La diaspora chinoise et l’expansion économique de la Chine

Les principales recherches sur la diaspora chinoise se sont centrées sur l’Europe de l’Ouest et les États-Unis, analysant les processus de sa transformation (Ma Mung, 2000) prenant en compte ses dimensions historiques (Pina-Guerassimoff, 2003 ; Poisson, 2004) et économiques (Waldinger et Tseng, 1992 ; Campani, 1994), s’interrogeant sur les répercussions de son installation dans les sociétés d’accueil (Guillon et Taboada Leonetti, 1986) et sur ses modalités d’intégration (Trolliet, 1999). Répercutant les grandes réformes et les mutations économiques de la dernière décennie en Chine, d’autres travaux de recherche ont été entrepris intégrant de nouvelles thématiques (migrations intracontinentales, filières migratoires internationales, travail forcé dans les pays d’accueil, etc.) et explorant de nouveaux horizons géographiques (Europe de l’Est par exemple). La diaspora chinoise est estimée à 30 millions d’individus dont près de 90 % sont originaires des trois provinces méridionales : Fujian / Guangdong / Hainan, qui cependant ne réunissent que « 10 % de la population totale du pays. Les émigrants partent de 6 foyers principaux dont 5 en RPC, identifiables par leurs dialectes particuliers ». Les principaux foyers d’accueil sont l'Asie du Sud-est (Malaisie, Singapour, Vietnam) et les États-Unis d'Amérique.

La diaspora chinoise en France
Aujourd’hui le phénomène migratoire est exponentiel. En France, on constate une affluence des nouveaux migrants en provenance des nouvelles provinces chinoises, une continuité des flux originaires du Sud-Est, et une grande variété des tentatives d'immigration. Au-delà de l'accroissement des flux clandestins en provenance de Chine, des demandes d'asiles et des arrivées directes par avion en France avec des visas réguliers, les entrées se poursuivent grâce à des papiers obtenus dans l'espace de Schengen (campagnes de régularisation comme en Espagne en mars dernier). Les ressortissants munis de documents régularisés grâce à des complicités locales ibériques (domiciliations payantes de 3000 à 4500 euros) reviennent en France. Les candidats à la régularisation ont compris le profit qu'il pouvait tirer des accords de Schengen pour se maintenir ensuite en France qui devient une destination privilégiée. Cette nouvelle immigration s'appuie sur des réseaux et des structures bien implantées en Europe et en France. Autonomes au regard des pays d'accueil, et très soudées, les communautés chinoises ont une importance économique considérable. Le rapide développement des Chinatowns parisiennes n'est pas lié à un quelconque hasard ou à des soudaines opportunités ; L'espace autonome des Chinatowns repose sur la base de deux grands principes ; La confiance dans les amitiés personnelles et les réseaux qui s'inscrivent dans un projet collectif de groupe et de stratégie de réussite individuelle. Les solidarités claniques, familiales, géo-dialectales liées à une culture ancestrale, à un acquis collectiviste confucéen, et des filières d'entraide financières dans le monde entier, sans oublier les liens d'investissement avec la mère patrie.
Forts de ces atouts culturels et historiques, et de leur expérience migratoire fondée sur une principale activité - le commerce - pour la survie dans les pays d'accueil, les Chinois d'Outre-Mer bâtissent de véritables empires. Avec des groupes financiers très puissants dans le monde, cette diaspora joue un rôle clef dans l'ouverture économique de la Chine populaire en réinvestissant considérablement dans les régions d'origine. Démarrant durement leur labeur et leurs premières activités dans les pays d'accueil, le succès scolaire et l'ascension sociale des migrants sont rapides dès la deuxième génération, produisant des hommes d'affaires, des techniciens et des professions libérales. Ces Chinois solidaires, secrets, respectueux et travailleurs, ont la possibilité d'investir rapidement grâce à la solidarité et à un système de prêt communautaire, le "Hui", un mot-clef qui permet, sans passer par des organismes financiers, d'acquérir comptant un appartement ou un commerce et de s'implanter dans un quartier qui va se développer rapidement. La vitrine du XIIIe arrondissement de Paris, le quartier de Belleville et d'autres secteurs chinois de la capitale forment des exemples concrets de ces stratégies. Ce système d'entraide a permis aux Chinois de s'implanter de façon autonome dans l'épicerie extrême orientale et dans la restauration, puis dans des activités économiques très diversifiées. Cette communauté jugée favorablement par l'ensemble des Français représente pour certains un modèle d'intégration communautaire. Pour d'autres, il s'agit plutôt d'une vie "en ghetto", hors du modèle français d'intégration. Néanmoins, elle semblait vivre jusqu'alors "en développement séparé" de la société française. Dès l'origine, avec plusieurs vagues migratoires aux motifs forts distincts, les Chinois débarquant à Paris étaient sans travail, sans logement. Leurs réseaux familiaux, professionnels et amicaux étaient inexistants ou très déstructurés. Pour autant, le développement social et urbain de la communauté chinoise à Paris s'est effectué avec force, dans l'ordre et à un rythme très rapide, avec la création de plusieurs quartiers urbains autonomes, concentrés et condensés.
