védrine de reconstruire discrètement notre influence à l’international, sont des paroles encore abstraites pour redéfinir la place de la France dans le monde. Cette sécheresse intellectuelle est le fruit d’un processus historique dont j’ai formalisé un début d’analyse dans l’ouvrage dirigé par Jean-Pierre Bernat qui sort ce mois-ci aux éditions Lavoisier (L’intelligence économique, co-construction et émergence d’une discipline via un réseau humain, chapitre 5 : intelligence économique et problématique de puissance). L’acte de présence que nous faisons en Afghanistan situe en fait notre position réelle sur l’échiquier mondial. La France est pour l’instant figée dans un statut de puissance de second rang à la traîne des Etats-Unis d’Amérique. En Afghanistan, sa marge d’initiative est quasi nulle si ce n’est en tentant de renouer avec quelques recettes de la guerre révolutionnaire qui ont quand même obligé les insurgés à monter une embuscade spectaculaire afin de « donner une leçon » aux paras français en termes d’image symbolique.
On peut émettre le même type de réserves à propos de l’intervention de la France dans la gestion de la crise géorgienne. Depuis plusieurs années, les Etats-Unis défient la Russie aux marches de sa sphère d’influence. Les « révolutions démocratiques » lancées en Ukraine et Géorgie ont eu les effets escomptés compte tenu du ressentiment antisoviétique de ces peuples qui ont payé un lourd tribut lors des répressions sanguinaires menées à l’époque de Staline. Mais devant cette érosion de son périmètre géostratégique, la Russie n’est pas restée l’arme au pied. Elle a d’abord su anticiper les retombées négatives de l’ère soviétique en russifiant des portions de population dans les pays où son influence était menacée. La Géorgie entrait justement dans ce cas de figure. Devant les velléités américaines et britanniques de faire entrer la Géorgie dans l’Otan et ensuite de la faire adhérer à l’Union européenne, les Russes ont très habilement riposté en minant le terrain par le prépositionnement de troupes en Abkhazie sous statut onusien et en infiltrant les milieux séparatistes d’Ossétie. Dans cette partie de dés pipés par les intérêts de puissance des uns et des autres, la France ne représente rien de précis. Elle ne défend même pas d’intérêt pétrolier comme le font les Britanniques. Il lui restait à tenir la position d’arbitre, justement celle qui a été choisie par Nicolas Sarkozy du fait de la légitimité offerte par les six mois de présidence européenne. Le pouvoir exécutif russe a traité le sujet avec le cynisme habituel qu’on lui connait. Il a fait semblant de jouer le jeu des négociations en acceptant un retrait des troupes russes du territoire géorgien tout en encourageant la sécession de l’Abkhazie et de l’Ossétie. En agissant ainsi, la Russie parie sur le long terme et espère tirer les marrons du feu des contradictions inter-occidentales. Les Etats-Unis n’ont pas les mêmes intérêts que l’Europe. Dans leur souci de garantir leur statut de superpuissance mondiale, ils veulent amoindrir le plus possible l’influence russe alors que les pays européens souhaitent sauvegarder leurs approvisionnements énergétiques dont une partie non négligeable dépend du bon vouloir moscovite. Ayant conservé son rôle de chef d’orchestre dans le dispositif de décision du Kremlin, Vladimir Poutine va tout faire pour pérenniser ces contradictions entre le nouveau et le vieux continent. Il ne joue pas la partie sur un seul échiquier car il a d’autres cartes en mains concernant l’Europe proprement dite. L’Allemagne a négocié de manière unilatérale un accord avec Moscou qui lui donne le droit officieux de fixer le prix de gaz en Europe. La portée des déclarations offensées de la chancelière Angela Merkel est à moduler en fonction de ces rapports bilatéraux entre les deux anciens signataires du pacte germano-soviétique. Pour faire contrepoids à ce rapport de forces, Paris ne dispose que de très peu d’atouts et doit agir à front renversé en tentant de s’appuyer sur le sentiment antirusse des anciennes démocraties populaires rentrées dans l’Union, dans le sillage de la Grande Bretagne qui reste le plus fidèle allié des Etats-Unis dans cette partie d’échec (propagande indirecte conjointe avec des think tanks de Washington sur la relance possible d’une nouvelle guerre froide) et cette partie de go (méfiance absolue à l’égard d’un rapprochement germano-russe qui amoindrirait l’influence britannique en Europe continentale).
