La légitimité déclinante de Canal+

familles-blogs-libération janvier 2008). Rappelons que lors de l’affaire du texto initiée par le Nouvel Observateur,  Canal+ a repris l'information à la fin de l'émission spéciale en dehors du journal...en guise de conclusion.



Si Canal+ se positionne encore aujourd’hui comme un anti-TF1, elle est également en posture anti-M6. Pourtant, Canal +, chaîne qui a longtemps revendiqué sa différence, propose les mêmes émissions que ses petits camarades qu’elle critique tant, notamment dans les Guignols : des émissions débat “politico-people”, des séries américaines, des reportages et des fictions françaises dont les sujets peuvent faire l’objet de débats.

Nous ne reviendrons pas sur le football et le sport, si cher à Canal + et qui sont surtout programmés le week-end en fonction de la compétition. Ce sujet a, en effet, fait l’objet d’un autre article lors de l’acquisition des droits de diffusion des matchs de la Ligue 1 par la chaîne cryptée en février 2008.

Rappelons en préliminaire que les abonnés de la chaîne payent en moyenne 31€ pour Canal+, sans compter CanalSat. L’objectif fixé est de gagner 1,3 millions d’abonnés supplémentaires d’ici 2010 pour atteindre 11,5 millions, soit 40% de croissance ces dernières années. «Proposer plus, pour gagner plus», voilà quel est certainement le mot d’ordre du groupe Canal, mais l'ambition de Canal+ sera-t-elle à la hauteur de leur ambition économique?

Les talk show “politico-people”

Ces émissions animées par les bobos du PAF [2], sont l’illustration de la pathologie actuelle : la Sarko-mania des médias français. On recense en semaine, L'édition spéciale qui fait cohabiter des journalistes et des humoristes (émission en clair de 12h45 à 13h45 présentée par Samuel Etienne), Le grand journal (émission en clair de 19h00 à 20h30 présentée par Michel Denisot). Et le week-end, Un café l'addition pour les débats d’idées (émission en clair le samedi à 12h45 animée par Pascale Clark), Salut les terriens (émission en clair le samedi animée par Thierry Ardisson) et Dimanche+ (émission politique en clair animée par Laurence Ferrari). En effet,  pas une de ces émissions ne peut s'empêcher de mettre Sarkozy au centre des débats. Mais si au moins il s’agissait de débats de fonds ! La Sarko-mania aura atteint son apogée lors du mariage de notre Président avec Carla Bruni. Citons par exemple l’émission de l'édition spéciale du 11 février dernier avec une émission consacrée au mariage de Nicolas Sarkozy, avec comme invités le maire du 8ème arrondissement de Paris qui a procédé à la cérémonie et de madame Isabelle Balkany (rappelons que Mr. et Mme Balkany sont actuellement des personnages récurrents de Guignols de l’Info) qui n'était pas de la noce mais qui est une intime du Président Sarkozy (voilà des informations de premier ordre). Une émission qui a permis une analyse approfondie sur les invités présents à la cérémonie, la robe, les alliances... du people digne d'une émission de TF1. Avec une analyse mémorable d'une politologue, Anne-Sophie Mercier, au cours de l'émission : « Nicolas Sarkozy s'est marié dans l'intimité presque en cachette des français comme un enterrement dans la plus stricte intimité. Cela signifie l'enterrement de la politique « bling bling » de Nicolas Sarkozy ». L’analyse comparée du mariage et de la politique du Président de la République semble quelque peu légère… Quand on se prétend être une chaîne différente et un « groupe pionnier dans les nouveaux usages télévisuels [3]», doit-on tomber dans la banalité ? Si faire différent veut dire faire aussi mauvais et inodore que le reste du paysage audiovisuel, il n’est pas nécessaire de crypter la chaîne !! Le slogan dit : « vous êtes différent, vous méritez Canal + ». Mais qu’avons-nous fait pour mériter ça ?

Les séries

   - Américaines

On compte parmi les grandes séries 24h00 Chrono, Desesperate Housewives (les femmes d’intérieur désespérées en français !!!) ou encore Big Love, ou Damages (Dommages Collatéraux) à partir du 28 février, un thriller judiciaire se déroulant dans les hautes sphères de New-York, la série s’intéressant à la vraie nature du pouvoir et du succès à travers la vie mouvementée de ses personnages. Ces séries cultes sont diffusées en exclusivité sur Canal+ puis accessibles à tous, puisque diffusées en seconde main par M6 (Desesperate Housewives) et par TF1 (24h00 Chrono).

