En 2007, les pertes de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Afghanistan ont été les plus lourdes depuis le début du mandat de la force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS). Depuis le début de l’année 2008, 23 soldats de la force internationale sont tombés, victimes des talibans. De leur côté, leurs pertes sont cinq fois plus élevées. Face à cette dissymétrie, soulignée par les pertes collatérales parmi la population civile, l’évolution du discours des médias est un sujet d’étude en soi. En évacuant les enjeux sécuritaires, économiques et politiques, les médias ont lentement glissé d’un appui à l’Alliance à un mantra réduit à la comptabilité des pertes de l’OTAN, des « étudiants islamistes » et des atrocités de la guerre. Les cerfs volants, le voile et les bouddhas de Bâmiyân, sans compter la liberté et la tolérance, ont été ramenés au rang de sujets mineurs.
Aujourd’hui, les médias occidentaux, en évacuant la complexité de cette guerre contre le terrorisme et les raisons de l’intervention de l’OTAN relaient sans discernement la politique des talibans. C’est pourquoi, il n’est plus question du régime obscurantiste des talibans mais seulement des conséquences visibles de ce conflit. La responsabilité des médias réside dans la manière dont ils relaient les informations qui contribuent à discréditer les actions de l’ISAF. Dans cette guerre, qui est aussi une guerre de l’information, où les médias en sont arrivés à reprendre les mots des talibans résumant l’intervention de l’OTAN à une croisade et à un choc de civilisations. Pourtant, ignorer ou renier les raisons de cette intervention c’est déjà capituler devant les talibans dont les failles sont pourtant perceptibles.
Parmi les attaques contre la FIAS, les accusations de génocide perpétré contre les talibans par les soldats de l’OTAN sont parmi les plus virulentes. De plus, le discrédit systématique jeté sur les actions de l’OTAN renforce l’idée, dans l’opinion occidentale, d’un inévitable enlisement. Mais surtout, il n’est jamais question des enjeux, pour l’Asie Centrale, d’un Afghanistan stable.
Un crime contre l’intelligence…
génocide perpétré contre les talibans qui constituent indéniablement un groupe humain. Cette accusation articulée autour de l’acte, la définition d’un groupe d’appartenance et de l’intention démontre deux choses. En premier lieu, une complète ignorance des règles d’engagement, ou jus in bello, de l’ISAF. En second lieu, un contresens, voire une perversion de l’esprit, concernant l’interprétation du droit international. Cependant, les réquisitions de M. Ali Khan méritent quelques précisions. D’abord, de part et d’autre, nul ne conteste les pertes provoquées par ce conflit dans les rangs de l’Alliance ou de ceux des talibans ; c’est un fait établi de même que l’Afghanistan, sous le régime des talibans, a servi de base d’entraînement à Al Qaeda. Cette dernière raison justifie à elle seule l’intervention de l’OTAN. Ensuite, il est vrai qu’au regard du droit international, un groupe religieux ou un groupe ethnique peut être la cible d’un génocide. Ce point de droit est restrictif en considérant le caractère sacré de toute vie humaine qui s’applique également aux talibans. Cependant, les talibans ne constituent ni un groupe religieux, ni un groupe ethnique homogène comme en témoignent les conflits internes entre sunnites et chiites ainsi que l’importante diversité au sein des djihadistes où l’on trouve pêle-mêle saoudiens, iraniens, palestiniens et même occidentaux. Enfin, l’OTAN n’est pas coupable de génocide car l’élimination des talibans n’est pas la cause de son intervention en Afghanistan mais la conséquence de ce conflit dont la raison est de ramener la paix en Afghanistan. Les soldats de l’OTAN sont présents, avant tout, pour faciliter le processus de reconstruction de ce pays.
Dans ce conflit, c’est le peuple afghan qui paie le plus lourd tribut en constituant la cible principale des attentats et des embuscades menés par les talibans. Malheureusement, selon les mêmes critères de M. Ali Khan, il n’est pas l’objet d’un génocide. Peut être faut-il y voir là le manque d’écho dans les médias.
…avec la complicité des médias masque la complexité du conflit.
mourir pour Kaboul » met en lumière trois malaises majeurs faisant le jeu des talibans; le comportement et les valeurs morales des troupes de l’OTAN, l’inefficacité de la politique « gagner les cœurs et les esprits (gain hearts and minds) », et l’inflexibilité des talibans. Cependant, à bien y regarder, il s’agit d’autant de points faibles talibans.
En premier lieu, les médias ont emboîté le pas, par empathie, à la rhétorique des talibans qui exaltent à la moindre occasion leur volonté de combattre. Par contrecoup, les états d’âme des soldats de l’OTAN qui se livrent au cours de reportage ou sur leurs blogs fragilisent d’autant l’ISAF. Toutefois, il serait faux de croire que la motivation et l’idéal sont l’apanage des seuls talibans. Comme tous les combattants, eux aussi doutent ; il n’y a simplement personne pour le rapporter. En effet, le bouclage des zones tribales ne facilite pas les choses et les rares journalistes autorisés à s’y rendre développent rapidement le syndrome de Stockholm.
En second lieu, l’action de l’ISAF s’inscrit dans la durée. Au cours du reportage évoqué ci-dessus, la déclaration de ce paysan afghan « vous avez la montre, nous nous avons le temps » inspire le fatalisme. Certes, le bilan de l’ISAF paraît modeste et rend médiocrement compte des progrès accomplis. Mais à la différence des talibans, l’OTAN n’est pas engagée dans une course contre la montre ; le temps qui passe leur est bien plus défavorable. Aussi, les talibans sont condamnés à alimenter le niveau d’insécurité. En effet, l’influence des talibans recule d’autant plus que le retour à la normalité s’organise.
En dernier lieu, il est erroné de croire que la parole de Dieu suffit aux talibans comme l’insinuent les médias. Grâce à la protection des talibans, les champs de pavot afghans fournissent près de 95% de l’opium dans le monde. L’argent étant le nerf de la guerre, la lutte idéologique des talibans s’appuie sur le business de la drogue qui permet de dégager les ressources nécessaires à l’achat des armes et de la fidélité des cultivateurs de pavot. Ce glissement du champ idéologique vers le narcotrafic constitue sans doute leur principale vulnérabilité. Par application de la loi de Pareto, la redistribution des richesses fait toujours des mécontents. De fait, la lutte pour le pouvoir ne risque-t-elle pas de passer au second plan face aux bénéfices engendrés par le trafic de drogue ?
En conclusion, les médias, dans leur grande majorité, semblent en peine pour analyser objectivement le conflit afghan. Sous couvert de sensationnalisme, mais aussi par lassitude face à ce conflit qui est loin d’être résolu, ils relaient la propagande des talibans en passant sous silence un fait essentiel ; la majorité des afghans ne souhaite pas le retour des talibans. Le journalisme s’appuie sur un code de déontologie qui donne la primauté à la vérité. Aussi, continuons à appeler un chat un chat et un taliban un terroriste.
Danny Pith