La tendance à l’effondrement du marché de la musique est confirmée depuis quelques années. Les professionnels du secteur attribuent ce recul à la chute des ventes de musique sur support physique. C’est toute la chaine industrielle liée à la vente de CD qui est concernée (producteur de musique enregistrée, presseur, éditeur et distributeur). Or, il apparait que les ventes de musique numérique, c'est-à-dire les ventes réalisées à travers une plateforme de téléchargement en ligne sur Internet, sont en nette hausse (en 2007 + 39,3%). La structure traditionnelle de production est ainsi complètement remise en cause. Si l’on compare l’industrie musicale à une industrie classique, on s’aperçoit que les coûts ne sont pas rationnalisés en fonction des gains de productivité mais en fonction de la préservation des performances de vente des produits les mieux vendus. Concrètement, les majors investissent essentiellement dans les artistes qui vendent depuis longtemps (ex : Johnny Halliday) ou qui sont soutenus pas une actualité médiatique importante sur le plan national (ex : Star Académie, la mode des reconversions : Agnès Jaoui).
En comparaison au modèle d’une industrie classique, la part investie dans la recherche et le développement est infime, voire inexistante en ce moment : les artistes confirmés assurent l’essentiel du chiffre d’affaire des majors. Ainsi, ils se permettent de coûter très cher car ils sont en position de force (frais d’enregistrement démesurés et frais de vie annexes pris en charge par le producteur). De plus, le système d’attribution des subventions intervient à tous les niveaux de la production (spectacles vivants, musique enregistrée) et profite beaucoup aux artistes les plus prisés. Les membres de jury des organismes de subventions, qui clament par ailleurs la transparence la plus totale dans leur choix des projets à soutenir, ne manquent pas de s’ajuster aux bonnes faveurs des subventions accordées à leurs structures de production personnelles. Cela reflète bien l’aspect irrationnel de ce marché, sclérosé par des professionnels de la rente, qui profitent d’un système subventionné sans objectivité. Les marges d’investissement pour des artistes débutants ne sont plus disponibles et l’innovation devient nulle.
C’est une des raisons qui contribuent au manque de vigueur de la puissance culturelle française sur le marché international de la musique. Mise à part quelques réussites (ex : Air, Daft Punk… qui chantent en anglais !) la France est peu présente sur le marché international comparée aux anglo-saxons. En effet, elle propose toujours les mêmes artistes ou les mêmes types de musique. Le système ne se renouvelle pas et la force de proposition culturelle française s’appauvrit un peu plus chaque année. Alors que faire pour sauver l’appareil culturel industriel et retrouver des perspectives ambitieuses ?
Voici une tentative de réponse, probablement incomplète :
La chaine de production de la musique enregistrée est remise en question puisque des intermédiaires tels que les sociétés de pressage tendent à voir leur chiffre d’affaire s’effondrer avec le nombre de ventes de disques. Les majors auront tendances à se recentrer sur les artistes qui vendent le mieux à travers leur circuit de distribution traditionnelle alors qu’il est de moins en moins efficace. Il faudrait changer le mode de distribution de manière franche et coordonnée avec l’ensemble des majors. Elles devraient alors se désolidariser de leurs intermédiaires habituels condamnés de toute manière à devenir obsolètes.
Il faudrait remettre en cause les schémas marketing qui sont profondément liés au packaging du disque et qui sont très ancrés dans le processus de vente : les artistes ont toujours sorti des albums physiques comportant, sauf exceptions, entre 8 et 12 titres alors qu’en format numérique on pourrait fluidifier la distribution des titres, par exemple en sortant deux nouvelles chansons par mois. On remarque de récentes initiatives audacieuses de groupes comme Radiohead ou Nine Inch Nails qui se sont démarqués de leur maison de disque en vendant leur album sur le web à un prix fixé librement par l’acheteur ! Cette stratégie est peut-être adaptée pour des groupes de stature internationale néanmoins elle a très bien fonctionné ! Dans le cas de Radiohead, le panier moyen a été évalué à 4 euros et même si 60% des internautes n’ont rien payé, le groupe a gagné 5 millions d’euros sans rémunérer les intermédiaires traditionnels. Au niveau de la diffusion, les majors rendent leur catalogue accessible gratuitement en streaming sur des plateformes gratuites (deezer). Les perspectives de la diffusion en streaming prendront probablement de l’ampleur avec l’augmentation des débits dans les réseaux internet et les réseaux mobiles. D’ailleurs, l’accès à ce type de site n’est pas autorisé à partir d’un mobile pour l’instant. Le public consomme différemment, notamment grâce à la musique en ligne, le téléchargement, la copie privée... Si on refuse ces nouveaux types de consommation (ce que certains appellent « le piratage »), on réfute alors une pratique populaire. L’attitude des majors semblent évoluer dans le bon sens.
Il faudrait modifier la gestion des subventions en les attribuant sur des critères et des indicateurs imposés par le législateur pour favoriser la production de masse et l’exportation des contenus culturels français. Il faudrait ainsi se recentrer sur des groupes en développement et favoriser les structures de production en fonction du contenu de leur catalogue et de leur présence sur le marché international.
La France doit être en mesure de proposer des contenus musicaux beaucoup plus variés et s’imposer en challenger sérieux sur des marchés étrangers. Sans surprise, l’artiste le plus diffusé en France en 2007 est Mika… et seulement 36% des diffusions radios concernent la musique francophone : cela ne gène personne. Il n’est pas question de nationalisme, ni de protectionnisme mais d’affirmation culturelle. Ce n’est pas facile de se renouveler quand l'élite française tend à s'extasier toujours des mêmes références. De plus, c’est toujours le même cercle de décideurs qui opère dans la production. La plupart des chefs de produit ou des directeurs artistiques sont d'une génération qui est complètement déphasée par rapport à la réalité des attentes des consommateurs. De plus, un certain snobisme s’installe dans le prestige tiré de la pathétique agitation médiatique provoquée par les émissions de téléréalité. N’ayant plus rien à prouver et uniquement leur position à conserver, ils se disent encore à la recherche de « l’artiste novateur » qui, au final, permettra seulement à l’élite de s’extasier sans remise en question.
Dans un monde de plus en plus global, il faudrait pourtant donner un avenir à notre expression culturelle. Il s’agirait de redonner une réalité à notre si « prestigieuse exception culturelle » ! Notre histoire, notre identité et nos valeurs seront préservées si elles sont portées par une force culturelle novatrice et élévatrice pour la jeune génération. Or, notre culture s’exprime dans un monde parfois réducteur ou la confusion des genres autorise n'importe quoi. L’esprit pionnier réapparaitra peut-être à l’occasion d’une introspection naïve mais moderne de nos valeurs. Lorsque la médiocrité des contenus aura lassé…
William Kowal
Sources :
http://www.disqueenfrance.com/snep/dossiers/2008_01_04.asp
http://www.disqueenfrance.com/snep/dossiers/2008_01_08.asp
http://www.nin.com/
http://www.inrainbows.com/