« Les mouvements islamistes, des armes aux urnes »

La revue trimestrielle MAGHREB-MACHREK (éditions Choiseul) propose dans son numéro 194 – Hiver 2007-2008 – un dossier intitulé « Les mouvements islamistes, des armes aux urnes » sous la direction de Samir Amghar, chercheur à l’Institut d’études de l’islam et du monde musulman et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Cette étude est composée de quatre articles dont une synthèse est proposée ci-dessous.

« Les partis musulmans en Algérie : structures révolutionnaires ou partis de gouvernement ? »

Cet article démontre que les partis musulmans algériens ont profondément évolué, depuis leur création dans les années 1970 à aujourd’hui. Ils se sont démarqués des jihadistes des Groupes islamiques armés (GIA), de l’Armée islamique du salut (AIS) et du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) et sont passés d’une posture « d’opposition radicale à une logique participationniste avec le régime, de la violence politique à l’expression de revendications démocratiques, et du refus du compromis culturel au dialogue avec les puissances occidentales ». Trois formations politiques constituent le mouvement islamiste en Algérie : an-Nahda, le Mouvement pour la société et la paix (MSP) et le Mouvement de la réforme nationale (MRN ou al-Islah). L’évolution de ces partis montre qu’ils ont pris  notamment en compte les échecs du Front islamique du salut (FIS) et qu’ils n’aspirent plus à une révolution islamique, un Etat islamique. De même si la religion reste centrale dans leur idéologie, ce ne sont plus des partis religieux mais des partis politiques dont un certain nombre de membres font partie du gouvernement.

« Les Frères musulmans égyptiens et la modération »

La situation en Egypte se présente de manière différente de celle de l’Algérie. Historiquement, les Frères musulmans ont d’abord eu un visage de violence (fin des années 1940), visage qui a évolué suivant la considération dont faisait preuve le pouvoir à leur égard. Néanmoins, le pouvoir égyptien ayant toujours été fortement autoritaire, ils ont du se résoudre à entrer dans le jeu « démocratique » à partir de 1984 pour exister et éviter la répression systématique. Mais la confusion s’installant dans les discours par rapport à l’islamisation de la société, les Frères musulmans disparaissent de la scène politique dans les années 1990. Après 2000, ils vont revenir progressivement avec une place de plus en plus importante au cours des différentes élections, mais sans qu’ils aient la possibilité démocratique d’influer sur une quelconque décision du gouvernement. Ils apparaissent donc comme une sorte d’alibi pour le pouvoir, et n’ont d’autre solution que de se contenter de cette position face à un pouvoir répressif qui ne leur consent que celle-là.

« Le Hamas, des islamistes au pouvoir »

Emanation du mouvement des Frères musulmans égyptiens, le Hamas, mouvement islamiste créé en 1987, a d’abord eu une vocation sociale. Opposé à la reconnaissance d’Israël, il s’est toujours positionné comme farouchement contre les accords d’Oslo signés par l’OLP. L’Autorité palestinienne est créée après ces accords, mais les tensions très vives et les risques de guerre civile conduisent le Hamas et le Fatah à adopter une solution de compromis en se répartissant les responsabilités gouvernementales, le Hamas retrouvant alors sa vocation sociale.  Après la mort de Yasser Arafat en 2004, des élections locales sont organisées en 2005 qui voient la victoire du Hamas, tout comme lors des élections législatives de 2006. La formation d’un gouvernement du Hamas, s’il entraîne des évolutions dans le discours avec notamment la volonté de construire un Etat et de renforcer l’union nationale, ne modifie pas la lutte contre Israël, thème fondateur du Hamas.

« Rester le même tout en devenant un autre : les « islamistes » tunisiens exilés en France »

Ce quatrième article propose d’analyser la position des « islamistes » tunisiens du MTI (Mouvement de la Tendance Islamique puis Parti de la Renaissance en 1988 ) ou Ennahda qui se sont exilés notamment en France du fait de la répression du pouvoir tunisien d’abord dans les années 1980 puis entre 1991 et 1994. Le MTI était l’héritier du mouvement islamiste tunisien, structuré en 1971 et héritier des Frères musulmans égyptiens. Le MTI, parti politique, avait intégré une dimension religieuse dans son discours. Ses cadres exilés en France ont notamment contribué à la création de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) en 1983. Les membres du MTI en France n’ont jamais réussi à véritablement trouver leur place pour jouer un rôle en France et vers la Tunisie, peut-être du fait de la structuration disparate de ses membres. Ce parti est aujourd’hui en perte de vitesse en Tunisie, ayant du mal à recruter des nouveaux membres et sous l’emprise du pouvoir qui ne laisse que peu d’espace à la contestation.

Les quatre articles de ce dossier cherchent à démontrer que derrière une vision simpliste des mouvements islamistes qui ne peuvent être que terroristes, il existe également des partis islamistes qui sont entrés en politique pour pouvoir avoir droit de parole. Les exemples montrent qu’ils doivent alors largement délaisser le volet religieux pour disposer d’une visibilité politique. De plus, ils sont généralement confrontés à des pouvoirs politiques autoritaires qui contrôlent leurs actions. La question est donc de savoir si ces partis islamistes ont glissé des armes vers les urnes de leur plein gré, avec la volonté de se démarquer de cette image terroriste, ou bien s’ils cherchent à obtenir une légitimité pour mieux faire passer leurs idées dans l’avenir.