Les contradictions du discours roumain sur la corruption

La Roumanie est actuellement l’Etat membre le plus corrompu de l’Union Européenne. Selon l’ONG Transparency International « La corruption est le fait d’utiliser une autorité publique ou privée pour en obtenir un avantage personnel » [1]. Toujours selon elle[2], l’indice de perception de la corruption (IPC), en 2006, est de 3,1 sur 10 : la Roumanie se situe au 84ème rang, au même niveau que l’Algérie, Madagascar, la Mauritanie, le Panama et le Sri Lanka, l’IPC étant « l’Indice de perceptions de la corruption (IPC), qui existe depuis 12 ans, [classant] les pays selon le degré de la corruption perçu au sein de la classe politique et parmi les responsables publics. Il s’agit d’un indice composite qui fait usage de sondages réalisés auprès de membres des milieux d’affaires et d’évaluations effectuées par des experts sur les pays en question. » La Bulgarie, quant à elle, se situe au 57ème rang, au même niveau que le Salvador, avec un IPC de 4. A titre indicatif, l’Etat le moins corrompu est la Finlande avec un IPC de 9,6 et la France est 18ème avec un IPC de 7,4.


L’ampleur de la corruption en Roumanie est telle qu’elle a empêché son adhésion en 2004 et qu’elle a failli la retarder en 2007. Les Etats membres et les institutions européennes ont vivement critiqué le manque d’efforts des autorités roumaines en matière de lutte contre la corruption et se sont montrés très inquiets de son envergure. Car depuis le 1er janvier 2007, la Roumanie et la Bulgarie sont les nouvelles frontières orientales de l’Union Européenne. Ces deux Etats sont limitrophes de la Turquie, la Moldavie, l’Ukraine, la Serbie la Macédoine. Or de tels niveaux de corruption font craindre une porosité des frontières et un afflux de clandestins dans toute l’Union Européenne.

Les institutions européennes ont donc décidé, de façon toute à fait inédite, de suivre les avancées de ces deux Etats en matière de lutte contre la corruption et de lutte contre la criminalité même après leur adhésion. Et malgré de grandes promesses de la part des autorités roumaines, il semblerait bien que la corruption continue à gangrener la vie des Roumains et particulièrement la sphère politico-administrative. La corruption en Roumanie, héritée de la période communiste, revêt une certaine spécificité car elle touche toutes les couches de la société. Comme l’indique Dany Dourdet [3], il faut discerner deux types de corruption : la haute corruption ou la corruption de la sphère politico-administrative, et la petite corruption, celle que pratique la société civile dans sa vie de tous les jours.

Les pratiques de corruption, héritées de la période soviétique, ont réussi à s’adapter au changement de régime politique roumain, avec le passage de la dictature de Ceausescu à la démocratie, et au passage de l’économie planifiée socialiste à l’économie de marché. Durant la période communiste, la Roumanie était dévastée économiquement. Pour survivre à la pénurie chronique, les roumains utilisaient les réseaux d’échanges informels et surtout développaient des moyens de débrouille. La bureaucratie, toute puissante, se caractérisait par son incapacité. A cause de 40 ans de domination communiste, la corruption en Roumanie est un phénomène coutumier et structurel. Elle est tellement ancrée dans les mœurs qu’il est très difficile pour le pouvoir roumain de mettre en place des outils efficaces de lutte contre la corruption, imposés par les Européens. L’une des raisons essentielles de la perpétuation de ce phénomène est le maintien des élites communistes au pouvoir et en particulier des membres de l’ancienne nomenklatura soviétique et des membres de l’ancienne police secrète, la securitate. Dans la sphère politico-administrative, les hommes corrompus utilisent leur pouvoir et les ressources publiques à des fins d’enrichissement personnel : ils n’ont donc aucun intérêt à faire changer les choses. Pour contenter Bruxelles, le pouvoir politique a annoncé un grand nombre de mesures pour lutter contre la corruption mais concrètement, ces nouveaux instruments fonctionnent mal. La corruption ne touche, d’ailleurs, pas seulement l’administration et le domaine politique, elle ronge aussi le système juridique, et l’indépendance des médias est plus que relative. Le clientélisme a même ressurgi depuis la chute du communisme.

