Géoéconomie, sortie au printemps 2008). A la fin des années 60, la France exerçait surtout une présence culturelle par le biais de l’Alliance française et du lycée français de Lisbonne. La langue française était étudiée dans les collèges portugais avant l’anglais et avait le statut de première langue.
L’opportunité ratée de la révolution des œillets
Lors du renversement de Salazar le 25 avril 1974, une opportunité s’ouvrit à la France de se repositionner sur cet échiquier géopolitique de l’Europe du Sud. Au milieu des années 70, les nouveaux acteurs démocratiques de la vie politique portugaise se sont rendus à Paris pour prendre des conseils auprès des partis et des syndicats de gauche dans la mesure où ils cherchaient à créer un nouveau modèle de régime politique dégagé des influences étrangères trop pesantes, en particulier celle de la Grande Bretagne. C’est ainsi qu’Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT, fut contacté par des émissaires de la nouvelle démocratie portugaise. Ce dernier leur conseilla de bâtir l’Union de la Gauche avec le Parti communiste portugais (PCP). Cette situation était très paradoxale car le PCP était alors sous l’influence directe de l’URSS. Les communistes portugais avaient noyauté le Mouvement des Forces Armées (MFA) à l’origine de la chute du dictateur Salazar. La gauche française obnubilée par le débat intérieur sur le Programme commun entre le Parti Socialiste et le Parti Communiste Français se montra incapable de faire une analyse lucide de la situation portugaise. Sa lecture des faits se limita à un copier-coller idéologique. Le PCP avait contribué à libérer le Portugal d’un dictateur, donc il était le représentant du courant à l’origine du retour à la démocratie. En réalité, le PCP préparait un coup d’Etat en s’appuyant sur le noyau d’officiers à la tête du MFA. S’il était arrivé à ses fins, il n’y aurait pas eu de retour à la démocratie mais l’avènement d’une nouvelle forme de régime autoritaire très à l’écoute des consignes du Kremlin. Du côté des autorités françaises, il y eut bien une assistance discrète apportée aux forces démocratiques portugaises. Il est avéré aujourd’hui que les services de renseignement extérieurs français (SDECE, ancêtre de la DGSE) et allemand (BND) contribuèrent à l’échec de cette manœuvre souterraine du PCP. Mais ce point marqué ne fut pas concrétisé sur le plan diplomatique car le Président Giscard D’Estaing préférait défendre l’entrée de la Grèce dans le Marché Commun aux dépens du Portugal. Cette stratégie déconcerta complètement des hommes comme le premier Ministre Mario Soares qui s’attendait à un soutien français sur ce dossier stratégique pour le Portugal. La Grèce intégra donc l’Europe unie avant le Portugal. En revanche, l’Allemagne dirigée par le social-démocrate Willy Brandt se substitua à la France pour défendre les intérêts du Portugal dans ses velléités d’être admis au sein de la Communauté économique européenne. Les résultats de cette différence de politique étrangère entre la France et l’Allemagne se mesurent notamment en termes économiques. En 2008, les entreprises allemandes sont bien mieux implantées au Portugal que les entreprises françaises. Les filiales portugaises du groupe Siemens représentent à elles seules l’ensemble des intérêts économiques français dans ce pays. Les Allemands s’étaient donné les moyens d’une telle démarche en créant notamment une fondation germano-portugaise entièrement dédiée à cette politique d’implantation économique.
La décrépitude culturelle française au Portugal
Rádio Europa Lisboa. Cette incapacité à coller à la réalité portugaise n’est pas fortuite. Elle traduit une profonde incapacité à définir une stratégie de long terme pour fixer des objectifs géopolitiques précis à la diplomatie française dans cette région du monde. M. Blot, directeur du desk Europe du Quai d’Orsay au début des années 90, ressentait alors clairement cette absence de ligne directrice de la part du pouvoir politique.
On peut s’interroger longuement sur les causes d’un tel bilan. Les politiques français de gauche comme de droite ne comprenaient pas l’intérêt de nouer des liens rapprochés avec les futurs acteurs européens d’une politique méditerranéenne. L’immigration portugaise en France était-elle perçue comme un signe de faiblesse tel que la prise en compte de l’évolution du Portugal sur cette partie de l’échiquier géopolitique du monde semblait sans grand intérêt aux yeux des différents chefs de gouvernement qui se sont succédé depuis 1974 à Matignon (à l’exception de Michel Rocard) ? On peut dans ce domaine se risquer à une comparaison avec la perception par ces mêmes élites de l’immigration espagnole et italienne en France. Leur pays d’origine a été trop longtemps perçu à Paris comme des pays de seconde zone en raison de leur histoire politique contemporaine (fascisme italien, franquisme espagnol). Dans les trois cas de figure, Paris ne sut pas exploiter intelligemment les liens culturels de ces populations immigrées avec leurs pays d’origine et se contenta de les assimiler ou de les ignorer. Les traces de cette défaillance en termes d’intelligence cultuelle ont été récemment identifiées de l’autre côté de la Méditerranée à propos de l’échec de la vente des Rafale au Maroc.
Ce manque de vision stratégique sur le long terme a aujourd’hui un coût très lourd aussi bien sur le plan économique que sur le plan géopolitique. Le projet d’Union méditerranéenne de la France n’a de sens que s’il repose sur une alliance étroite de Paris avec les pays européens du Sud de l’Europe. Le manque de clairvoyance et d’humilité de la diplomatie française, et surtout des dirigeants politiques français, à l’égard du Portugal comme de l’Italie et de l’Espagne a considérablement limité notre capacité de faire passer les bons messages à Lisbonne, Madrid et Rome. Le cas du Portugal est un exemple parmi d’autres du déficit d’anticipation stratégique des élites françaises qui continuent hypocritement à tout miser sur le parapluie sécuritaire américain tout en pilotant à courte vue dans les restes de zone d’influence de la France. Devant la complexité des relations internationales actuelles, cette petitesse de la politique étrangère française risque de nous coûter très cher.