La ville de Naples ressemble de plus en plus à une décharge géante en raison de la fermeture de sites de traitement de déchets. La presse semble découvrir ce phénomène mais la crise des déchets se répète depuis quatorze ans dans la région de Naples. Cette crise est régulièrement imputée à l’implication de la mafia dans le traitement des déchets mais aussi à l’incapacité du gouvernement à régler la crise de manière pérenne. Les centres de retraitements de déchets (CDR) sont au cœur du problème des déchets à Naples car ils sont le lieu où ces déchets sont traités et mis sous forme de lingots afin d’être brulés dans le futur. Mais la région ne dispose pas encore d’incinérateur pour les bruler le premier devant être mis en route dans l’année. Le stockage se fait alors dans des CDR qui débordent et ainsi la mafia loue des décharges sauvages comme zone de stockage où des déchets toxiques et même radioactifs sont mêlés à des déchets domestiques sans aucun respect des normes.
Une situation de plus en plus critique
La crise régulière qui secoue la région de Naples est effectivement imputable au rôle de la mafia qui collecte de manière illégale des déchets a travers toute l’Italie et vient les déverser aux alentours de Naples. Contrairement aux entreprises légales, la Camorra (mafia napolitaine) accepte de collecter des déchets toxiques sans contrôles et à des prix défiants toute concurrence. Ensuite elle déverse des déchets de toute sorte de nature (industriels et domestiques) dans la campagne napolitaine où La population napolitaine dénonce des déchargements de camions la nuit dans des décharges sauvage. En effet la Camorra loue des terrains à des paysans pour des sommes dérisoires afin de creuser des décharges sauvages mais bien souvent se sont des déchets toxiques qui semblent être enfouis.
Mais aujourd’hui différents acteurs se mobilisent pour gêner l’action du gouvernement dans la résolution de la crise. En effet tout d’abord la population craint pour sa santé et bloque la réouverture des sites désignés par le gouvernement comme sites de stockage provisoires en attendant l’ouverture des incinérateurs. Ces incinérateurs sont justement les vecteurs déclencheurs de la mobilisation des écologistes qui arguent que ces fours seront catastrophiques pour l’environnement. Les chefs d’entreprises (de l’industrie principalement) qui laissent faire et travaillent avec la Camorra deviennent la cible de critique de l’opposition politique du gouvernement et par rayonnement le gouvernement devient la cible de critiques de plus en plus nombreuses. Enfin la Commission Européenne presse le gouvernement de régler la crise mais sur un point de vue écologique et de gestion de déchets et non de régler la crise de gestion des réseaux parallèles de traitement des déchets, autrement dit la mafia napolitaine.
La crise s’envenime donc et ne reste pas cantonnée à l’écologie mais devient une crise potentielle de santé publique En effet les tonnes de déchets abandonnés dans les rues présentent un risque de propagation de maladies. Les tas de déchets laissent flotter une odeur pestilentielle dans les rues ce qui pousse la population à y mettre le feu et ainsi peut provoquer une pollution de l’air. Mais il ne faut pas oublier le risque de la proximité des décharges sauvages gérées par la mafia avec les habitations. Par exemple en 1996, la principale décharge de Naples, située dans le quartier de Pianura, est saturée et jugée extrêmement polluante par les autorités qui décident de la fermer. Le premier incinérateur de la région n'entrant en fonction qu'en 2009, les déchets sont alors stockés dans d'autres décharges et centres de retraitement, qui sont rapidement saturés. Fin décembre 2007, les éboueurs ne savent plus où mettrent les ordures: dans l'urgence, les autorités italiennes décident de rouvrir le site de Pianura. En attendant, les déchets s'accumulent dans les rues. La mortalité y est supérieure de 9% pour les hommes et 12% pour les femmes aux abords de la décharge de Pianura (périphérie de Naples) où pendant des années les camions (de la mafia) passaient la nuit pour décharger des déchets toxiques comme dans des dizaines d’autres décharges. Le gouvernement qui veut rouvrir ces sites afin de gérer la crise en urgence se retrouve donc confronté à la population qui s’y oppose
Enfin le dernier risque qui pourrait être engendré par la crise des déchets mais non des moindre est celui d’une crise économique. En effet les producteurs de primeurs voient une baisse importante de leurs ventes à cause de la crainte de contamination par le sol de leurs produits et la population ne consomme plus dans les bars et restaurant dans les quartiers touchés par l’amoncellement des déchets.
Un début de sortie de crise, mais quelle crise ?
La Commission européenne a demandé le 28 janvier dernier à l’Italie de régler la crise en un mois. Mais quelle est la crise de fond ? Est-ce le nettoyage de la ville ? Gérer les déchets de manière pérenne ? Ou tarir la source des problèmes qui semble être la mafia ?
