La Commission européenne vient de rendre public deux rapports accusant la Bulgarie et la Roumanie de ne pas avoir réalisé suffisamment de progrès dans la lutte contre la corruption et la lutte contre la criminalité. Alarmée par les taux de corruption très élevés dans ces deux Etats et comme les critères de Copenhague ne s’adressent plus aux nouveaux entrants, Bruxelles a mis en place une nouvelle règle inédite juste avant leur adhésion le 1er janvier 2007. Elle continuera de suivre les progrès de ces deux Etats dans ces domaines. En cas de non respect de leurs engagements, Bruxelles s’autorise à sanctionner la Bulgarie et la Roumanie en réduisant les aides européennes, principalement agricoles et en ne reconnaissant pas leurs décisions judiciaires et policières. En effet, la Commission s’est donné comme priorité de faire baisser la corruption dans l’Union Européenne. Mais la situation est hétérogène et ce phénomène tend à croître depuis l’entrée de la Roumanie et la Bulgarie. Le nouveau rapport de l’ONG Transparency International, sorti en décembre 2007, dénonce des indices de corruption élevés dans plusieurs Etats membres de l’Union Européenne. Quelles sont les compétences de la Commission en matière de lutte contre la corruption ? Quels sont donc les instruments mis en place par Bruxelles pour lutter contre la corruption ? Ces instruments sont ils efficaces ?
La lutte contre la corruption est un enjeu majeur pour l’Union Européenne. En effet, en intégrant de nouveaux Etats aux pratiques de corruption bien connues, l’Union Européenne s’expose à bien des risques. Tout d’abord, parce que ces nouveaux entrants sont les nouvelles frontières orientales de l’Union Européenne. Comment ces pays peuvent protéger l’Union de l’arrivée massive de clandestins s'ils sont minés par la corruption ? La crainte de frontières poreuses est bien réelle. Mais la Roumanie et la Bulgarie ont des situations différentes. La Roumanie est un cas bien particulier. Elle partage ses frontières avec la Moldavie et avec l’Ukraine. Or les rapports bilatéraux avec la Moldavie sont complexes. La Moldavie est le pays le plus pauvre d’Europe mais elle est aussi la nation sœur de la Roumanie. Elles ont une histoire commune et des liens si forts que la Roumanie a adopté une loi sur la citoyenneté qui permet aux Moldaves de récupérer leur citoyenneté roumaine : pour cela il faut qu’ils l’aient possédé avant 1940 ou qu’ils en soient des descendants au 1er et 2ème degré. Cette loi traduit l’espoir caché d’une réunification entre les deux Etats. Mais depuis, les Moldaves émigrent en masse vers la Roumanie et représentent près de 75 % des immigrés. En tout, plus de 100 000 personnes ont obtenu la nationalité roumaine et plus de 800 000 en ont fait la demande. Les nouvelles frontières de l’Union Européenne ne devraient donc pas pour autant dissuader les Moldaves.
rapport 2007 sur la corruption mondiale de Transparency International dénonce une situation alarmante. La moyenne des 15 Etats anciens membres est de 7,7. La moyenne avec l’élargissement de 2004 est passée à 6,74. Et avec l’élargissement, la moyenne passe à 6,52.
L’UE n’a pas été en mesure de persuader les Etats membres d’adopter les instruments existants. »
A ce jour le vrai cadre européen de lutte contre la corruption reste la Convention pénale sur la corruption et le GRECO, qui relèvent tout deux du Conseil de l’Europe. Le Convention pénale sur la corruption, entrée en vigueur le 1er juillet 2002, vise à identifier un certain nombre de pratiques de corruption et à en poursuivre les auteurs. Elle a un vaste champ d’application et couvre des formes de corruption considérées spécifiques (corruption active et passive d’agents publics nationaux et étrangers, corruption active et passive dans le domaine privé,…). Les Etats doivent prévoir des sanctions et des mesures dissuasives et punitives dans leur législation. Cette Convention est mise en œuvre par le GRECO, qui est un mécanisme chargé de l’évaluation des mesures mises en œuvre par les Etats pour lutter contre la corruption. Il est ouvert aux Etats membres du Conseil de l'Europe et à des Etats non membres sur un pied d'égalité. Il est chargé du suivi non seulement de la Convention, mais aussi de l’application des Principes directeurs dans la lutte contre la corruption et des autres conventions ou textes juridiques mis au point par le Conseil de l'Europe dans le cadre de son Programme d'Action contre la Corruption.