Canal + vend effectivement l’exclusivité de ses séries, mais cette exclusivité est fictive car l’accès aux séries étrangères est facilité par le biais d’internet, de revendeurs américains ou encore des producteurs ou chaînes US qui mettent en ligne les épisodes des séries.

Au final aujourd’hui, cet atout n’est plus aussi important qu’au début de la création de la chaîne.

   - Françaises 

Canal + participe à l’essor des séries françaises ! On notera ces derniers mois la Commune, qui traitait des problèmes de banlieue. Si l'on peut reconnaître une certaine dynamique et un certain esthétisme à cette série, sa thématique quant à elle, n’a semble-t-il, pas passionné les abonnés de la chaîne au-delà des premiers épisodes. Parmi les dernières productions, SCALP, sur le milieu des golden boys dans les années 90, au moment de l’invasion du Koweït. Cette série qui se veut réaliste et proche du milieu de la finance, aura eu le mérite d’être diffusée en quasi simultané avec l’affaire de la Société Générale.

Dans le domaine des « courtes séries », Canal+ relance le porno avec « Hard » en expliquant qu’il s’agit d’une comédie romantique !!! Ou encore « En attendant demain », un vaudeville dans une cité de province et « Doom, Doom », une histoire d’amitié entre deux tueurs à gages qui s’interrogent lors de l’exécution du contrat [4]. On peut regretter dans ces choix, l’absence de séries réellement innovantes et mettant en avant des sujets plus positifs. La course à l’exclusivité et contre ses concurrents mis à part, Canal+ ne se différencie pas des autres chaînes, les sujets étant identiques. Pourtant une fois encore Canal+ prétend d’être une chaîne innovante.

Les reportages

Les magazines de reportage et d’investigation de la chaîne cryptée sont axés sur des faits divers ou des sujets économiques proches notamment de l'émission de la chaîne M6 Capital. Ainsi les sujets du magazine « Faites passer l'info » (magazine sur la société de consommation qui va vous aider à mieux vivre) sont aussi racoleurs que les sujets du magazine Capital : « Pesticide, la fin de l'omerta », « Soutien scolaire », « le business de l'espoir », « Pompes funèbres, le marché de l'ombre »...

Canal+ dédie notamment les primes du jeudi à son magazine d’investigation. Parmi les derniers sujets traités par Canal+ en février 2008 : « Mères porteuses : le marché clandestin », « Hollywood, la grève des studios », « Fusillade de Columbine.. », « Arnaque à la Mecque », « Tchétchénie : Ramzan Kadyrov,  le jouet macabre de Poutine »… A la rentrée, Canal+ vantait la place importante du documentaire dans ses grilles de programmes, pour des sujets « humanistes et engagés ». Nous nous sentons un peu loin de ces grands projets.

Tous ces sujets sont, nous en convenons, passionnants mais ils ne répondent pas aux préoccupations des français sur la baisse du pouvoir d'achat, question pourtant régulièrement posée dans les émissions « politico-people », dès qu’un intervenant proche du pouvoir est invité. Pourquoi alors la chaîne ne mène-t-elle pas l’enquête ? Une fois de plus la différenciation d'avec le reste du paysage audiovisuel n’est pas flagrante.

Le cinéma

Le cinéma est un des piliers de la chaîne privée, mais la concurrence est rude. Lors du rachat de TPS, pour des raisons liées à la diffusion des droits de la Ligue 1, Canal + a du même coup fait l’acquisition de son principal concurrent en matière de cinéma (TPS Cinéma).

Tout comme pour les séries, l’accès aux films est plus facile qu’aux débuts de la chaîne et la concurrence s’étant développée, notamment avec la VOD proposée par différents diffuseurs et fournisseurs d’accès à internet, le cinéma en exclusivité sur Canal+ est un argument qui ne tient plus vraiment la route, surtout avec la commercialisation express des DVD après l'exploitation des films en salle.