En emménageant rapidement et de façon active dans leurs quartiers, ils ont prolongé leur conquête et leur expansion géographique dans la banlieue parisienne, tout en renforçant leurs territoires ethniques urbains. Ces quartiers vivent en "développement séparé" de la communauté parisienne. Les Chinois de Paris vivent et travaillent dans une économie fermée, appliquant leurs règles et leurs coutumes locales. Ils s'adaptent rapidement à un ordre interne et ils s'appuient dans leur conquête spatiale sur l'entraide et sur leurs différents réseaux. La très grande majorité des migrants est issue de milieux modestes. Ces chinois fuyaient, des conditions économiques déplorables, des oppressions politiques, et des zones de conflits meurtriers. Ils arrivaient le plus souvent dépouillés et les mains vides. Néanmoins, ils ont bâti avec succès, en quelques années, des pôles de réussite. Certes, certains migrants chinois faisaient partie des élites issues des chinois d'Outre-mer. Ils ont déployé des stratégies de développement économique rapides, diversifiées, concentrées, et leurs enfants ont bénéficié pour la plupart de résultats universitaires et professionnels favorables.
Ce succès économique a ses zones d'ombres. C'est une réussite parfois bâtie sur un monde sans pitié, où quelques hommes de main, dans un réseau hiérarchisé, font régner un ordre cloisonné et secret. Il est souvent basé, dans ce cas, sur des filières qui fournissent en main-d'œuvre illégale des opérations communautaires diverses, comme l'alimentation des ateliers clandestins. Pour les plus faibles d'entre eux, il s'agit d'un véritable parcours du combattant.
Les Chinois de Paris bénéficient en France d'un capital de confiance et d'images positives. Ils profitent d'un a priori de sympathie lié à des valeurs traditionnelles et à leur respect des valeurs. Mais les Chinois de Paris sont en même temps suspectés de bien de problèmes : Salubrité, surpeuplement, extension territoriale aux dépends de la vie locale, images liées à divers trafics. Il leur est également reproché leur caractère secret. Ces détracteurs précisent que les Chinois ne savent vivre qu'en autarcie et que leur culture fonctionne sur un mode endogamique. Puis, avec la représentation chinoise, surgissent de l'inconscient, l'étrange, la crainte et l'inconnu. La Chine, parce que terre lointaine, attire et séduit, mais suscite toujours des appréhensions. Les Chinois de Paris ont construit à l'endroit où ils pouvaient vivre, des modèles sociaux et urbains calqués sur les archétypes de leur pays d'origine. Avec le défi lancé par les sans-papiers chinois, la question est de savoir si les communautés chinoises vont se diluer, avec les nouvelles générations, et se diriger vers une intégration ? Al’écoute des témoignages recueillis dans les Chinatowns de Paris, la volonté d'intégration républicaine se ressent dans les discours recueillis. Il existe bien un clivage entre les jeunes générations et les plus anciennes. Mais le noyau traditionnel de la communauté chinoise ne lâchera pas facilement ses prérogatives communautaires ni ses réseaux claniques, économiques et financiers.

