France Culture se veut être une autorité intellectuelle et culturelle sur les ondes radio en France. Elle fait autorité car elle emploie des journalistes et des intervenants de grande qualité et qui, avec le temps, ont acquis une renommée inébranlable. Pourtant, ces intervenants (aussi prestigieux soient-ils) ne sont pas exempts de tout reproche : il leur arrive en effet de se tromper, d'être imprécis, de présenter pour universelles des opinions qui n'engagent que leur personne, etc. De telles dérives risquent d’être à terme un handicap pour cette chaine de radio emblématique.
Dans son émission L'Esprit Public, diffusée dimanche 17 février 2008 et présentée par Philippe Meyer, France Culture est tombée dans un travers préjudiciable pour une radio du service public qui se veut une référence en termes de culture et d'information sur les ondes françaises. Cette émission, réunissant autour de la table des esprits supposés brillants tels Denis Olivennes (essayiste), Michaela Wiegel (Correspondante à Paris de la Frankfurter Allgemeine Zeitung), Max Gallo (romancier et historien) et Jean-Louis Bourlanges (professeur à Sciences Po Paris) et dont le thème était "Le «dévissage» de Nicolas Sarkozy", est tombée dans ce qu'il convient d'appeler une discussion de café du commerce.
Dans son introduction déjà, Philippe Meyer nous fait une petite rétrospective de la saga des dernières semaines : "Les commentaires sur le mariage du Président avec Carla Bruni et la controverse sur un prétendu SMS adressé par Nicolas Sarkozy à son ancienne épouse se mélangent à la critique de ses prises de positions sur la laïcité aussi bien que de l’annonce surprise de la suppression de la publicité sur les chaînes du service public. S’y ajoute, à Neuilly, un feuilleton à épisodes dans lequel l’un des fils du Président a joué un rôle important, feuilleton qui a conduit au retrait forcé de David Martinon, le porte parole de l’Elysée". Très certainement soucieux du complot qui se trame dans le dos du chef de l'Etat, M. Meyer poursuit en soulignant que "[…] certaines personnalités de droite, comme Jean-Louis Debré, Dominique de Villepin, ou Jean-Pierre Raffarin ont récemment émis des réserves plus ou moins sévères sur les déclarations ou le style du Chef de l’Etat."
Analyse déconcertante de Philippe Meyer quand on sait que MM. Debré et de Villepin sont des chiraquiens de la première heure hostiles à Sarkozy et que M. Raffarin n'a toujours pas digéré que la présidence de l'UMP lui ait échappé. Il semble donc assez logique que ces trois personnalités de droite ne soient pas les dernières à émettre des réserves à l'encontre de Nicolas Sarkozy.
Le premier intervenant, Denis Olivennes, a fait une mise en perspective historique très utile en soulignant que "le dévissage n'a rien d'exceptionnel, c'est même la règle" pour tout président qui atteint le stade des neuf mois de sa mandature. Il a ainsi expliqué que la chute que Nicolas Sarkozy connaît actuellement n'est ni plus"rapide" ni plus "profonde" que celle qu'avaient connu MM. Mitterrand et Chirac aux mêmes périodes. Malheureusement, cette mise en perspective historique n'a pas fait l'objet de plus amples développements et a été rapidement submergé par des propos qui relèvent plus du défoulement verbal que de la prise de recul nécessaire à ce genre d’émission. Citons pour exemple l’extrait suivant : "On a le sentiment que ce n'est pas la vie du château, mais la vie de château. Le Fouquet's, les vacances dans le yacht, les vacances américaines qui avaient l'air de vacances de milliardaires, les week-end en Syrie ou en Jordanie, les avions privés, les montres à cinquante mile euros. Cet ensemble là donne le sentiment d'un décalage complet entre le président de la république qui vivrait dans le luxe et la volupté [et la situation des Français]".
Ce genre de platitudes est très décevant de la part d'une personne comme M. Olivennes, et à plus forte raison sur les ondes de France Culture. Pour sa part, Michaela Wiegel usent et abusent des raccourcis et des comparaisons lorsqu'elle nous dit : "Alors qu'on parle souvent de berlusconisation de la politique française, moi ça me rappelle plus l'affaire Monica Lewinski sous Bill Clinton qui avait rendu inaudible tout le reste du message politique du président américain de l'époque. Et j'ai l'impression que nous sommes en train de vivre quelque chose qui y ressemble fortement".
Quant à Max Gallo, après un petit rappel historique et un parallèle avec le désamour qu'avait connu François Mitterrand en 1982, l'historien et écrivain s'est jeté dans une énumération des maux dont les Français souffrent depuis ces neuf derniers mois : " pouvoir d'achat, difficultés, insécurité, crise économique, délocalisations, licenciements, salaires des grands patrons du Cac 40 augmentés de 40% en une année, etc., etc. Et puis le "bling-bling" […], les montres […], les croisières […]." Une fois son listing terminé, Max Gallo a eu la bonne idée de se demander s'il n'y avait pas d'autres facteurs qui pouvaient être à l'origine de la baisse de popularité du président. Il s'essaya alors un instant et justifia cette chute par un "émiettement" de la société, mais cette brève analyse ne connût aucun développement et les auditeurs de France Culture restèrent sur leur faim. Et de conclure son intervention par une analyse politique d'une finesse « remarquable » : "Nous sommes devant le fait qu'une partie des élites politiques et journalistiques françaises considère Nicolas Sarkozy comme un usurpateur." Sans plus de justification.
Les auditeurs de France Culture, quelque soit leur génération (pour ma part, j’ai 24 ans) ne souhaitent pas entendre parler de politique "people", de "bling-bling", de Nicolas et Carla en photo devant les pyramides, ou de vacances sur le yacht de M. Bolloré. Ils veulent de l'analyse, de la mise en perspective, du sérieux et de la pertinence. Nous en étions loin ce dimanche 17 février dans l’émission Esprit public.
Julien Vaillant