Les belles déclarations sur les droits de l’Homme qui ont fait les beaux jours de la Société des Nations (on sait ce qu’il en est advenu après les accords de Munich signés par les démocraties européennes et Adolf Hitler) ont une résonnance très limitée. La démonstration qui vient d’être faîte lors des jeux olympiques de Pékin résume une fois la partie de dupe qui est en cours. Le Comité International Olympique avait accordé la candidature à Pékin en espérant un progrès de la Chine dans ce domaine. La Chine lui a répondu avec la même délicatesse que Vladimir Poutine lors de la crise géorgienne. Il n’y pas que l’Etat qui est « en faillite » en France. Notre rente de situation placée en épargne intellectuelle depuis le Siècle des Lumières est tarie depuis plus d’un demi-siècle par deux phénomènes majeurs : le fait de ne pas avoir honoré nos accords d’assistance militaire avec des pays alliés menacés par l’Allemagne nazie et les retombées de la décolonisation qui nous ont enfermées dans la dépendance durable de la repentance.
Alors que faire ? D’abord relire les leçons à tirer de notre passé non pas à la lumière des idéologies creuses du XIXème et XXème siècle et démenties par les faits historiques mais en adoptant une vision réaliste des victoires durables et des échecs majeurs de la politique française. Ensuite en fixant des objectifs géopolitiques et géoéconomiques destinés à garantir à l’intérêt collectif les meilleurs atouts pour l’avenir. L’esprit paysan français est capable du meilleur comme du pire. Le meilleur, c’est une combativité exceptionnelle pour tirer de la terre le sens de la vie. Le pire, c’est la médiocratie des gens de pouvoir qui vivent par et pour leur patrimoine sans se soucier du sort des gens qui les entourent.
Christian Harbulot
Que ressort-il de ces voix discordantes entre la pensée d’un homme touché par le destin et les réflexions d’expert de la vie politique ? Un grand vide sur la perception de ce qu’est la France, de son utilité et surtout de son devenir dans ces rapports de force complexes du monde d’aujourd’hui. La volonté du Président de la République sur la préservation de notre statut de puissance tout comme la suggestion d’Hubert Védrine de reconstruire discrètement notre influence à l’international, sont des paroles encore abstraites pour redéfinir la place de la France dans le monde. Cette sécheresse intellectuelle est le fruit d’un processus historique dont j’ai formalisé un début d’analyse dans l’ouvrage dirigé par Jean-Pierre Bernat qui sort ce mois-ci aux éditions Lavoisier (L’intelligence économique, co-construction et émergence d’une discipline via un réseau humain, chapitre 5 : intelligence économique et problématique de puissance). L’acte de présence que nous faisons en Afghanistan situe en fait notre position réelle sur l’échiquier mondial. La France est pour l’instant figée dans un statut de puissance de second rang à la traîne des Etats-Unis d’Amérique. En Afghanistan, sa marge d’initiative est quasi nulle si ce n’est en tentant de renouer avec quelques recettes de la guerre révolutionnaire qui ont quand même obligé les insurgés à monter une embuscade spectaculaire afin de « donner une leçon » aux paras français en termes d’image symbolique.