Les Chinois en Afrique
En Afrique où l’immigration chinoise est encore plus récente, les analyses restent liminaires et concernent les stratégies d’intégration des Chinois nouvellement arrivés dans le tissu économique camerounais (Esoh, 2005). Au début des années 1990, l’Afrique n’hébergeait aucun Chinois, à l’exception de l’Afrique du Sud. Mais, moins d’une décennie plus tard, des ressortissants de la Chine Populaire sont signalés par les médias, un peu partout sur le continent africain. On parle actuellement de 130 000 ressortissants chinois vivant un peu partout dans le continent africain à tel point que les médias locaux les présentent comme les nouveaux « envahisseurs », « Les Chinois arrivent » titre au Maroc L’Économiste, novembre 2003 ; « ils imitent sans vergogne toutes les grandes marques de l’électroménager […] et bientôt ils imiteront les djellabas et les babouches – produits authentiques de l’artisanat marocain ». « Ils sont partout. Bientôt on va les voir en train de vendre les beignets-haricot dans les quartiers », renchérit un confrère camerounais l’année suivante (Le Messager, n° 1752, 11 novembre 2004). À leur tour, les commerçants sénégalais fustigent cette présence asiatique dans les rues de Dakar, déclinant toute la palette guerrière (fronde, combat, offensive…) et interpellent collectivement leur gouvernement. En dehors de tout recensement officiel, on ne peut se baser que sur des estimations construites à partir du nombre de commerces ou de familles supposés installés et dont la fiabilité est contestable. C’est ainsi qu’à Dakar, l’association des consommateurs sénégalais (ASCOSEN) annonçait le chiffre de 300 commerces chinois en août 2004 et évaluait le nombre de familles à 150 l’année suivante. En 2005, la presse dénombrait 152 boutiques dans lesquelles opéreraient 1 200 personnes sans préciser leur nationalité ; A. Sarr, la même année, en comptabilisait 138, réparties dans les trois artères principales de Dakar (allées du Centenaire, allées Papa Gueye Fall et avenue Faidherbe) et estimait à 145 le nombre de vendeurs. À l’évidence, au regard de nos observations établies dans le même périmètre géographique l’année suivante, les 143 boutiques recensées accueillent chacune entre 2 et 4 travailleurs chinois sans compter les employés sénégalais. Au Cap-Vert, devant l’ampleur du phénomène, l’Institut National de Statistiques (INE) envisage de recenser le nombre de magasins chinois. Selon l’ambassade de France, il y aurait entre 1500 et 2000 ressortissants chinois dans l’archipel qui comptait 450 489 habitants en 2002. Selon un premier inventaire établi en janvier 2006, il y aurait 70 boutiques regroupant 280 Chinois dans le centre de Praia (Plateau et Fazenda).
La migration chinoise demeure à dominante masculine à Dakar, la population féminine sur les lieux de travail ne représentant que 20 % du total. Si les unes accompagnent un mari ou un frère, nombre d’entre elles sont venues seules. Quelques-unes encore sont parties en éclaireurs en terre africaine et ont fait venir par la suite des membres de leur famille pour appuyer la mise en œuvre de leur projet économique. En revanche au Cap-Vert, le ratio est différent, les femmes sont légèrement majoritaires dans les bazars de Praia et leur migration n’entre pas dans le cadre d’un regroupement familial même si elle ne semble pas pour autant engagée en solitaire. La majorité des migrants chinois interrogés à Dakar se situe dans les classes d’âge 25-29 ans et 30-34 ans ; les autres appartiennent aux tranches supérieures (30-34 ans et 35-39 ans). Plus d’un tiers possède l’équivalent d’un niveau baccalauréat ; quelques-uns ont même entrepris un cursus universitaire en Chine. L’un d’entre eux, ayant rejoint son frère à Dakar depuis deux ans et assurant aujourd’hui la navette entre le Sénégal et la Chine, a suivi une formation poussée en biologie avant de se spécialiser en marketing. Ses parents ont également une position sociale privilégiée ; la mère professeur, le père travaillant pour le gouvernement. La plupart ont une expérience professionnelle, acquise avant de quitter la Chine ou encore dans un autre pays étranger. Il ne s’agit donc pas d’une population très jeune contrairement à la situation observée à Praia.
