Les efforts de communication d’Exxon sont bien plus probants que ses efforts pour protéger l’environnement. Lauréat l’année dernière du « Prix du Pire Lobbying de l’UE » pour manipulation cynique du débat sur le climat, Exxon Mobil récidive en inaugurant une campagne de publicité pour « verdir » son image. Le message véhiculé est qu’Exxon fait de son mieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, et donc, contribue activement à la protection de l’environnement. Les publicités sont placées dans des espaces publics comme l’Aéroport International de Bruxelles. Certaines vont jusqu’à vanter les mérites du groupe pour un « nombre historiquement bas de déversements accidentels de pétrole». Cette communication mensongère, va à l’encontre des propos du propre Rapport sur l’Entreprise Citoyenne d’Exxon qui fait état de ce que personne ne veut entendre : ces dernières années, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de près de 6,5 % et les gaz brûlés dans les torchères de plus de 45 %. De plus, même si les déversements accidentels de pétrole ont diminués, la quantité absolue de pétrole gaspillé ne cesse, quant à elle, d’augmenter. Exxon Mobil a rejeté 20 milliards de tonnes de CO2 en 120 ans. Cette multinationale déclare des bénéfices annuels d’environ 21,5 milliards de dollars. Des experts indépendants pour le compte de l’association "les amis de la terre", ont fait une étude qui visait à évaluer les émissions de CO2 et de méthane du groupe. Ils ont mis en évidence que si l’on convertissait la pollution en bénéfice, pour chaque tonne équivalent/carbone rejetée dans l’atmosphère, Exxon a généré un dollar de bénéfice.
Lien entre Exxon et l’ACCF, un think-tank emblématique de la négation du réchauffement climatique
L’American Council for Capital Formation (ACCF) est une organisation qui s’oppose aux règlementations gouvernementales destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Contribuant ainsi à la négation de la responsabilité humaine du réchauffement climatique, l’ACCF se bat avec brio pour bloquer l’avancée des objectifs du protocole de Kyoto. L’intention ne signifiant rien sans les moyens qui doivent être consacrés à cette démarche, l’ACCF reçoit aux Etats-Unis, depuis près de 10 ans, plus de 1.6 million de dollars $ de la part d’Exxon Mobil pour répandre le doute sur les origines humaines du réchauffement climatique. L’objectif est de retarder l’action du gouvernement américain sur cette question. Il est plus qu’atteint puisque les Etats-Unis n’ont pas ratifié le protocole de Kyoto. Le décalage entre ce sponsoring et la communication destinée à l’opinion publique interpelle. La contradiction entre le discours bien pensant et puritain de façade d’Exxon et ses relations incestueuses avec des think-tanks qui travaillent dans l’ombre à la défense d’intérêts économiques illégitimes, est frappante.
L’étude des archives du site de l’ACCF (http://www.accf.org/) montre une idéologie simple mais potentiellement dangereuse ; « la ratification du protocole de Kyoto aurait de sévères impacts macroéconomiques qui infligeraient aux Etats-Unis un ralentissement significatif de la croissance des salaires, et, amoindriraient la croissance du niveau de vie ». Il est clairement dit que « des mesures prises délibérément en faveur de la réduction de CO2 impliqueraient inévitablement des modifications de la politique fiscale américaine qui réduiraient la valeur des investissements en rapport avec l’énergie ». Cette forme de mauvaise foi est bien sûr cautionnée par le gouvernement américain. Le Président Bush a déclaré que « nous devons rester sceptiques quant au fait que les gaz à effet de serre sont causés par l’humanité ». Ces propos coïncident avec les agissements d’une quarantaine de lobbys pétroliers qui proviennent tous d’Exxon Mobil, et, qui présentent le réchauffement climatique comme un canular et une manipulation. La philosophie est limpide, « tout ce qui est bon pour le pétrole est bon pour l’Amérique. »
Lien entre ACCF et ICCF, stratégie d’encerclement selon Exxon Mobil
La collusion entre Exxon et l’ACCF ne se limite pas au continent américain. En effet, l’ACCF déploie ses griffes sur le territoire européen via l’ICCF (International Council for Capital Formation). La mission de cette antenne est d’étendre l’effort de lobbying non seulement en Europe, mais aussi dans d’autres parties du monde. La directrice générale de l’ICCF, Margo Thorning est aussi vice-présidente et directrice financière de l’ACCF. Elle vient régulièrement de Washington D.C pour intervenir lors des manifestations de l’ICCF. Elle revendique le fait que « la flexibilité croissante de la Commission Européenne au sujet des émissions de gaz à effets de serre est en partie due aux discussions et débats suscités par l’analyse de l’ICCF ».
