Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale n’est pas encore paru mais il fait déjà beaucoup parler de lui. MM Louis Gautier, François Lamy et Paul Quilès, ont publié dans le Figaro du mercredi 5 mars un article où ils proposent de le rebaptiser livre blanc sur la défense et la politique étrangère. Pour mémoire, le dernier livre blanc, paru en 1993, était sobrement intitulé livre blanc sur la défense. Paru quasi immédiatement après l’implosion de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, il a servi à diffuser l’idée de « récolter les dividendes de la paix » qui s’est imposée aux stratèges aux petits pieds.
Or, au cours des quinze dernières années, les forces armées françaises ne sont jamais autant intervenues hors du territoire national depuis les accords d’Evian tout en se professionnalisant. Dans la même période, aucun corps de métier n’a autant appliqué les concepts de flexibilité et d’adaptabilité, y compris le corps diplomatique, maître d’œuvre de la politique étrangère. La France est la première garante de sa sécurité qu’elle ne peut décemment sous traiter notamment en raison de l’inertie et des freins dans la mise en place d’une politique de défense européenne sans compter l’activisme des Etats-Unis au sein de l’OTAN. C’est pourquoi, le remplacement du terme de sécurité nationale par celui de politique étrangère est réducteur à plusieurs titres.
D’abord parce que la diplomatie qu’elle soit préventive, préemptive ou quel que soit l’adjectif dont elle est affublée ne peut, à elle seule, couvrir le spectre des menaces sur les intérêts vitaux français. Ensuite parce que la politique de défense et de sécurité française est globale, incluant la politique étrangère. Enfin parce que cette dernière est inefficace pour tracer la voie d’une défense européenne.
« Les prévisions sont difficiles, surtout concernant l’avenir… »
MM Louis Gautier, François Lamy et Paul Quilès semblent d’ores et déjà savoir que les menaces décrites dans le livre blanc ne sont ni priorisées ni cohérentes avec le contexte géopolitique actuel. Si cette supposition n’engage que ses auteurs, il n’en reste pas moins qu’elles n’étaient pas plus décrites dans le livre blanc précédent. De fait, le livre blanc peut apparaître comme un exercice de style. Cependant, il est délicat, voire illusoire, de dégager des hypothèses sur l’évolution des menaces au-delà d’un horizon de dix ans et, partant de là, de les prioriser. A partir de ce constat, il est difficile de soutenir, comme MM Louis Gautier, François Lamy et Paul Quilès, que la diplomatie suffit à prévenir et résoudre les crises.
Yaka (prononcer il n’y a qu’à…)
La principale proposition des auteurs précédemment cités est de faire de la diplomatie préventive qui consiste à anticiper les conflits avant qu’ils ne se développent. Or, selon Raymond Aron, les relations internationales ne peuvent être qu’une science a posteriori. Les motivations des acteurs, les incertitudes et les variables sont si nombreuses qu’elles échappent à tout système prédictif. La régulation de la mondialisation, l’aide au développement ne peuvent pas suffire à minimiser les risques et les menaces sur les intérêts français. De plus, la seule voie diplomatique est insuffisante pour apporter une réponse appropriée à la menace terroriste. La raison la plus évidente est l’absence d’interlocuteur crédible. Aussi, il est nécessaire de disposer d’une capacité indépendante de réaction économique ou militaire face à des situations imprévues parce qu’imprévisibles.
Faukon (prononcer il faut qu’on…)
MM Louis Gautier, François Lamy et Paul Quilès voient dans l’Europe la réponse quasi universelle aux questions de sécurité nationale. Mais en l’absence de politique européenne de défense, la sécurité des Etats reste de leur seule responsabilité. En l’état actuel de la politique européenne de défense, le vieil adage « charité bien ordonnée commence par soi même » est particulièrement bien adapté au domaine de la sécurité nationale. À titre d’exemple, sans le renforcement capacitaire français, l’Eufor n’aurait pu se déployer au Darfour au début de l’année 2008. La concurrence entre les avionneurs européens constitue également un obstacle sérieux à une politique européenne de défense qui tente de surmonter ses paradoxes par la mise en place d’une base industrielle et technologique de défense. De plus, pour beaucoup de pays européens, l’OTAN est une alternative réaliste et à un prix compétitif dont la zone de responsabilité historique demeure l’Europe. En partant du principe qu’il ne peut y avoir qu’un seul sheriff en ville, une politique européenne de sécurité et de défense restera un vœu pieu aussi longtemps que les européens ne s’affranchiront pas de la tutelle américaine.
Avec la meilleure volonté du monde, la France seule ne parviendra pas à entraîner l’UE sur la voie d’une politique de sécurité européenne cohérente aussi longtemps que l’Europe ne sera pas une entité politique ce que ne souhaite personne hors du continent européen. Comme la sécurité des intérêts français ne peut être externalisée, il n’est pas aberrant qu’une réflexion propre lui soit consacrée dans un livre blanc qui porte bien son nom. Aujourd’hui, les capacités militaires restent représentatives, et pour longtemps encore, de la puissance d’un Etat. Si cet argument ne se suffit pas en lui-même, il est nécessaire de rappeler qu’en 2007, les dépenses militaires ont augmenté partout à travers le monde, sauf en Europe.