Dans la capitale cap-verdienne, l’extrême jeunesse des ressortissants chinois laisse penser que leur installation, qui semble d’ailleurs transitoire au Cap-Vert, serait le résultat d’une organisation en réseau, bien éloignée des migrations familiales repérées à Dakar. Ils seraient de passage dans l’attente d’un départ vers l’Europe ou les États-Unis. « Les Chinois ne sont pas seulement là pour le commerce, le Cap-Vert est un lieu de passage pour les Canaries, les Açores et Madère. Les grands patrons viennent régulièrement mais on ne les voit pas. Les jeunes arrivent on ne sait pas comment et certains zonent dans la rue, ils ne font rien comme s’ils attendaient un nouveau départ. Ceux qui travaillent changent d’apparence chaque semaine comme s’ils voulaient cacher leur identité » Au-delà de ces rumeurs qui participent une fois de plus à la stigmatisation des étrangers les plus « lointains », ces îles au large du Sénégal sont en train de devenir une nouvelle étape de l’émigration clandestine en direction de l’Europe. La présence chinoise dans les deux capitales africaines génère des débats au sein de la société civile. Les commerçants déjà installés dénoncent les pratiques anticoncurrentielles des Chinois. À Dakar, ceux qui sont rassemblés au sein de la puissante Union Nationale des Commerçants et Industriels du Sénégal (UNACOIS) accusent les vendeurs asiatiques d’écouler des produits toxiques et de mauvaise qualité et de ne pas respecter la législation douanière et fiscale en vigueur. Ils ont d’abord saisi la commission nationale de la concurrence (structure de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Dakar). Ils soupçonnent, en effet, les commerçants chinois de payer des taxes réduites en déclarant des importations de containers, non pas de produits finis, mais de pièces détachées très rapidement remontées. Un grand fripier de la place raconte : « Un douanier a pris un Chinois avec un container, il l’a visité, il a trouvé des pièces détachées, des morceaux de bois qu’on emboîte. Le type il avait payé 2 millions de taxes pour son container et il n’a rien dit quand on l’a taxé 6 millions. Ça veut donc dire qu’avant, il gagnait au moins 4 millions par container. La douane a alors décidé d’augmenter les taxes pour tout le monde, la douane a tapé tout le monde et nous, dans l’affaire, on est encore plus pénalisés ». Par ailleurs, dès 2002, le comité directeur de l’UNACOIS remettait en question l’installation « non contrôlée » de magasins chinois, accusant les commerçants de ne pas toujours déclarer leur activité.
Il leur est reproché par ailleurs de ne pas être en règle avec les services de l’immigration, prolongeant de manière inconsidérée leur séjour au Sénégal. La polémique porte également sur les prix des produits proposés par les Chinois. Parce qu’ils bénéficient de contacts privilégiés et d’arrangements particuliers à la fois avec les industriels et les transitaires à l’occasion de leurs déplacements dans leur pays d’origine, ils sont en mesure de proposer sur le sol africain des produits à des tarifs très compétitifs auxquels ne peuvent prétendre les Africains qui vont chercher eux-mêmes la marchandise en Asie. Les secteurs économiques les plus touchés par cette concurrence chinoise sont le textile et l’électroménager. Sitôt en réaction à la fronde antichinoise menée par les opérateurs économiques sénégalais, l’association des consommateurs du Sénégal (ASCOSEN) appuyée par quelques commerçants sénégalais et chinois ainsi que des associations de défense des droits de l’homme (RADDHO) et la Confédération des syndicats autonomes a organisé une marche de protestation contre « l’intolérance, le racisme ou la xénophobie de l’UNACOIS », défilant de la place de l’Obélisque à la Radio-Télévision sénégalaise. Reprenant à leur compte les stéréotypes habituellement utilisés pour décrire les ressortissants chinois à l’étranger, les Dakarois interrogés évoquent leur discrétion et leur caractère travailleur. Parallèlement, ils dénoncent l’hypocrisie et la cupidité des commerçants sénégalais qui se seraient enrichis au détriment des consommateurs en important les mêmes produits que les Chinois mais en les revendant trois à cinq fois plus cher alors qu’ils peuvent jouer de réseaux autrement plus puissants une fois arrivés au Sénégal pour corrompre les services douaniers ce qui contribue à faire baisser le coût de revient. « Est-ce la faute aux Chinois que d’avoir permis aux milliers de foyers dans ce pays de se vêtir et d’avoir quelques articles ménagers à bon prix ? » faisait remarquer un citadin dakarois interrogé. « Avec l’arrivée des Chinois, l’acquisition de nombreux produits s’est démocratisée », rappelait de son côté Momar Ndao, président de l’ASCOSEN.