euros de fonds européens sur le compte de la société Geroconsult, gérée par son époux et son fils. Or, cette somme prélevée sur le programme Léonard de Vinci, était destinée à la formation professionnelle en Roumanie. Et ce qui est le plus représentatif de l’impunité de la haute corruption en Roumanie, c’est que cette somme a été réclamée trois semaines seulement après sa prise de fonction au gouvernement. Elle a démissionné en octobre 2003 mais la justice n’a lancé aucune enquête. Même si cet exemple n’est pas récent, d’autres personnalités du pouvoir politique ont été mises en cause pour des faits similaires de détournement de fonds européens. Or, entre 2007 et 2013, la Roumanie recevra des fonds européens plus de 30 milliards d’euros dont 19,66 milliards en tant que fonds structurels et de cohésion. Ce qui laisse craindre de nouveaux scandales de corruption.

La corruption au sein de la population, appelée petite corruption, est aussi un phénomène endémique en Roumanie. Elle consiste en l’utilisation de ses relations ou/et de pots de vins pour contourner la loi à son avantage. Elle peut être utilisée pour trouver un emploi, obtenir un diplôme ou des papiers administratifs,… Malgré la chute du régime communiste, la corruption n’a pas faiblit car l’ouverture de l’économie roumaine à l’économie de marché a entraîné de nombreuses difficultés économiques, comme l’augmentation de l’inflation, du chômage, des salaires,…qui ont touché de plein fouet la population. Or pour lutter contre la crise économique, les Roumains ont retrouvé leurs réflexes à l’ « ancienne ».

La portée du phénomène de la corruption sur toute la société roumaine est la preuve flagrante de l’échec des autorités roumaines pour limiter et endiguer cette corruption. Elle prouve aussi que les élites, trop occupées pour la plupart à s’enrichir, n’arrivent pas à mettre en place les outils d’une véritable croissance basée sur la transparence et la gestion des problèmes quotidiens de la population comme le chômage, le manque de formation… L’ampleur de la corruption à tous les niveaux prouve surtout que, malgré l’ouverture économique et politique de la Roumanie, l’exercice démocratique du pouvoir est une illusion, utilisé par les élites pour surtout ne rien changer au système actuel. Souhaitons donc que la population roumaine fasse pression sur ses instances politiques et administratives et obligent celles-ci à redistribuer les profits issus de l’adhésion à l’Union Européenne.

Quelques cas flagrants de corruption en Roumanie

Le salaire moyen en Roumanie était de 416€ brut (1471 leu) et de 307€ net (1084 leu) fin 2007. Le pouvoir d’achat des Roumains est 60 % inférieur à la moyenne des 27.

Entre l’adhésion de la Roumanie et la fin de l’année 2007, le salaire moyen roumain a enregistré une hausse de 40 %. Pour faire face aux difficultés économiques, les Roumains sont soutenus par la diaspora roumaine. Selon Ingrid Vaileanu Paun [4], en 2005, la diaspora roumaine a investi en Roumanie plus que les investissements directs étrangers, soit 4,14 milliards d’euros. Et selon la Banque Nationale roumaine, 40 % de ces montants seraient envoyés hors des circuits officiels d’argent. La population roumaine survit donc grâce à l’argent envoyé par la diaspora.

Et pourtant, malgré des revenus et le pouvoir d’achat les plus faibles de l’Union Européenne, la Roumanie est le terrain de jeu de la grande distribution. Jusqu’en 2007, la Roumanie possédait le  plus grand centre commercial de toute l'Europe centrale et de l'Est. Le centre commercial, Feeria, d’une superficie de 32 600 m², dispose de 70 enseignes et d’un Carrefour, qui a ouvert 11 supermarchés. De nombreux groupes étrangers sont présents en Roumanie comme Métro, Carrefour, Selgros, Billa, Mega Image, XXL Mega Discount, Profi et de nombreuses autres enseignes souhaitent s’y implanter. En tout, plus de 273 enseignes étrangères différentes ont ouverts en Roumanie depuis les années 2000 et de 2006 à 2007, leur nombre atteint 80. Toute la Roumanie est quadrillée par les supermarchés ou hypermarchés.

