Les contradictions de la lutte contre la corruption en Pologne

La Commission européenne vient de rendre public deux rapports très critiques à l’égard des résultats réalisés par la Bulgarie et la Roumanie en matière de lutte contre la corruption. Les gouvernements roumain et bulgare sont mis sous pression par les institutions européennes pour accroître leurs progrès dans ce domaine. Selon l’ONG, Transparency International, le troisième Etat membre le plus corrompu de l’Union Européenne est la Pologne avec un indice de perception de la corruption (IPC) de 4,2. La Pologne, Etat anciennement socialiste, possède les mêmes caractéristiques que la Roumanie et la Bulgarie. La corruption a gangrené toutes les couches de la société pendant la période communiste et s’est ancrée profondément dans la mentalité polonaise. Mais la corruption est particulièrement présente dans la sphère politico-administrative. Or l’adhésion de la Pologne à l’Union Européenne l’a contrainte, pour respecter les critères de Copenhague, à acquérir un cadre législatif contraignant. On peut dire aujourd’hui que la Pologne possède une législation qui favorise la lutte contre la corruption et un outil particulièrement actif, le bureau anti corruption, créé en octobre 2006. Mais les crises politiques qui se sont succédé en 2007 nous laisse penser qu’il faudra plus qu’un cadre législatif et un organe exécutif pour que la lutte contre la corruption devienne enfin effective.  En effet, pendant les deux années où le parti Droit et Justice (PiS) était au pouvoir, il a connu toute une série de désaccords avec les différents partis composant la coalition. Entre septembre 2005 et septembre 2007, le PiS a gouverné soit en minorité, soit allié à Autodéfense-Samoobrona et à la Ligue des familles.


Les actions d’une pègre politique

Revenons sur quelques épisodes qui ont défrayé la chronique et qui sont l’illustration de l’importance de la corruption dans la sphère politico-administrative : en 2006, le leader d'Autodéfense-Samoobrona, Andrzez Lepper, est nommé vice-premier ministre, chargé de l'Agriculture. Son parti obtient aussi les Ministères du Travail et des Affaires Sociales. Mais en septembre 2006, le Premier Ministre, Jaroslaw Kaczynski, décide de limoger Lepper du fait de son opposition au budget et de la présence de troupes polonaises en Afghanistan. Le gouvernement de Jaroslaw Kaczynski est obligé de réintégrer Lepper dès octobre 2006. Kaczynski n'ayant pas dit son dernier mot, Lepper sera finalement évincé en juillet 2007 en étant accusé d'être impliqué dans une affaire de corruption. Mais dès août 2007, le ministre de la Justice Zbigniew Ziobro est accusé par d'anciens ministres d'avoir poussé le bureau anti corruption à poursuivre Andrzej lepper pour avoir participé à une affaire de versement de pots de vin dont l'enveloppe se compte en millions de zlotys, afin de faciliter illégalement certaines procédures administratives dans le but de céder certaines parcelles de terrain dans la région des lacs de Mazurie, opération qui n'aurait qu'une finalité commerciale. Or Andrzej Lepper n'a pas pu faire ce qui lui est reproché, puisqu'il n'a aucun lien direct avec cette affaire et cette transaction n'a jamais été réalisée. Le bureau anti corruption a donc été accusé de collusion avec le Premier Ministre du fait de l'absence de preuves. Tout laisse à penser qu'il s'agissait d'un piège politique dont l'objectif était d'écarter Andrzej Lepper du pouvoir pour récupérer sa formation politique.

Le 8 août 2007, le ministre de l'Intérieur Janusz Kaczmarek (PiS) est limogé du gouvernement. Il est accusé d'avoir fait échouer l’opération du Bureau central anticorruption contre le parti Autodéfense-Samoobrona. Le ministre est soupçonné d'avoir révélé des secrets d'Etat à l'un des hommes d'affaire les plus riches de Pologne, Ryszard Krauze. Arrêté le 30 août 2007, il est accusé d’entrave et de faux témoignage. Après avoir plaidé non coupable, il a refusé de témoigner. Janusz Kaczmarek avait eu le tort d’accuser le Gouvernement polonais d’utiliser les services secrets pour rassembler des informations sur la vie privée de leurs opposants politiques ainsi que des informations sur certains journalistes.