Canal+ dit être « la chaîne qui aime le cinéma » mais quand il s’agit de payer ou de financer les productions, on joue la carte prix !!! En effet, la chaîne cryptée a envoyée en août 2007 [5] un courrier aux studios d’Hollywood (Disney, Warner, Fox et Sony Columbia) pour renégocier la baisse des tarifs permettant à la chaîne de faire la première diffusion du film. Enfin, Canal+ conserve l’exclusivité de la retransmission de Césars, et en est le diffuseur historique depuis 1994, la dernière édition ayant eu lieu le 22 février dernier : il s’agit là du sacre de la soirée people du cinéma français qui se regarde le nombril. En conclusion, le cinéma ne fait plus vendre Canal+ et la chaîne elle-même revoit ses prix à la baisse avec ses fournisseurs. De plus le cinéma français est le reflet nombriliste des errances pathétiques du trentenaire bobo et désœuvré....les abonnés ne viennent plus forcément pour le cinéma proposé par Canal, même si les films à grand succès y sont diffusés, pour les raisons évoquées précédemment. Parallèlement Canal joue la carte SVVOD, mais s’en défend en disant qu’il s’agit du prolongement de son droit de multidiffusion. Il s’agit là de création d’une exclusivité sur la diffusion à la demande. Canal, non contente d’obtenir l’exclusivité des droits du foot (Ligue 1) aura une nouvelle exclusivité…

 Quant à l'humour....

Canal la chaîne de l’humour… Au tout début de la chaîne, l’humour était incarné par des comiques emblématiques comme les « Nuls » ou encore Coluche et les Guignols de l’Info. Cette année, pour renouveler ses programmes d'humour, Canal + a fait appel aux « têtes à claques ».... à des canadiens! Pour faire rire il faut de l’humour venu d’outre Atlantique. L'humour en direct est aujourd’hui assuré par les chroniqueurs, tous plus désopilants les uns que les autres parait-il, notamment dans le Grand Journal. Dans l'édition spéciale, les chroniqueurs tentent péniblement de faire rire le public présent sur le plateau avec pour cible favorite : Nicolas Sarkozy. Certains lisent la presse que personne ne lit et tente un humour engagé en faisant rire de la lecture de sanglier magazine ou encore le best off des infos people dont tout le monde n’a que faire : le petit Journal People de Yann Bartes par exemple !

« Vous regardez trop la télévision, bonsoir », voici la phrase introductive des Guignols de l’info. Les Guignols de l’Info ou comment attaquer le reste de la profession avec humour !! Enfin l’humour à la Canal… Ou encore comment se cacher derrière des marionnettes quand on n’a rien à dire. Voilà ce qui caractérise les Guignols aujourd’hui, qui n’échappent bien évidement pas à la Sarko-mania et en particulier à l’étendue de sa vie privée. Pris à leur propre piège, rappelons que le personnage de Jacques Chirac, alors candidat à la présidentielle de 1995, a en partie obtenu la sympathie des français grâce à sa marionnette. Un comble pour une chaîne ayant une tendance politique opposée.

La programmation…

Canal+ se croit encore dépositaire de l'esprit et de l'humour Canal+, même si elle n’est plus qu'une chaîne comme les autres, qui met de plus en plus l'accent sur le people (le petit journal people de Yann Bartes dans le Grand Journal), qui préfère l'info-spectacle à l'investigation et à l'analyse, qui sert de tube cathodique aux séries américaines, même si Canal tente difficilement de renouveler le genre des séries françaises.

 En complément :

Résumé de la grille Canal + (Prime Time) annoncée en Août 2007 (AFP)

 









Lundi : films et séries françaises produits par la chaîne

Mardi : cinéma

Mercredi : films populaires

Jeudi : documentaires et reportages d’investigation

Vendredi : films d’actions

Samedi : grands succès du Box Office

Dimanche : Foot + magazines (pendant la saison)








1 Film “Les Visiteurs”

2 Paysage Audiovisuel Français

Site d’embauche “www.vousmeritezcanalplus”

4 AFP : 29/11/2007 : « la nouvelle trilogie » de Canal+ s’attaque au « Hard »

5 Le Figaro Economique 24/09/2007 : Canal+ veut imposer sa loi aux producteurs