« La Commission a envoyé à l'Italie un dernier avertissement écrit à l'Italie, par le biais d'un avis motivé, afin qu'elle règle au plus vite la crise des déchets que connaît actuellement la région de Naples, la Campanie. Il s'agit d'une dernière recommandation avant d'engager une procédure devant la Cour de justice européenne. La situation en Campanie est intolérable et je comprends parfaitement le mécontentement des habitants, qui sont inquiets pour leur santé. Il est essentiel que les autorités italiennes prennent des mesures non seulement pour régler la crise actuelle, comme ce qu'elles sont en train de faire, mais également pour mettre en place l'infrastructure de gestion des déchets nécessaire pour trouver une solution durable à des problèmes qui remontent à plus d'une décennie, a souligné dans un communiqué M. Stavros Dimas, membre de la Commission chargé de l’environnement. »
Gianni De Gennaro, ancien chef de la police, a été nommé par le gouvernement le 8 janvier commissaire - ou préfet - extraordinaire avec pour mission de résoudre dans les quatre mois la crise des déchets qui a éclaté en décembre en Campanie. Le premier volet urgent à régler est le nettoyage de la ville afin de la rendre à nouveau vivable pour la population. Pour ce faire le gouvernement, via l’ambassade d’Allemagne a signé un contrat d’incinération des déchets en Allemagne à hauteur de 250 000 tonnes. Hors les estimations les moins pessimistes parlent de plus de 100 000 tonnes qui jonchent les rues de la ville. Monsieur De Gennaro a aussi annoncé l’ouverture de trois anciennes décharges et de trois centres de traitement équitablement répartis entre les provinces de Campanie et qui pourraient accueillir un million de tonnes de déchets. « Partout dans le monde, on construit à proximité des CDR incinérateur et décharges, afin d'éviter frais de transport et pollution. Au lieu de ça, on a dispersé les sites, ce qui a permis aux camions de la Camorra de faire du profit. La population ne voulant pas, en plus, d'incinérateurs, les politiques ont abdiqué, par démagogie. Résultat : on a fait des pyramides aztèques d'écoblocs. » Mais cette proposition de construire des incinérateurs posent un problème ; celui des associations écologistes. En effet les écologistes semblent ne pas réaliser que la question cruciale est : incinérateurs vs décharges sauvages ? Et ce qui est d’autant plus surprenant ici c’est que ces incinérateurs accusés de polluer seraient un moyen d’éviter la pollution par le sol actuellement fréquent tant à cause des décharges légales que sauvages qui sont justement condamnées par la population.
Une solution déjà testée annonce-t-elle un nouveau fiasco ?
La solution allemande est malheureusement déjà utilisée par l’Italie qui envoie depuis quelques temps environ 2000 tonnes de déchets de toute la Campanie chaque jour en Allemagne pour qu’elles soient incinérées mais cela n’a pas évité la crise actuelle. De plus cette solution est extrêmement onéreuse. Le gouvernement italien à donc demandé à l’Allemagne une réduction du coût qui propose en échange d’une baisse de prix, un contrat sur 15 ans. Cette négociation est doublée de la proposition allemande de décrocher le contrat de construction d’une nouvelle centrale d’incinération. Cette proposition allemande n’a pas encore été validée mais le refus des différentes provinces italiennes de se charger des déchets de Naples pourrait faire pencher le gouvernement en faveur de la solution allemande. Il est important de noter que paradoxalement la Campanie reçoit des déchets de toute l’Italie à cause de l’implication de la Camorra.
En conclusion l’Italie ne gère pas la crise sous le même angle que la Commission Européenne. En effet lorsque l’Italie a nommée le nouveau responsable, elle a recruté l’ancien chef de la police alors que c’est la direction générale à l’environnement de l’UE qui communique. Cela montre une différence de perception de la crise entre l’Italie et ses voisins. L’une considère que cela doit être géré par la police et la justice alors que l’Union Européenne le voit sous l’angle environnemental. Sans doute faudrait-il une concertation des deux domaines de compétence afin de trouver une solution de long terme mais qui doit être mise en œuvre dans l’urgence. Roberto Saviano chef du pool anti-Camorra du parquet de Naples estime que la Camorra continuera à gérer les déchets, car elle est la plus efficace dans ce domaine, « avec le soleil ou la pluie, dans l’urgence ou dans l’apparente normalité, quand elle suit le mieux ses intérêts et que personne ne s’intéresse à son territoire, quand le reste du pays lui confie ses propres poisons pour un prix imbattable et croit pouvoir s’en laver les mains et dormir tranquillement.» C’est donc cette efficacité qui est à traiter en priorité. L’efficacité et les coûts des entreprises légales sont un frein à la résolution de la crise d’autant plus que la plupart des entreprises (CDR) sont infiltrés par la mafia afin de les rendre moins compétitives que celles, illégales, gérées par la mafia. Le gouvernement est donc confronté à une mafia très bien organisée pour profiter de la crise des déchets, voire l’envenimer mais la réponse apportée par l’Italie de dessert pas nécessairement les entreprises de la Camorra mais surtout ne bloque pas leurs réseaux de collecte ou de stockage tant que la population ne tire pas la sonnette d’alarme car cela leur permet de ne pas être obligé de gérer frontalement le problème non pas du stockage mais bien de la destruction des déchets. Cette même destruction de déchets, dans le plan du gouvernement continuerait à enrichir la mafia et ne résoudrait en rien le problème.
Jérôme Fravalo