L’erreur de René Girard dans sa relecture de Clausewitz

Dans son dernier ouvrage, « Achever Clausewitz » sorti aux éditions Carnets Nord en octobre 2007, René Girard s’aventure dans un domaine qu’il maîtrise mal intellectuellement. Cette méconnaissance de l’art de la guerre ressort de son adhésion à la thèse de Clausewitz sur l’avantage au défenseur. L’exemple de la guerre 1870 démontre que l’Allemagne est en posture d’attaque mais qu’elle va tout faire pour apparaître aux yeux de la communauté internationale comme le pays agressé. Cette nuance est capitale car elle démontre en fait contrairement à ce qu’avance Clausewitz que dans ce cas de figure, l’avantage est justement à l’attaquant.
Rappelons les faits. Bismarck est un homme politique prussien qui est à l’initiative de l’unité allemande. Président du Conseil en 1863, il voulut assurer à la Prusse le premier rang en Allemagne : il lui donna des moyens de lutte (finances, armée), annexa les duchés danois en 1864 et, grâce à la victoire de Sadowa en 1866, élimina l’Autriche de la Confédération germanique. Sous son impulsion, les États septentrionaux formèrent alors la Confédération de l’Allemagne du Nord, sous autorité prussienne. Pour achever l'unité de l'Allemagne, il chercha la guerre avec la France ; la défaite française (1870-1871) permit de proclamer l’Empire à Versailles le 18 janvier 1871. Par son jeu diplomatique, visant à isoler la France, il domina les relations européennes, nouant en 1872 l’Entente des trois empereurs (d’Allemagne, d’Autriche, de Russie) et en 1884 la Triple-Alliance, avec l’Autriche et l’Italie.

Le choix de la posture
L’Allemagne a pris comme prétexte la succession du royaume d’Espagne :
• Contexte espagnol très troublé.
• Impact du changement de dynastie sur les relations internationales.
• Candidature de Léopold de Hohenzollern.
La France est contre car elle craint l’influence grandissante de la Prusse. après sa victoire contre le Danemark et l’Autriche.
Février 1870 : Bismarck fait en sorte que Léopold de Hohenzollern retire sa candidature dans un premier temps après la campagne antiprussienne des journaux français (preuve donnée de sa bonne volonté). Il remarque que cette réaction est disproportionnée (posture de victime prise par l’Allemagne et habilement orchestrée sur la scène internationale).
Juillet 1870 : Léopold de Hohenzollern repose sa candidature après avoir constaté que le trône d’Espagne reste vacant.
La presse française tombe dans le piège et s’enflamme à nouveau. Elle pousse le pouvoir politique français à la guerre pour sauver la face de la France. Quant à l’Espagne, elle ne comprend pas cette montée extrême car elle réaffirme sa loyauté à la France.

Le cœur de gravité de la guerre de l’information
L’ambassadeur français Benedetti informe Guillaume Ier des critiques répétées conte la candidature des Hohenzollern à la succession de la monarchie espagnole.
Guillaume Ier répond par la fameuse dépêche d’Elms dont le texte est raccourci par Bismarck afin de provoquer Paris (« lui fait dire par l’adjudant de service que sa majesté n’aurait plus rien d’autre à communiquer à l’ambassadeur »)…tout en reconnaissant le retrait de la candidature des Hohenzollern.
Effet Final Recherché dans cette manœuvre : pousser Napoléon III à la faute. Celui-ci est malade et est pressé par le clan des Bonapartistes autoritaires et la presse nationaliste française à réagir violemment à ce camouflet diplomatique.

Les manipulations politiques de Bismarck
Instruction de Bismarck au comte Von Arnim, ambassadeur à Paris, le 16 novembre 1871
« Nous devons enfin désirer le maintien de la République en France pour une deuxième raison qui est majeure : la France monarchique était et sera toujours catholique; sa politique lui donnait une grande influence en Europe, en Orient et jusqu'en Extrême-Orient. Un moyen de contrecarrer son influence au profit de la nôtre, c'est d'abaisser le catholicisme et la papauté qui en est la tête. Si nous pouvons atteindre ce but, la France est à jamais annihilée. La monarchie nous entraverait dans ces tentatives. La République nous aidera... J'entreprends contre l'Eglise catholique une guerre qui sera longue et, peut-être, terrible! On m'accusera de persécution et j'y serai peut-être conduit, mais il le faut pour achever d'abaisser la France et établir notre suprématie religieuse et diplomatique, comme notre suprématie militaire. Et bien! Je le répète : ici encore les républicains m'aideront ; ils joueront notre jeu ; ce que j'attaque par politique, ils l'attaquent par formalisme antireligieux. Leur concours est assuré. Entretenez dans les feuilles radicales françaises à notre dévotion la peur de l'épouvantail clérical, en faisant propager les calomnies ou les préjugés qui font naître cette peur... Faites aussi parler, dans ces feuilles, des dangers de la réaction..., des crimes de l'absolutisme, des empiètements du clergé. Ces balivernes ne manquent jamais leur effet sur la masse ignorante. Oui! Mettez tous vos soins à entretenir cet échange de services mutuels entre les républicains et la Prusse! C'est la France qui paiera les frais! ... ».
Instruction citée par Gaudin de Vilaine, au sénat, le 6 avril 1911, Journal Officiel du 7 avril 1911.

La victoire prussienne
La France est isolée sur la scène internationale. En déclenchant les hostilités contre la Prusse, elle devient l’agresseur et transforme la Prusse en victime. Bismarck a préparé son armée à une guerre offensive minutieuse (renseignement et cartographie + organisation méthodique de la mobilisation et transport rapide des troupes par train). Napoléon III improvise. Une semaine avant la dépêche d’Elms, les relations avec la Prusse étaient pacifiques. L’armée française met du temps à mobiliser et réunir ses unités. Les états-majors n’ont pas de doctrine offensive cohérente et ne disposent des cartographies adéquates malgré un armement du fantassin supérieur à celui du soldat prussien.