Malencontreux amalgames sur France Inter


Jeudi 06 mars 2008, 07h16.

L’émission quotidienne « Le 7/10 » débute avec une série d’amalgames préjudiciables pour la connaissance de ce qu’est l’intelligence économique. Noble par essence, la discipline est assez peu connue du grand public. Il s’agit alors que celui-ci en obtienne une image adéquate, désincarnée d’une espèce de mythologie fantasmatique qui propose l’option séduisante d’associer le renseignement économique à un imaginaire proche de celui de Faust marchandant avec Méphistophélès. Or, il n’en est rien. Voici donc retranscrits les termes choisis par Thierry Steiner pour introduire un sujet sur une enquête judiciaire dont deux cabinets d’intelligence économique font actuellement l’objet. Le sujet est intitulé… L’espionnage industriel ! (sic)


« Deux cabinets d’intelligence économique font actuellement l’objet d’une enquête judiciaire. On a découvert il y a quinze jours qu’ils avaient eu recours à des méthodes illégales pour fournir des informations à l’ex DCN – groupe d’armement français –, des méthodes illégales mais visiblement courantes dans le milieu des barbouzes français. Alors Etienne [Monin], comment sortir de cette hypocrisie ? ». Les faits sont les suivants : les deux cabinets d’IE, comptant parmi leurs rangs d’anciens gendarmes, ont fait appel à un commissaire de police pour qu’il leur fournisse des extraits de casier judiciaire utiles à leur enquête, en échange de quoi il recevait une enveloppe de 1000 euros. Ce dernier, découvert et poursuivi pour corruption et violation du secret professionnel, pense être tombé dans un piège et avance que « globalement ça se passe, je dirais, de façon courante, dans de nombreux services où d’anciens policiers ou gendarmes à la retraite, en disponibilité, veulent toujours avoir accès à des fichiers pour les besoins d’enquêtes privées ou économiques. » ; et Etienne Monin de conclure : « Voilà l’arrière-cuisine, et le rideau est déchiré grâce aux enquêtes. »

Peu après intervient Hervé Séveno, ancien de la DNAT (Division nationale anti-terroriste) et de la Brigade financière, actuellement président du cabinet I2F, Conseil en stratégie opérationnelle et management du risque. Celui-ci qualifie d’ « incestueuses » les relations entre monde étatique du renseignement et intelligence économique, où il précise que « tous les coups sont permis. » En quelques minutes, c’est l’intelligence économique tout entière qui se trouve soupçonnée d’être un milieu douteux. Difficile de rester insensible face à de tels propos, et cela pour plusieurs raisons.

D’abord, parce que France Inter est une radio de service public qui se doit de respecter une certaine déontologie dans sa pédagogie. Or, quoi de plus maladroit que d’associer à l’intelligence économique le champ lexical de la barbouzerie, soit exactement l’inverse de ce dont les praticiens de la discipline se revendiquent ! Consciemment ou non, Thierry Steiner emploie l’une des méthodes de l’influence : l’intoxication, qui a pour objet d’inoculer de faux éléments dans un discours global lui-même respectueux du réel, afin d’insinuer chez le récepteur du message une idée faussée de la réalité sans qu’il s’aperçoive de cette manipulation dont il est la victime. En effet, partant d’un fait dont il ne s’agit évidemment pas de nier l’authenticité (tous les milieux connaissent des dérives et l’on ne saurait jamais assez remercier la justice de faire son œuvre), France Inter semble accuser l’intelligence économique dans sa globalité de sombrer dans les excès illégaux de l’espionnage industriel.

Or, le principe de l’intelligence économique est d’avoir exclusivement recours à des méthodes qui, si elles ne peuvent toujours être conventionnelles, demeurent parfaitement légales – ce en quoi elle se distingue justement de l’espionnage industriel. Mieux encore, les bons professionnels de l’intelligence économique revendiquent la nécessité de respecter un cadre de déontologie éthique et légal, et l’enseignement dispensé en la matière par les intervenants de l’Ecole de Guerre Economique à Paris, du Ceram de Sophia Antipolis ou du master IE de Poitiers dirigé par Nicolas Moinet est sans équivoque : toujours agir dans un cadre moral, ne jamais vendre son âme au diable, refuser les missions illégitimes ou qui nécessiteraient des pratiques illégales, rejeter les élucubrations mythomanes de la mauvaise engeance du milieu, frustrée de ne pas être James Bond.

Ce matin là, tous ceux qui croient en une pratique saine de l’intelligence économique auraient voulu formuler le même message à France Inter. A l’avenir, nous serons reconnaissants à cette chaîne de radio de choisir les mots avec davantage de professionnalisme.



Erick Schneider