La Chine est-elle sous influence alimentaire occidentale ?

Entre volonté d’ouverture au modèle de vie occidental et les impératifs de santé, la Chine semble être prise entre deux feux. Le phénomène récent du développement de l’obésité en Chine est ainsi un révélateur des conséquences de l’adoption par les classes aisées de la société chinoise du mode de vie à l’occidentale : urbanisation, consommation de masse, loisirs. Aujourd’hui, 30% de la population chinoise est concernée par des questions de surcharge pondérale, un tiers de ces personnes étant obèses. Les raisons de cette augmentation, parallèle à l’augmentation de l’obésité au niveau mondial, sont essentiellement dues à l’accès à une nourriture plus riche et plus abondante que dans les campagnes, à un manque d’exercice du à un mode de vie donnant une moindre part aux exercices physiques. Mais contrairement aux pays occidentaux ou l’obésité est avant tout une maladie touchant les parties les plus pauvres de la société, en Chine elle est le symbole de la réussite sociale : les plus pauvres le sont encore de trop pour avoir accès à la « malbouffe » occidentale. Pourtant, malgré cette différence de perception, il n’en demeure pas moins que l’obésité, y compris en Chine, est un facteur de dégradation de la santé publique, ce qui pèsera d’autant sur les dépenses de santé.


Dès lors, comment interpréter le silence de l’administration de la santé publique chinoise à ce sujet ? La santé publique est bien connue pour être un sujet sur lequel les autorités communistes veulent empêcher tout débat, de peur de voir le pays remettre sa gestion souvent hasardeuse de la crise être contestée : les malades du SIDA ou les victimes du SRAS en 2002 en ont fait l’amère expérience. Mais les conséquences prévisibles du développement de l’obésité impose aux dirigeants chinois de réagir : les maladies chroniques, et en particulier celles dérivées de l’obésité comme l’hypertension, le diabète et les maladies cardiovasculaires, représentent 80% des causes de mortalité en Chine. La mise en place de « l’économie socialiste de marché » a permis aux entreprises occidentales de s’implanter au sein de l’Empire du Milieu et de profiter de l’immense marché qu’il représente. Mais exporter une entreprise, c’est aussi exporter un mode de vie et imposer de nouvelles contraintes aux nouveaux consommateurs. La multiplication des lieux de restauration rapide est l’un des symboles les plus marquants de cette évolution : McDonald’s, l’enseigne la plus connue, compte 815 restaurants essentiellement présents dans le sud et l’est du pays. Or, ce type de restauration est directement issu d’un mode de production agroalimentaire nouveau, apparu dans les 70 aux Etats-Unis : ce mode de production repose sur un haut niveau de rendement, de 1972 à 1995 la production moyenne des fermiers américains est passé de l’indice 144 à l’indice 250, et sur l’utilisation des dérivés de cette (sur) production pour la nourriture des consommateurs. L’isoglucose, mis au point à partir du maïs, est ainsi la base des aliments de fast-food : la baisse des prix de ce produit, causé par l’augmentation de la production, a permis aux chaînes de restauration rapide de proposer des produits toujours plus volumineux…et toujours plus sucrés à des prix relativement faibles. C’est ce système qui aujourd’hui s’exporte partout dans le monde : le fait que l’ouverture de restaurants McDonald’s ait été vue comme un évènement en Russie post-communiste au lendemain de la chute du régime montre l’ampleur du crédit culturel dont bénéficie cette enseigne et, par extension, ce mode de consommation alimentaire.

L’influence et la puissance américaine se manifestent au travers de la capacité des Etats-Unis à exporter un modèle de vie qui se trouve être néfaste pour la santé des consommateurs. Bien que les perceptions sociales de l’obésité soit différentes entre la Chine et les pays occidentaux, il n’en demeure pas moins que ce phénomène représentera une charge financière en raison des maladies qu’elle occasionne. Il est donc intéressant de constater que malgré les tensions entre les Etats-Unis et la Chine, le PCC ne s’empare pas de cette thématique pour contrer ce vecteur d’influence américaine. Le discours officiel chinois, présentant une attitude volontaire de coopération pacifique et de respect des droits souverains de la Chine, reste muet sur les conséquences sur la population chinoise d’une américanisation à outrance des modes de consommation alimentaire des élites sociales du pays. Le silence des autorités sur la dégradation de la bonne santé de la population, due aux pressions internes aux Etats-Unis de l’industrie agroalimentaire américaine, discrédite en partie la position chinoise défendant l’indépendance du pays face à la puissance américaine. Il est surprenant qu’une telle arme reste encore inusitée par la Chine dans la guerre de l’information qu’elle livre à fleurets mouchetés contre son puissant voisin occidental.

Guillaume Desmorat