On peut donc s’interroger sur les raisons de l’implantation d’un nombre si considérable de supermarchés et hypermarchés. Le montant réel du pouvoir d’achat des Roumains est il si bas ? Où y a-t-il une différence entre les chiffres et la réalité ? L’argent qu’envoie la diaspora explique-t-elle à elle seule cette différence ?

Car malgré un salaire moyen faible, le panier moyen des Roumains dans l’alimentation est étonnamment haut.

La Roumanie et Bucarest en particulier sont en plein chantier. Mais depuis quelques mois, un projet décidé par le Maire de Bucarest, Adriean Videanu, attire l’attention de la population. L’objectif de ce nouveau chantier est de changer les bordures des trottoirs en remplaçant les anciennes pierres par du ciment de mauvaise qualité. Or ces bordures, d’une centaine d’année, sont de belles pierres de tailles. Et bizarrement, elles vont  être utilisées pour réaliser des cheminées vendues aux plus riches. En allant un peu plus loin, on se rend compte que ce chantier a bénéficié aux entreprises publiques proches d’Adriean Videanu. Beaucoup de roumains se demandent d’ailleurs quelle était l’utilité pour la mairie de Bucarest de réaliser pareil ouvrage.

Une contradiction de plus en Roumanie où les soins et des médicaments sont gratuits. Mais dans les faits, cette gratuité est toute relative. Il faut verser un backchich à l’ambulancier, l’infirmière, le médecin, le chirurgien,…. Un accouchement, au lieu d’être gratuit comme cela devrait être le cas, coûte près de 700 euros. Et si les roumains ne payent pas, ils risquent de ne pas être soignés.

Premier ministre » ou encore pour « avoir favorisé certains agents économiques », ceci sous entendant que le Président roumain était coupable de corruption. Une procédure de destitution a ainsi été lancée et un référendum a eu lieu, au cours duquel la population a du se prononcer pour ou contre le départ du Président. Près de 80 % de la population a confirmé le Président Traian Basescu dans son mandat, ce dernier décidant de rester au pouvoir.

Et pourtant, dès son élection en 2004, Traian Basescu avait fait de la lutte anti-corruption une priorité nationale. Il avait même déclaré, en septembre 2005, « A partir de demain, refusez de payer des pots de vins aux fonctionnaires publics ! Le bakchich est devenu un sport national. La mentalité du citoyen européen n’est pas d’être un partenaire des institutions corrompues de l’Etat, mais un allié de la loi, et nous devons suivre son exemple. C’est pour cette raison que je vous invite à vous solidariser contre la corruption, car c’est notre dignité nationale qui est en jeu. Le pacte contre la corruption et notre propre dignité sont les éléments déterminants de notre adhésion à l’Union européenne ».

Mais ce scandale prouve encore une fois le double discours des hommes politiques roumains. Elu sur la promesse de réduire la corruption dans la sphère politico-administrative, Traian Basescu n’a pas hésité à l’utiliser à des fins personnels.

Le 26 février 2008, la fille cadette du Président roumain, Elena Basescu, a été élue au poste de secrétaire générale de l’organisation de la jeunesse du Parti Démocrate Libéral, le parti de son père. Juste après cette élection, Traian Basescu fut accusé de népotisme par ses adversaires et l’opposition. Effectivement, le score obtenu par sa fille laisse songeur : 377 voix pour et 6 voix contre. De plus, c’est la première fois qu’Elena Basescu se lance dans la politique. Elle est plus connue pour sa carrière de mannequin et ses frasques.

Un dernier exemple de l'importance de la corruption  en Roumanie : la Direction nationale anti-corruption a entamé des poursuites pénales, en décembre 2007, à l’encontre de quatre procureurs, un juge et un notaire. Ils seraient impliqués dans une fraude à l’examen pour entrer à la direction des parquets de justice. Ces personnes sont soupçonnées d’avoir vendu pour 15.000 euros les sujets de l’examen de procureur chef. La justice a décidé d’annuler l’examen.

Audrey de la Tribouille






http://www.diploweb.com/forum/verluise06031roum.htm

http://www.transparency.org/publications/gcr/download_gcr/

download_gcr_2006/gcr_french_2006



http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=672







[4] VAILEANU PAUN Ingrid, « Roumanie, le rôle croissant de la diaspora »,

15/11/06, consulté le 11 février 2008,

http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=685