Mais la première contradiction de cette Convention réside dans les Etats qui l’ont ratifié. Alors que l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la France, l’Italie et la Suède ne l’ont pas ratifié, des Etats connus pour leur haut degré de corruption l’ont ratifié, comme la Roumanie et la Pologne. On peut donc douter de l’efficacité d’une telle Convention et de l’organisme chargé de la mettre en œuvre. L’Organisation de Coopération et de Développement Economique a elle aussi mis en place une Convention en 1997 mais portant exclusivement sur la corruption active d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. De plus, cette Convention ne s’adresse qu’à 37 Etats, les membres de l’OCDE plus sept Etats. La Suède, la Bulgarie, Chypre, la Lettonie, la Lituanie, Malte, le Royaume-Uni et la Roumanie en sont absents. On peut donc aussi s’interroger sur l’efficacité de l’OCDE dans ce domaine. Mais l’OCDE se montre pragmatique et indique sur son site Internet, « la Convention est efficace quant à son ambition globale d’instaurer une « culture anticorruption ».
Les instruments de lutte contre la corruption sur lesquels se repose l’Union Européenne, pour compléter sa législation, sont donc très insuffisants. Leur objectif principal est plus de changer les cultures de lutte contre la corruption des Etats en les poussant à modifier leur législation que de les obliger à mettre en place des principes et instruments efficaces de lutte contre la corruption. La Commission Européenne a donc un double langage. Elle tente d’obliger les futurs Etats membres à mettre en place les outils de lutte contre la corruption. Mais tout d’abord, ces outils sont typiquement européens et ne tiennent absolument pas compte des spécificités culturelles des futurs Etats membres. Des Etats comme la Roumanie et la Bulgarie, ont vécu pendant des décennies sous le joug communiste et à cette époque pour survivre, il fallait accepter de payer un bakchich pour tout. La corruption est donc véritablement intégrée dans les mœurs et l’éradiquer ne prendra pas quelques années, ce qu’ont d’ailleurs cru les institutions européennes, mais des décennies. La Commission aurait du attendre des signes concrets de réduction de la corruption avant d’intégrer ces deux nouveaux Etats dans l’Union Européenne. Maintenant, leur adhésion est définitive et les gouvernements roumains et bulgares rechignent à mettre en place les réformes et instruments efficaces de lutte contre la corruption qu’ils avaient pourtant promis de réaliser. Conscient de ce problème, la Commission tente de les mettre sous pression par la publication de rapports sur leurs progrès, mais est ce vraiment efficace ? La Commission pourra-t-elle véritablement prendre des sanctions économiques à l’égard de ces deux Etats en cas de non respect de leurs engagements ?
La seconde contradiction de la Commission Européenne repose sur les outils européens de lutte contre la corruption, qui sont totalement insuffisants. Mais la Commission, au lieu de tout mettre en œuvre pour les rendre plus efficaces, se repose sur d’autres institutions internationales pour faire le travail à sa place. Comment, dans ces conditions, peut-elle donc imposer à la Roumanie et à la Bulgarie d’éradiquer la corruption si les outils qu’elle a à sa disposition sont insuffisants ? Et si surtout elle n’impose pas aux autres Etats membres de lutter, eux aussi, contre la corruption ? Il serait bon de rappeler que la Pologne possède un indice de perception de la corruption (IPC) de 3,7 et l’Italie, un IPC de 4,9. La Commission ne doit donc pas simplement mettre la pression sur la Roumanie et la Bulgarie pour faire remonter la moyenne de l’indice de perception de la corruption de l’Union Européenne.
Audrey de la Tribouille
Sources :
http://conventions.coe.int/Treaty/Commun/ChercheSig.asp?
NT=173&CM=1&DF=&CL=FRE).
http://www.oecd.org/document/12/0,3343,fr_2649_37447_37442252_1_1_1_
37447,00.html#
qui_prend_part.