Nicolas Demorand, Grand Inquisiteur de France Inter

Celui qu’il conviendrait de surnommer « le Marc-Olivier Fogiel des ondes radiophoniques », Nicolas Demorand, animateur traditionnel du 7-10 sur France Inter, a dernièrement frappé en s’en prenant à Xavier Bertrand, Ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. L’animateur a littéralement, mais vainement, tenté d’arracher au Ministre une réponse au sujet du plus qu’éventuel (puisque déjà envisagé en 2003) allongement de la durée des cotisations pour la retraite à quarante-et-un ans.

Antécédents

http://grincheux.typepad.com/weblog/2007/09/nicolas-demoran.html).

Récidive

Mercredi 26 mars, Nicolas Demorand récidive donc. L’échange (si l’on peut dire) est trop long pour être retranscrit dans son intégralité, voici toutefois le sentiment général qu’il délivre : sur une radio de service public à la ligne éditoriale théoriquement impartiale, Nicolas Demorand s’est une nouvelle fois intronisé porte-parole non-officiel du Parti socialiste. La critique du gouvernement de droite s’est progressivement insinuée, au moyen de provocations caricaturales répétées face auxquelles Xavier Bertrand s’est efforcé de rester de marbre. Les trois questions consécutivement posées par l’animateur en début d’entretien visaient à déstabiliser le Ministre : « Adieu également les baisses d’impôt, c’est un tournant ça non ? » ; « Il faut laisser filer les déficits, c’est ce que semble dire François Fillon ? » ; « Martin Hirsch craint que le gouvernement ne laisse tomber le Revenu de solidarité active, que pouvez-vous lui répondre pour le rassurer Xavier Bertrand ? » . « Il y aura l’argent pour le financer [le RSA] ? »

 
Tu ne feras pas de faux témoignages

Nicolas Demorand aborde ensuite le thème central de la réforme des retraites, semblant vouloir pousser son interlocuteur à la faute « diplomatique », puisque Xavier Bertrand doit évoquer le sujet avec les partenaires sociaux le lendemain-même (jeudi 27 mars). Ci-après, la reproduction d’un extrait de l’émission dans lequel Nicolas Demorand tente donc une nouvelle fois de déstabiliser le Ministre, conscient que les syndicats sont opposés à l’allongement de la durée des cotisations à 41 ans, évolution qui avait été prévue lors du premier volet de la réforme des retraites en 2003, et à laquelle le Medef tient fermement. Le but de l’animateur était-il que la concertation du lendemain s’avère d’autant plus houleuse, dans la mesure où le Ministre aurait confirmé, avant même de les rencontrer, quelque chose que les syndicats refusent ?

Xavier Bertrand : Mais il n’y a pas que cela dans le rendez-vous des retraites.

ND : Il y a aussi ça.

XB : Mais il n’y a pas que cela !

ND : Oui, mais il y a aussi ça !

XB : Oui mais attendez, il s’agit de ne rien éluder, de toute façon sur les retraites vous avez pour…

ND (qui interrompt le Ministre) : Mais c’est acté quarante-et-un ans ? Qu’on sache un peu vers où on va !

XB : Attendez, attendez. Ne vous emballez pas, c’est un sujet qui demande à la fois de la concertation et du sang froid. Ce qui était indiqué, c’est que vous avez trois leviers sur les retraites : soit vous acceptez de toucher moins de pension de retraite, personne n'en veut. Soit vous acceptez de cotiser plus et ça, ça ne fait pas de bien au pouvoir d'achat. Soit, si on vit plus longtemps, il faut accepter de cotiser un peu plus longtemps. C'était la logique de 2003, c'est la logique de tous les pays européens. Et ce qui était dit en 2003, c'est que, sauf élément nouveau, nous passerons justement à 41 ans. A partir de demain je reçois tous les partenaires sociaux parce que je ne sais pas faire sans concertation, ça a toujours été ma méthode et ça le restera, je ne suis pas du genre à décider seul dans mon bureau, et je vais maintenant entendre les propositions, parce que nous avons des…

ND (qui interrompt une nouvelle fois le Ministre) : On se concerte ou on négocie sur ce sujet là ?

XB : C’est pas un débat sémantique, mais c’est une concertation.

ND (qui profère un cours magistral de français au cas où le Ministre ignore en quoi consiste son métier) : Il y a quand-même une sacrée nuance hein, se concerter c’est parler ensemble, négocier c’est essayer d’échanger des arguments, des contre-arguments, des propositions et des contre-propositions.