Cette orchestration d’un mensonge à l’échelle planétaire ne peut plus être dissimulée par des campagnes de publicités habiles. L’ICCF n’est autre qu’un faux think-tank européen qui sert de société-écran aux adversaires du protocole de Kyoto.
Des agissements antérieurs alarmants
En 2004, c’est en Russie que l’ICCF a manœuvré pour que le protocole de Kyoto ne soit pas ratifié. Le choix du pays était très stratégique dans la mesure ou l’accord de la Russie était nécessaire au succès du protocole. Pour cette campagne, l’ICCF s’est offert les services d’Andrei Illarionov, membre du Cato Institute (think-tank conservateur) et ancien conseiller économique de Putin. En 2003, à la World Climate Conference de Moscou, Illarionov a remis en question l’influence de l’activité humaine sur les changements climatiques. Il disposait de slides fournis par l’ICCF en support de ses propos. Le temps fort de son intervention a été remarquablement pensé : « Kyoto va tuer l’économie mondiale comme un Auschwitz international ». Une telle comparaison est plus qu’une simple improvisation oratoire. Le sujet est bien trop emprunt d’affectif pour laisser l’auditoire et les médias indifférents. De plus, quelques mois après cette intervention, il a affirmé dans une interview à la BBC, « qu’il n’y avait pas de lien avérés entre les émissions de dioxyde de carbone et le réchauffement climatique ».
Une même guerre des deux côtés de l’Atlantique
L’ACCF s’assure de l’impact de son projet en établissant simultanément sa guerre des idées sur les continents américain et européen. L’American Enterprise Institute (AEI) est un puissant think-tank néoconservateur mis en difficulté par la presse britannique en février 2007. Le journal le Guardian a révélé des lettres envoyées par Exxon à l'AEI, annonçant l’attribution de 10 000 dollars à tout scientifique qui publierait un article mettant en cause les conclusions du dernier rapport du United Nations Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC). La correspondance stipulait aussi que les dépenses (voyages et coûts additionnels) seraient couvertes par le groupe pétrolier. Des organismes tels que l’ICCF participent à cette imposture sur le territoire européen comme : le « Centre for The New Europe » (CNE), situé à Bruxelles. Le responsable de son département Environnement, Edgar Gärtner, est l’un des négateurs les plus connus et actifs. Son intégrité est plus que discutable car il est l’ancien rédacteur en chef de WWF magazine en Allemagne.
L’ICCF n’a pas de présence permanente à Bruxelles en-dehors des consultants de Cabinet Stewart qui agissent en son nom. Ce cabinet a organisé, au cours des trois dernières années, une série d’activités pour l’ICCF destinées à influencer les décideurs de l’UE, comme, par exemple, plusieurs ateliers de travail sur les questions liées au réchauffement climatique au Parlement Européen. L’ICCF se décrit comme « un think-tank européen unique », avec un siège social près des bâtiments du Parlement Européen à Bruxelles. Dans les faits, le siège en question n’est qu’une boîte aux lettres au cinquième étage de l’immeuble de bureaux du 50 rue Wiertz, et le téléphone est en général décroché par Nicolas Robin, directeur associé chez Cabinet Stewart.