Les conséquences de la crise politique

La rupture de la coalition eut pour conséquence la tenue anticipée d’élections législatives et sénatoriales. Finalement, cette crise politique intervenait à un moment opportun pour les frères Kaczynski. Au plus haut dans les sondages, ils y virent l’occasion pour le Pis de devenir le parti majoritaire. Durant la campagne législative, le parti Droit et Justice a d’ailleurs utilisé la lutte contre la corruption comme thème central de sa campagne. Avec une participation de plus de 55 %, les électeurs polonais se sont massivement rendus aux urnes, ce taux n’ayant pas été enregistré depuis la chute du communisme en 1989. Ce vote sanction des électeurs à l’égard de l’ancien Premier ministre illustra le ras le bol général des polonais à l’égard des malversations du PiS. La Plate-forme civique (PO), le parti de centre droit de Donald Tusk, sortit vainqueur des élections anticipées en remportant 209 sièges sur les 460 au Parlement. Avec les 31 sièges du Parti populaire polonais, le nouveau gouvernement détient la majorité nécessaire pour lui permettre d’adopter de nouvelles réglementations.

L'arrivée au pouvoir de Donald Tusk du PO en octobre 2007 entraîna dès décembre de la même année la tenue d'enquêtes sur le bureau anti corruption, et plus particulièrement sur son directeur, Mariusz Kamiski, du parti Droit et Justice (PiS). Il fut accusé d'avoir confondu le travail de directeur du bureaun de lutte contre les discriminations avec celui de la cause politique de son parti. Le dossier qui le met en cause a été constitué par la ministre Julia Pitera, responsable des affaires de corruption, et le ministre de la justice, Zbigniew Chlebowski, appartenant à la formation politique de la Plate-forme Civique (PO).  Certains y voient l'occasion pour le PO de se débarasser des vestiges du PiS après sa défaite aux élections législatives. De plus, au même moment, le PO a publié un rapport accusant le parti Droit et Justice de corruption. Selon ce rapport, des biens immobiliers du PiS ont été acquis par l'obtention d'actions d'Etat et ce sans aucun coût, pendant les années 90. La Fundacia Prasowa Solidarnosc a été créée par l'ancien Premier Ministre, Jaroslaw Kaczynski, et a acquis les droits de propriété de parcelles à Varsovie, qui sont depuis le quartier général du PiS. Ces droits ont été acquis pour une somme ridicule et il n'y a eu aucun appel d'offres public. Cette affaire entre en contradiction flagrante avec les déclaration du PiS qui dénonce régulièrement la vente de biens immobiliers moyennant un arrangement à des prix très bas à des oligarques polonais. Le rapport du PO démontre donc que le PiS est impliqué dans des affaires de corruption et plus particulièrement Jaroslaw Kaczynski, qui a utilisé ses fonctions politiques à des fins d'enrichissement personnel.

Ces différents exemples de l'actualité polonaise nous laissent donc penser que la vie politique polonaise est toujours dominée par la corruption, malgré son cadre législatif contraignant, mais sous deux formes distinctes. La corruption est présente au sein du plus haut niveau de l'Etat. De nombreux hommes politiques des différents partis utilisent leur pouvoir à des fins purement personnelles. Mais la corruption est aussi utilisée comme une arme pour discréditer et décrédibiliser certains hommes politiques et donc leurs partis ; ces accusations mensongères étant généreusement relayées par les médias.

La lutte anti-corruption dans le...football 

Ce qui a poussé l'actuel Premier Ministre polonais, Donald Tusk, a annoncer dès son arrivé au pouvoir un changement radical dans la façon de gérer les affaires politiques. Il s'est engagé à substituer aux années de corruption du PiS une nouvelle ère politique, débarrassée de toutes ces affaires de malversations. Mais la corruption ne touche pas seulement la sphère politique. Elle est particulièrement présente dans les milieux qui brassent beaucoup d'argent, comme le football. En janvier 2008, un nouveau club de football de première division, le Widzew Lodz, a été reconnu coupable d'avoir corrompu les arbitres de 12 rencontres du championnat de Pologne au cours de la saison 2004-2005. Il va être relégué en 2ème division dès la saison prochaine avec six points de pénalités et une forte amende. En décembre 2007, deux clubs de 1ère division, Arka Gdynia et Gornik Leczna, avaient déjà été relégués pour des faits similaires. Dix sept personnes, dont des arbitres et des responsables de la Fédération, ont été condamnées à de la prison avec sursis.

Audrey de la Tribouille