XB (qui ne va pas s’énerver pour autant) : Les partenaires sociaux souhaitent une concertation sur le sujet, mais nous allons avoir deux points importants : il va falloir des mesures généreuses […] mais nous avons aussi des mesures courageuses pour les financer, et j’attends des propositions sur les mesures généreuses comme sur les mesures courageuses parce que nous devons être les uns et les autres au rendez-vous de nos responsabilités. Mais alors il y a un autre point sur lequel je serai très attentif et très exigeant, c’est que pour moi l’enjeu numéro un c’est l’emploi des séniors. Aujourd’hui la retraite est à soixante ans, l’âge légal. On ne part pas à soixante ans en France, on part avant soixante ans, parce que de très nombreux séniors sont éloignés, écartés du marché du travail et aussi parce que de nombreux salariés se disent : si je suis en retraite, je suis à l’abri des crises économiques et sociales que nous avons connu. Nous avons besoin de redonner confiance, ça sera aussi l’un des enjeux de ce rendez-vous retraites qui commence dès demain rue de Grenelle.

ND (insistant) : Quarante-et-un ans, c’est négociable ou pas ?

XB : Je viens de vous le dire tout à l’heure, non mais attendez moi je ne laisserai pas résumer parce que je sens bien que c’est bien dans le paysage de dire « c’est uniquement quarante-et-un ans », c’est pas ça seulement la question. L’emploi des seniors : nous sommes aujourd’hui quasiment lanterne rouge…

ND (l’interrompant une troisième fois) : Non mais je suis d’accord Xavier Bertrand…

XB : Merci, je n’en attendais pas tant !

ND : J’ai entendu la complexité de la description que vous venez de faire et de l’ensemble des paramètres mais il y en a un qu’on ne peut pas enlever du paysage, pour reprendre votre image, c’est cette question de la durée de cotisations. Donc, quarante-et-un ans est-ce négociable ou pas ?

XB : Mais attendez, je viens de vous répondre tout à l’heure, je peux vous faire la réponse différemment. Nous avons aujourd’hui…

ND (qui, suffisant, l’interrompt pour la quatrième fois) : Un oui ou non, hein, me suffirait !

XB : Euh, c’est pas ma façon de faire la concertation. Nous avons dit en 2003 qu’il y aurait le passage à quarante-et-un ans sauf élément nouveau, à partir de demain je reçois l’ensemble des partenaires sociaux, ils vont me dire ce qu’ils proposent aussi comme mesures courageuses pour financer l’ensemble des mesures généreuses dont j’ai parlé tout à l’heure.

ND (sur un ton implorant et pseudo-solennel) : Quarante-et-un ans, vous pouvez me dire oui ou non, Xavier Bertrand…

XB (qui sent le moment de réagir venu) : Et vous, comment vous faites pour financer ?

ND : Ben, je… c’est ma question…

XB : Non, comment vous faites ?

ND : Combien de temps on travaille ? Est-ce qu’on travaille quarante-et-un ans ? Quarante-deux ? Quarante-trois ? Trente-neuf ? Quarante ? Enfin voilà, c’est quand-même des questions qui se posent !

XB : Non non, il y a des limites parce qu’on ne peut pas avoir le sentiment qu’on va travailler sans fin dans notre pays. Il y a des questions qui sont liées à la santé au travail, à la sécurité au travail, il faut aussi pouvoir donner davantage de perspectives aux français, mais je vous retourne la question : vous préférez toucher moins, cotiser plus ou travailler un peu plus longtemps ?

ND : Ben… on voudrait bien connaître les règles !

XB : Mais vous ?

ND : Non mais on aimerait bien connaître les règles, moi je vous réponds sur un chiffre si vous voulez. Mais vous ne m’avez pas répondu !

XB : Si, je vous ai dit tout à l’heure, c’est l’une des solution l’augmentation de la durée des cotisations, mais que pour moi l’un des enjeux prioritaires c’est l’emploi des séniors. Nous ne pouvons pas nous permettre en France aujourd’hui de rester quasiment lanterne rouge en Europe.

Coupure publicitaire, à laquelle succèderont les questions d’auditeurs au Ministre – auditeurs dont on est en droit d’imaginer qu’ils ont soigneusement été sélectionnés, tant ils se livreront à une critique graduelle des réformes prévues par la droite.

Si bien qu’au début de l’émission suivante (Service Public), Isabelle Giordano accueillait le Médiateur de la République Jean-Paul Delevoye venu s’exprimer sur le fonctionnement de l’administration, en lui promettant : « Je vous laisse répondre hein, je ne vais pas faire comme ce matin où on a entendu Xavier Bertrand sommé de répondre par des réponses courtes. »



Sources :

Le 7-10 du mercredi 26 mars, présenté par Nicolas Demorand sur France Inter.

Service Public du mercredi 26 mars, présenté par Isabelle Giordano sur France Inter.


http://www.lepoint.fr/actualites-politique/bertrand-refuse-de-confirmer

-le-passage-a-41-ans-de-cotisation/917/0/232164

http://www.challenges.fr/20080327.CHA9505/retraites__le_passage_a

_41_ans_de_cotisation_non_negoci.html

http://www.lexpansion.com/economie/actualite-economique/

retraites-convergence-syndicale-contre-le-passage-a-41-ans_149573.html