Le Japon est encore aujourd’hui la deuxième économie du monde, le premier créancier des Etats-Unis et détient les deuxièmes réserves mondiales de change. Sur ces seuls chiffres, le Japon dispose à priori d’arguments économiques majeurs pour exprimer sa volonté de puissance dans le monde. Un certain nombre d’économistes, pas uniquement japonais, estime également que l’économie de l’Asie, dont celle du Japon, est découplée de celle des Etats-Unis, lui permettant ainsi de mieux résister aux fluctuations des marchés liés à la situation économique américaine. Dans le contexte actuel où la crise américaine des subprime se répercute dans le monde entier, cet argument paraît renforcer encore la capacité de ce pays à exprimer et développer sa politique de puissance. Pourtant, le repliement sur soi, tant économique que social ou culturel, contredit fortement cette volonté de puissance japonaise qui s’exprime au travers des atouts économiques.
Les faits démontrent que le Japon vit souvent en marge de la mondialisation, mais qu’il est sensible à ses effets. Alors que les dernières années ont été marquées par une explosion mondiale des fusions-acquisitions, très peu ont concerné des entreprises japonaises (Les opérations de rapprochement sont toujours vécues comme une obligation et non comme un choix délibéré. Nobuo Samaya, associé de la société de conseil GCA). De même, les investissements directs étrangers ne représentent que 5% de la richesse nationale japonaise contre environ 27 % en France. Si le Japon est la deuxième puissance économique mondiale, son endettement, proche de 170% du PIB, ou son conservatisme exacerbé le freinent, notamment en terme d’initiative. Pour continuer à conserver sa position et donc sa puissance, le Japon doit donc faire l’effort de s’ouvrir davantage et ne plus se contenter d'ajuster ses positions sous la pression extérieure. Comme le précise Robert Dujarric, membre de l'Institute of Comtemporary Japanese Studies, Le Japon est de plus en plus insulaire. Relativement au reste du monde, c'est une puissance déclinante. De fait, il n'y a plus aucun Japonais parmi les quinze plus grands groupes cotés mondiaux. Mais quatre Chinois. Ni aucun milliardaire dans le Top 20 du classement Forbes, mais trois Indiens.
Outre le manque d’ouverture économique, le repliement sur soi est également caractéristique d’un point de vue culturel. Le nombre d’étrangers est en effet très faible au Japon. Certes, il est aujourd’hui difficile de permettre à un supplément de population de s’ajouter aux 127 millions de Japonais sur un territoire non extensible, néanmoins les Japonais eux-mêmes ne souhaitent pas voir arriver des étrangers et préfèrent travailler entre eux. Le constat dressé par le professeur Matsutani, enseignant à Keio University, est sur ce point révélateur dans le domaine des R&D. Rapportée au PIB, notre recherche est supérieure à celle des États-Unis, mais nos résultats sont inférieurs. Au Japon, 99,9 % des ressources humaines en R&D sont japonaises, contre environ 50 % aux États-Unis. Ici, c'est un peu « petite cuisine entre amis ». Il n'y a pas d'immigré dans les postes de haut niveau, et dans les grandes universités étrangères les enseignants japonais sont rares.
Pour faire face à cette situation et provoquer une évolution, voire révolution, au Japon, le pays a besoin de leaders charismatiques. Impossible de prendre en compte l’Empereur et sa femme, les traditions les tenant naturellement à l’écart. Le dernier Premier ministre qui ait « bousculé » le conformisme et les traditions japonaises était Junichiro Koizumi. Surnommé « le loup solitaire », il était le chouchou des milieux d'affaires mais était honni par une partie de la classe politique. Shinzo Abe a lui été surnommé « Monsieur KY ». L'expression, très à la mode au Japon, signifie « ne pas être dans l'air du temps ». Yasuo Fukuda, l’actuel Premier ministre, est affublé d'un autre sobriquet : « Bimbo Gumi » ou « dieu des pauvres », celui qui rend pauvres tous ceux qu'il touche ou approche. Avec des leaders politiques à l’image aussi négative et aussi peu charismatiques, le Japon ne peut donc que rester enfermé dans ses certitudes et son conformisme. Cependant, la crise actuelle (résultats économiques en dent de scie, impact des subprime, intoxication alimentaire par des nouilles provenant de Chine,…) mine le moral des patrons et des ménages. Or la réponse du Japon à la crise reste trop souvent le silence, face à l’hypercommunication de certaines autres nations. Le Japon reste donc toujours fortement ancré dans ses traditions et son passé, ce qui génère un repliement sur soi en contradiction avec la construction et la reconnaissance d’une politique de puissance, à l’heure où les offensives économiques et médiatiques prédominent.
Matthieu Depoire
Documentation :
Michel de Grandi, La préoccupante ankylose du Japon, Les Echos, 12/02/2008.
Muriel Motte, Le Japon vieillissant se replie sur lui-même, Le Figaro Magazine 25/09/2007.