L’ICCF emploie donc des consultants du Cabinet Stewart pour organiser des conférences et autres actions de lobbying sur la politique énergétique européenne. La complicité entre l’ICCF et le cabinet bruxellois n’est plus secrète puisque le Corporate Europe Observatory (CEO) a rendu l’affaire publique par le « Prix du consultant européen de l’année » qui, le 5 juillet 2007 a récompensé Nicolas Robin pour son engagement dans l’amélioration de la présence de l’ICCF à Bruxelles. Il a activement contribué à donner la fausse impression d’un think tank européen. Le Cabinet Stewart, ne mentionne étrangement pas sur son site l’ICCF comme faisant partie de ses clients. Réciproquement, le site de l’ICCF ne mentionne pas non plus le rôle joué par le Cabinet Stewart à son profit. De plus, l’incapacité de la directrice du cabinet, Catherine Stewart, à clarifier la nature des relations de son agence avec l’ICCF au sujet de budgets reçus pour « services rendus » confirme la collusion. Son seul argument est d’invoquer les clauses de confidentialité du contrat. L’European Enterprise Institute (EEI), autre think tank basé à Bruxelles est aussi dans la boucle, d’autant plus que son directeur de la Recherche, Chris Horner, est aussi un farouche opposant au protocole de Kyoto.
Une transparence des comptes revendiquée plus suspecte qu’efficiente
Exxon Mobil, dans ses communiqués, assure de sa transparence puisque ses financements sont affichés sur son site internet. Tous les ans au mois de mai, Exxon publie un « Worldwide Givings Reports ». Belle tentative d’esquive, mais les rapports sont incomplets puisqu’ils ne listent que les organisations basées aux Etats-Unis. Tout ce qui concerne le financement des think-tanks européens est « strictement confidentiel ». Le Corporate Europe Observatory (CEO) révèle que de nombreux think-tank basés en Europe ont reçu des fonds provenant d’Exxon et qu’ils n’ont jamais été mentionnés dans le Worldwide Givings Reports. Il semblerait que la politique de transparence de la compagnie soit dosée différemment quand il s’agit des think-tanks européens. Faute d’alliés, autant les inventer ; il serait bien trop suspect que tous les lobbyistes négationnistes soient américain. C’est ainsi qu’Exxon manipule le débat sur le changement climatique à Bruxelles.
Changement de présidence et campagne de communication comme gages d’une nouvelle « vertu »
Jusqu’à fin 2005, sous la présidence de Lee Raymond, Exxon a été l’objet de dures critiques émanant des ONG et associations environnementales les plus légitimes, pour son soutien financier systématique à des think-tanks négationnistes. Ne reculant pas devant le conflit d’intérêt, Raymond cumulait à son poste la présidence de l’American Entreprise Institute (AEI) précédemment cité pour avoir payé des scientifiques afin qu’ils écrivent des articles anti protocole de Kyoto. Rex Tillerson lui succède à la présidence d’Exxon et planifie une véritable guerre médiatique pour répandre la nouvelle « vertu » du groupe pétrolier. Ces campagnes sont surtout un alibi pour faire diversion. Rex Tillerson prétend prendre une direction plus nuancée que son prédécesseur sur les thèses négationnistes. Le 17 mai 2007, jour ou le conseil de sécurité de l’ONU débattait sur le réchauffement, Exxon a aussi publié un communiqué sur sa position officielle en reconnaissant l’évidence du réchauffement de la planète et le besoin d’adopter des stratégies dans l’optique d’une réduction des gaz à effets de serre. Mais, l’hypocrisie continue puisque rappelons que trois mois plus tôt, Exxon a financé une campagne de communication réunissant économistes et scientifiques pour contrer le rapport de l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC). Commanditaire d’une propagande irresponsable, Exxon, continue malgré les apparences à financer des think- tanks qui sèment le doute sur la nécessité de combattre le réchauffement climatique.
Alexandra Guy