Grâce à la compétitivité des produits chinois, les populations africaines même les plus modestes peuvent s’équiper à moindre coût. C’est ainsi qu’on assiste notamment au Cap Vert à la transformation rapide des intérieurs de maison et à l’explosion de leur ornementation. La Sala de visita, espace intérieur de la maison destinée à la représentation devient le lieu d’accumulation par excellence de statuettes, napperons et autres bibelots bon marché acquis dans les bazars chinois. Par ailleurs nombre d’employés sénégalais – commerçants ou agents de sécurité – assistent les Chinois dans leur activité et semblent, dans l’ensemble, satisfaits de leurs conditions de travail, en comparaison avec ce qu’ils ont connu avec des patrons libanais ou sénégalais. Ils mettent en avant le fait qu’ils sont correctement et régulièrement rémunérés et respectés par leurs employeurs. Leur salaire mensuel oscille entre 40 000 et 50 000 francs CFA par mois (équivalent du SMIG). Ils assurent à la fois la vente de produits et la surveillance du magasin et font office d’interprètes. Parfois, ils transportent la marchandise des lieux de stockage jusqu’aux magasins ou encore tiennent la caisse.
Tous semblent bien maîtriser le français et le wolof et parfois quelques bribes de chinois. Tous ont suivi un cursus scolaire et une partie d’entre eux sont allés au lycée jusqu’en terminale. Les uns étaient précédemment colporteurs, apprenti chauffeur de cars rapides, les autres femmes de ménage, rappeurs, surveillants dans une société agricole. Pour la majorité d’entre eux, ils ont été recrutés par le biais d’un parent ou d’un ami qui avait déjà travaillé pour un commerçant chinois ou qui entretenait avec lui des liens de confiance. Forts des connaissances acquises auprès de leurs employeurs, les assistants sénégalais comptent dans l’avenir monter leur propre affaire dès lors qu’ils auront suffisamment épargné. Quelques-uns encore sont repartis en pionniers ouvrir une boutique à l’intérieur du pays, commercialisant des produits chinois. Les colporteurs, tous de sexe masculin, qui s’approvisionnent auprès des boutiquiers chinois, essentiellement en chaussures et en cosmétiques, semblent également apprécier la souplesse commerciale de leurs fournisseurs multiples. « Les marchandises sont moins chères, les Chinois font des réductions alors que les Sénégalais et les Libanais vendent à des prix fixes » ; « Ils nous laissent exposer devant leurs boutiques » ; « ils ont beaucoup de nouveautés et ils vendent moins cher » ; « avec les produits qui se vendent difficilement, ils font crédit ». Les uns avaient déjà une expérience dans la vente ambulante, les autres étaient apprentis dans l’artisanat (menuisier, bijoutier) ou dans le transport (chauffeur, charretier). La plupart d’entre eux ont suivi seulement une formation coranique avant de se lancer dans une activité professionnelle. Si le dispositif commercial mis en place par les Chinois prend les apparences de l’ethnic business où tous les acteurs appartiendraient à la même communauté et écouleraient en monopole des produits asiatiques, en réalité, la situation est plus complexe. Les Africains sont de plus en plus nombreux à vendre des marchandises en provenance de la Chine et ceux qui, dans un premier temps, étaient employés par des Chinois montent leurs propres affaires, bénéficiant du savoir faire et des réseaux de leur ex-employeur. La diaspora chinoise essaime un peu partout dans l’ensemble régional africain sans programmation arrêtée de ses parcours migratoires, sans stratégie élaborée apparente.

L’intégration culturelle de la diaspora chinoise est indissociable de son intégration commerciale. La migration chinoise sur le continent africain interroge les capacités des sociétés d’accueil à intégrer de nouvelles populations en leur sein de même qu’à gérer les recompositions et concurrences qu’elle génère. L’absence de données sur les mariages mixtes entre chinois et africains nous montre aussi les limites d’une intégration culturelle détachée des considérations commerciales. La discrétion présumée des Chinois devient suspecte aux yeux des ressortissants africains, leur goût supposé pour le travail est interprété comme de l’aliénation ; d’autres poncifs encore sont réactivés telles que les pratiques mafieuses et corruptives. Les migrants chinois en Afrique ne sont-ils pas en train de devenir les nouveaux boucs émissaires après les Libanais et les Indo-pakistanais, ces célèbres intermédiaires du commerce africain ? La diaspora comme mode d’expansion culturelle de la Chine montre ici ses limites.

Extrait d’un rapport réalisé par un groupe d’étudiants du part time Marketing Management de l’ESSEC Défense.

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