On peut émettre le même type de réserves à propos de l’intervention de la France dans la gestion de la crise géorgienne. Depuis plusieurs années, les Etats-Unis défient la Russie aux marches de sa sphère d’influence. Les « révolutions démocratiques » lancées en Ukraine et Géorgie ont eu les effets escomptés compte tenu du ressentiment antisoviétique de ces peuples qui ont payé un lourd tribut lors des répressions sanguinaires menées à l’époque de Staline. Mais devant cette érosion de son périmètre géostratégique, la Russie n’est pas restée l’arme au pied. Elle a d’abord su anticiper les retombées négatives de l’ère soviétique en russifiant des portions de population dans les pays où son influence était menacée. La Géorgie entrait justement dans ce cas de figure. Devant les velléités américaines et britanniques de faire entrer la Géorgie dans l’Otan et ensuite de la faire adhérer à l’Union européenne, les Russes ont très habilement riposté en minant le terrain par le prépositionnement de troupes en Abkhazie sous statut onusien et en infiltrant les milieux séparatistes d’Ossétie. Dans cette partie de dés pipés par les intérêts de puissance des uns et des autres, la France ne représente rien de précis. Elle ne défend même pas d’intérêt pétrolier comme le font les Britanniques. Il lui restait à tenir la position d’arbitre, justement celle qui a été choisie par Nicolas Sarkozy du fait de la légitimité offerte par les six mois de présidence européenne. Le pouvoir exécutif russe a traité le sujet avec le cynisme habituel qu’on lui connait. Il a fait semblant de jouer le jeu des négociations en acceptant un retrait des troupes russes du territoire géorgien tout en encourageant la sécession de l’Abkhazie et de l’Ossétie. En agissant ainsi, la Russie parie sur le long terme et espère tirer les marrons du feu des contradictions inter-occidentales. Les Etats-Unis n’ont pas les mêmes intérêts que l’Europe. Dans leur souci de garantir leur statut de superpuissance mondiale, ils veulent amoindrir le plus possible l’influence russe alors que les pays européens souhaitent sauvegarder leurs approvisionnements énergétiques dont une partie non négligeable dépend du bon vouloir moscovite. Ayant conservé son rôle de chef d’orchestre dans le dispositif de décision du Kremlin, Vladimir Poutine va tout faire pour pérenniser ces contradictions entre le nouveau et le vieux continent. Il ne joue pas la partie sur un seul échiquier car il a d’autres cartes en mains concernant l’Europe proprement dite. L’Allemagne a négocié de manière unilatérale un accord avec Moscou qui lui donne le droit officieux de fixer le prix de gaz en Europe. La portée des déclarations offensées de la chancelière Angela Merkel est à moduler en fonction de ces rapports bilatéraux entre les deux anciens signataires du pacte germano-soviétique. Pour faire contrepoids à ce rapport de forces, Paris ne dispose que de très peu d’atouts et doit agir à front renversé en tentant de s’appuyer sur le sentiment antirusse des anciennes démocraties populaires rentrées dans l’Union, dans le sillage de la Grande Bretagne qui reste le plus fidèle allié des Etats-Unis dans cette partie d’échec (propagande indirecte conjointe avec des think tanks de Washington sur la relance possible d’une nouvelle guerre froide) et cette partie de go (méfiance absolue à l’égard d’un rapprochement germano-russe qui amoindrirait l’influence britannique en Europe continentale).
Les belles déclarations sur les droits de l’Homme qui ont fait les beaux jours de la Société des Nations (on sait ce qu’il en est advenu après les accords de Munich signés par les démocraties européennes et Adolf Hitler) ont une résonnance très limitée. La démonstration qui vient d’être faîte lors des jeux olympiques de Pékin résume une fois la partie de dupe qui est en cours. Le Comité International Olympique avait accordé la candidature à Pékin en espérant un progrès de la Chine dans ce domaine. La Chine lui a répondu avec la même délicatesse que Vladimir Poutine lors de la crise géorgienne. Il n’y pas que l’Etat qui est « en faillite » en France. Notre rente de situation placée en épargne intellectuelle depuis le Siècle des Lumières est tarie depuis plus d’un demi-siècle par deux phénomènes majeurs : le fait de ne pas avoir honoré nos accords d’assistance militaire avec des pays alliés menacés par l’Allemagne nazie et les retombées de la décolonisation qui nous ont enfermées dans la dépendance durable de la repentance.
Alors que faire ? D’abord relire les leçons à tirer de notre passé non pas à la lumière des idéologies creuses du XIXème et XXème siècle et démenties par les faits historiques mais en adoptant une vision réaliste des victoires durables et des échecs majeurs de la politique française. Ensuite en fixant des objectifs géopolitiques et géoéconomiques destinés à garantir à l’intérêt collectif les meilleurs atouts pour l’avenir. L’esprit paysan français est capable du meilleur comme du pire. Le meilleur, c’est une combativité exceptionnelle pour tirer de la terre le sens de la vie. Le pire, c’est la médiocratie des gens de pouvoir qui vivent par et pour leur patrimoine sans se soucier du sort des gens qui les entourent.
Christian Harbulot