Le débat sur la délinquance en Allemagne


Pour la première fois, en Décembre 2007, un Bezirksamt (administration locale) décide d’engager des gardes de sécurité dans plusieurs établissements secondaires, notamment des Realschulen et des Hauptschulen (un type d'établissement réservé aux adolescents en situation d’échec). Cette décision de l’administration du quartier défavorisé de Neukölln à Berlin - un quartier où la majorité des élèves est issue de l’immigration - a déclenché de nombreuses discussions sur la légitimité et la nécessité de cette mesure et les échecs de la politique d’immigration par le gouvernement. Deux mois plus tard, le premier bilan de cette mesure drastique est au cœur de nouveaux débats, tout autant que la mort d’un jeune marocain à Cologne le 18 Janvier 2008, apparemment tué en légitime défense et l’attaque presque mortelle d’un pensionnaire dans le métro par deux adolescents d’origine étrangère. Les attaques fréquentes démontrent visiblement la frustration et la haine des enfants des immigrés contre l’Etat et la société ainsi que contre la police allemande. Les débats sur la violence semblent omniprésents et relayés par les médias, mais cependant la situation ne s’est guère améliorée.

Depuis des années, certaines banlieues défavorisées des grandes villes sont confrontées à une violence exceptionnelle. Les quartiers où la violence, le racisme entre minorités et le vandalisme sont en croissance chronique chez les jeunes et où l'éducation et la formation professionnelle sont dans une situation catastrophique, sont marqués de l'empreinte de familles d'immigrants turcs et arabes. En 2005 et 2006, des pédagogues à Neukölln ne donnaient plus cours sans se munir d'un téléphone portable afin de pouvoir appeler la police ou leurs collègues en cas d'urgence et admettaient en public qu'ils ne savaient plus quoi faire. Deux ans après, l’impuissance des enseignants et de la politique envers les adolescents d’origine étrangère continue à échauffer les esprits – les mesures devenant de plus en plus absurdes. L’échec de la politique d’immigration des dernières décennies n’est plus une explication suffisante. Il s’agit aujourd’hui de la conjugaison d’un nombre de facteurs contribuant au cercle vicieux dans lequel se trouvent les jeunes dans les banlieues défavorisés.



Les échecs de la politique

Le système éducatif

Dans une interview dans le journal allemand Die Zeit du 12.2.2008, Erin Ünsal, porte-parole de la fédération turque (Türkischer Bund) constate une discrimination envers les adolescents d’origine étrangère cherchant du travail (le taux de chômage chez la population turque ou d’origine turque est de 50%) et même à l’école. Pendant des années l’Etat allemand, étant en charge de l’éducation nationale, a négligé ses responsabilités envers ces jeunes. Au lieu d’offrir des cours d’allemand à partir de l’école maternelle et/ou primaire et ainsi créer une base d’intégration, les enfants sont maintenus dans un système rigide et inflexible – seuls et sans soutien du côté de l’école ou des administrations. En Allemagne, les élèves sont orientés vers l’âge de 10 ans en fonction de leurs résultats scolaires au primaire. Le système scolaire tripartite fait que les enfants n’ont presque aucune chance d’être intégrés et d’achever une bonne formation – dans beaucoup de banlieues défavorisées où l’allemand ne constitue pas la première langue pour 70% des élèves. Pour eux, le bac ne reste qu’un rêve. Dans un débat télévisé, un scientifique allemand d’origine indienne constate que « l’école détruit beaucoup ». Les autres invités, dont des experts de l’économie et des hommes et femmes politiques, soulignent cette situation désastreuse par une absence totale de réaction à ces propos. Quelle chance alors pour un jeune homme de 14 ans dans la banlieue de Berlin, qui a du mal à s’exprimer en allemand par manque d’une bonne formation ?



La politique d’intégration

Les failles du système éducatif sont accentuées par la vie dans les « ghettos » des grandes villes. Un grand nombre de parents immigrés ne parlent guère l’allemand ni ne connaissent la culture allemande. L’Etat, ignorant l’importance d’une intégration de ces immigrés, aurait dû s’occuper d’eux en mettant en œuvre des plans sociaux afin de promouvoir leur intégration. Or, les étrangers restent entre eux dans les banlieues et dans les HLM, le soutien par les Sozialämter (bureaux d’aide sociale) est limité - généralement à cause d’un déficit budgétaire dont la plupart des grandes villes souffrent. Dans une interview du 07.2.2008 du Zeit, la Jugend-Stadträtin de Berlin-Neukölln, Gabriele Vonnekold (parti vert), en charge de la jeunesse, parle de sa lutte de plus d’un an contre l’administration supérieure essayant (sans raison logique) de l’empêcher d’embaucher deux travailleurs sociaux turcs. Ce cas paraît peut-être une exception, mais il est déjà devenu une triste réalité partout dans le pays.

On pourrait dire que la pire faille de l’Etat n’est pas le manque d’action mais ses tentatives pathétiques d’empêcher des experts compétents de mettre en œuvre des stratégies efficaces.

En janvier 2008, pendant les élections parlementaires en Hesse, le Ministerpräsident Roland Koch lance une campagne populiste controversée sur la délinquance juvénile en prônant entre autres l'augmentation des sanctions pénales, l'accélération des procédures judiciaires et des expulsions facilitées pour les jeunes délinquants d’origine étrangère.

Depuis des années la politique s’est perdue dans des polémiques sur la délinquance chez les jeunes issus de l’immigration sans jamais se poser sérieusement des questions sur ses propres failles. Certes, la problématique est discutée assez sérieusement par des experts et des spécialistes. Or, l’Etat s’attend à un comportement « correct » des jeunes dans les banlieues défavorisées sans s’impliquer dans leur formation ou leur intégration - le gouvernement préfère discuter des mesures draconiennes (v. Roland Koch) afin d’éviter des cas de violence. Comme déjà mentionné, les écoles dans les banlieues sont souvent dans un état désastreux, les professeurs fréquemment mal formés ou préparés et souvent abandonnés par les autorités locales, le taux de chômage élevé. Conséquence pour les jeunes : une mauvaise formation et un sentiment d’être abandonné. Ainsi naît la haine contre la société allemande que l’on perçoit comme raciste ou xénophobe (même si ce n’est pas le cas). La Constitution stipule que « la République fédérale d’Allemagne est un Etat fédéral démocratique et social ». Pourtant, cette politique de l’Etat social a visiblement échoué. Aujourd’hui on reconnaît une double morale vis-à-vis des jeunes délinquants ; l’Etat n’étant pas capable (ou n’ayant pas la volonté) de s’occuper sérieusement des causes de cette problématique se contente cependant de condamner les effets d’un échec politique dont il est lui-même à l’origine. Evidemment en Allemagne l’ascenseur social est en panne, mais comment prendre l’escalier si le chemin est bloqué ?



Claudia Steines



Sources :

http://www.zeit.de/2008/07/Wachdienste

http://www.zeit.de/online/2008/07/integration-uensal

http://www.lemonde.fr/europe/article/2008/02/04/la-droite-allemande-se-divise-sur-les-questions-d-integration_1007067_3214.html