Le sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Bucarest du 2 au 4 avril dernier a été le théâtre du jeu des puissances. L’acceptation de l’entrée dans l’OTAN des anciennes Républiques soviétiques, Ukraine et Géorgie, a été l’alibi pour un affrontement direct et indirect entre les Etats-Unis, la Russie et l’Europe. Dès avant et pendant le sommet, les déclarations ont été nombreuses pour influencer les décisions à prendre dans ce sommet.
Avant le sommet, la pression a été mise sur l’Europe pour l’amener à accorder l’entrée future de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’OTAN. Anatoli Grytsenko, ancien ministre de la Défense d’Ukraine et aujourd’hui président du Comité pour la défense de la Rada ukrainienne, a ainsi donné son sentiment sur les réticences allemandes et françaises quant à l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan : « Je ne comprends pas pourquoi la France a tellement peur de la réaction de la Russie. […]Si vous ne donnez pas de signe positif à l’Ukraine, ce sera une victoire de la politique de pression russe, qui nourrira la paranoïa russe au lieu de la guérir ». De même, le Président Georges W. Bush déclarait : « la Russie n’aura pas de droit de véto sur ce qui se passera à Bucarest ». Le Président géorgien, Mikhail Saakachvili, favorable à l’adhésion de son pays, estimait de son côté qu’un non renforcerait la Russie. Face à ces multiples pressions, la France a réagi par l’intermédiaire de son Premier ministre François Fillon qui déclarait le 02 avril à propos de l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie : « ce n’est pas la bonne réponse à l’équilibre des rapports de puissance en Europe et entre l’Europe et la Russie ».
Pendant le sommet, les pressions ont continué sur les pays européens défavorables à ces adhésions. Bruce Jackson, fondateur et président du Project on Transitional Democracies, groupe de réflexion néoconservateur, a ainsi prôné l’adhésion de l’Ukraine, de la Géorgie et de la Macédoine, afin d’assurer la stabilité interne de ces Etats comme la stabilité de cette partie de l’Europe, et s’est interrogé sur le possible vide politique entre l’Europe et la Russie et l’instabilité qui pourrait en résulter, si ces trois Etats n’étaient pas intégrés. La guerre de l’information a également fait son apparition via le camp pro-russe avec des manifestations anti-OTAN en Ukraine par des orthodoxes. Des images de femmes âgées avec des croix orthodoxes protestant contre l’entrée éventuelle de l’Ukraine ont été diffusées. La religion tenant une place importante dans le pays, c’était un moyen de pression interne fort et une manière de montrer la mobilisation et l’opposition des populations pour influencer la décision de l’Europe.
Face à ces multiples pressions, l’Europe, via la France et l’Allemagne, a su imposer une solution de compromis pour ne pas totalement affaiblir Bush tout en montrant que la Russie ne disposait d’aucun droit de véto sur ses anciennes Républiques soviétiques. L’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie est donc différée. La présentation de l’argument est importante dans la guerre de puissance que se livrent les différents grands ensembles. La France, par la voix de son Président, a pu ainsi mettre en avant que l’Alliance atlantique faisait « une plus grande place à l’Europe » et que l’Europe était capable de se faire entendre si elle savait être solidaire. Néanmoins, Vladimir Poutine a réaffirmé à l’issue du sommet que « l’apparition d’un bloc puissant à nos frontières sera considérée en Russie comme une menace directe contre notre sécurité ». Cette déclaration, au-delà de la réaffirmation de la position russe sur un plan international, permet au président russe de montrer à son peuple qu’il achève son mandat sur une victoire face aux Etats-Unis, pour l’affirmation de la puissance de la Russie. En effet, comme le décrit le politologue bulgare Ivan Krastev, « la nouvelle politique russe se fonde sur deux hypothèses et un calcul : le déclin de la puissance américaine est irréversible ; les Etats-nations souverains détermineront le futur de l’Europe, l’Union européenne n’étant qu’un phénomène temporaire ; l’Occident est en train de perdre son monopole sur le processus de mondialisation. Du coup, la prochaine décennie offre à la Russie une fenêtre d’opportunité pour restaurer son influence sur la scène internationale ». Dans cet affrontement de puissance, celui qui ressort le plus affaibli est très certainement Georges W. Bush. En effet, pour la première fois, une initiative portée à l’OTAN par les Etats-Unis a été rejetée, ou tout au moins différée. Les Etats-Unis sont aujourd’hui obligés de composer et d’accepter certaines des positions de leurs alliés européens comme la France pour pouvoir compter sur leur aide en Afghanistan ou en Irak.
Bucarest aura donc été le lieu et l’alibi d’un véritable affrontement entre puissances. Si l’Europe a su d’une certaine manière tirer son épingle du jeu, c’est bien notamment le développement et la concrétisation d’une vraie défense européenne qui reste primordiale pour asseoir sa position de puissance, influente et indépendante.
M.D.
Sources
Le Figaro : 1er, 2, 3 et 4 avril 2008
La Croix : 3 et 4 avril 2008
Direct Matin : 3 avril 2008
Les Echos : 7 et 10 avril 2008