L’avenir de l’Armée Populaire de Libération face à l’US Army

Depuis longtemps maintenant, la Chine est l’objet de toutes les attentions des pays occidentaux à la fois en bien et en moins bien : l’attrait de ce pays exotique en plein développement en séduit plus d’un, mais les velléités de remise en cause de la suprématie occidentale joue comme une régulière douche froide sur les relations avec l’Empire du Milieu. Car depuis près de dix ans, les sommes consacrées par la Chine à sa défense sont en constante augmentation : avec 57 milliards de dollars estimés pour 2008, l’Armée Populaire de Libération (APL) a connu une augmentation de son budget de 17,6% par rapport à 2007 (1) ; de 1996 à 2006, le budget à augmenté de 11,8% par an (2). Mais ces chiffres officiels ne couvrent pas, selon les Etats-Unis, l’ensemble des dépenses de défense chinoises qui seraient en réalité plus proche de 100 milliards de dollars par an.


Dépenses militaires chinoises de 1996 à 2007 en milliards de dollars (3):



Ces dépenses sans cesse croissantes s’accompagnent d’une refonte du secteur de l’armement (4). Tout en restant sous la direction de l’Etat, plusieurs entreprises virent leur autonomie grandir, telle que l’Aviation Industries of China ou bien la China Aerospace Corporation. La Commission on Science, Technology, and Industry for National Defense (COSTIND) joue de plus un rôle central dans le maintien de la domination de l’Etat dans le domaine des forces nucléaires, dont la chaîne de production reste sous contrôle étatique direct.

Ces restructurations et ces choix financiers en faveur des armées ont des conséquences non négligeables pour la valeur des forces chinoises : le F-15 et le F-16, les principaux avions de combat de l’US Air Force, sont aujourd’hui concurrencés par le Su-27, que la Chine achète en Russie et construit également sous licence, et le tout nouveau J-10 ; dans le domaine des missiles antinavires, le Harpoon est concurrencé par le C-802, utilisé avec succès par le Hezbollah en juillet 2006 contre une corvette furtive israélienne ; et les principaux missiles air-air américains sont aujourd’hui à égalité avec leurs équivalents chinois (5).

Tout ceci semble indiquer que la Chine maîtrise de plus en plus les technologies nécessaires aujourd’hui à tout pays cherchant à acquérir les moyens d’une puissance militaire digne de ce nom. Si certains points restent encore délicats, essentiellement la question des porte-avions et des sous-marins nucléaires, la Chine semble tout à fait être sur le point de développer les moyens militaires modernes adéquats à sa volonté de reconnaissance en tant qu’acteur régional central, mais aussi dans la conduite des affaires mondiales. Pourtant, qu’en est-il réellement ? L’adaptation chinoise aux conditions de la guerre locale de haute technologie sous l’impulsion de Deng Xiaoping à la fin des années 80, puis le choc causé par la guerre du Golfe de 1991, qui a démontré la puissance des armes développés par les Etats-Unis au cours de la Guerre Froide, n’ont-ils pas poussé les décideurs politiques et militaires chinois à adopter un mode de raisonnement les enfermant dans un processus de course aux armements ruineux ? Et si les Etats-Unis entretenaient, par leur capacité à dégager d’importants financements pour leur complexe militaro-industriel, une course aux armements qui se révélerait néfaste pour la Chine tout comme pour l’URSS dans les années 80 ?

La richesse de l’approche stratégique chinoise n’est pourtant plus à démontrer. L’intérêt pour la pensée chinoise, que traduit l’omniprésence de Sun Tzu dans les ouvrages actuels portant sur les questions de défense et de sécurité, montre son originalité et sa pertinence. Pourtant, à la lecture d’ouvrages comme La guerre hors limites (6), on peut être surpris par le relatif manque d’originalité de la pensée qui y est développé. Si considérer que la finance puisse être une arme reste novateur, il n’en demeure pas moins que la théorisation de l’utilisation d’outils économiques par les Etats à des fins de puissance est issue de la pensée géoéconomique développée par Edward Luttwak et reprise en France, entre autre, par Pascal Lorot (7). De plus, donner toute son importance aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) est sans doute essentiel, mais là encore les Etats-Unis sont en avance : au cours des années 1990, le général Shalikashvilli, chef d’état-major interarmes de 1993 à 1997, a mis au point le concept de « blindage informationnel » des forces, qu'autoriserait la densité des réseaux de communication propres aux plateformes de combat, ces derniers permettant de protéger les forces amies des attaques grâce à une complète situational awareness du champ de bataille. Dès lors, l’adaptation de l’APL à ce nouveau paradigme de la guerre réseau-centrée, exploitant les réseaux informatiques (8) ne serait-elle pas le contraire de la réussite chinoise de s’émanciper de la tutelle mondiale américaine ?

Cette constatation démontre un point important, à savoir que les Etats-Unis se positionnent résolument sur la maîtrise le plus en amont possible des processus de réflexion et de conceptualisation. L’influence et le formatage des logiques de pensée est ce qui permet avant tout de maîtriser l’apparition de nouveaux concurrents sérieux. S’ils pensent comme vous, quel réel danger y a-t-il à les voir développer de nouveaux outils ? Bien sur, les Etats-Unis pourront toujours être dépassés par leurs élèves, ce qui arrivera tôt ou tard. Mais il n’en demeure pas moins qu’en déplaçant la question sur le terrain des idées et non plus uniquement sur le plan de la puissance industrielle, les Etats-Unis réussissent à esquiver la majeure partie des contestations adverses : la puissance du réflexe atlantiste au sein de l’Union Européenne en est une preuve. De plus, les Etats-Unis ont déjà explicitement monté de telles opérations (9) d’influence globale, à la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe et au Japon. L’américanisation de la pensée stratégique chinoise est sans doute le meilleur atout pour les dirigeants américains dans le futur pour garder leur avance dans la course géostratégique avec l’immense Empire du Milieu.

Guillaume Desmorat










http://www.rfi.fr/actufr/articles/099/article_63503.asp

http://www.globalsecurity.org/military/world/china/budget.htm

3 Annual Report to Congress, Military power of the People’s Republic of China 2008,

Office of the Secretary of Defense, page 31,

http://www.defenselink.mil/pubs/pdfs/China_Military_Report_08.pdf

http://rand.org/pubs/testimonies/2006/RAND_CT256.pdf




5 Ibid, page 7.




6  Qiao Liang et Wang Xiangsu, La guerre hors limites, Rivages, 2003




http://www.archives.diplomatie.gouv.fr/cap/ressource/FD001147.pdf




8 Voir les prévisions d’acquisition de moyens de lutte informatique et l’activisme soupçonné

des hackers chinois contre des pays européens :

http://www.chine-informations.com/actualite/la-chine-a-un-plan-de-cyber-

attaques-contre-les-porte-avions_7486.html

http://www.chine-informations.com/actualite/larmee-chinoise-piraterait-des

-ordinateurs-du-gouvernement-allemand_7395.html




http://meridien.canalblog.com/archives/2006/11/30/3307030.html)

http://japanfocus.org/products/details/2671).