Dans le cadre des législatives de mars 2008, le Parti Populaire espagnol a décidé d’axer son discours sur le « délitement de la nation » creusé par le Premier Ministre socialiste, Jose Luis Zapatero, à travers l’élargissement de l’autonomie catalane et la tentative de dialogue avec l’ETA en 2006. De son côté, le chef de l’exécutif espagnol a abandonné sa tentative de dialogue avec l’ETA, menée en 2006, pour passer à une stratégie d’étouffement des nationalismes radicaux.
A l’opposé du durcissement centralisateur de la scène politique madrilène, les mouvements « pro-Espagne-plurielle » s’intensifient au sein des populations régionales. Depuis longtemps, la Catalogne et les Pays Basques refusent, illégalement, d’hisser le drapeau or et sang sur les édifices officiels. Cependant, la polémique s’est enflammée ces derniers mois avec l’incendie dudit drapeau par de jeunes catalans. Par ailleurs, les photos du roi et de la reine brûlées par de jeunes indépendantistes se multiplient.
Or, Juan Carlos Ier constitue le symbole de la transition réussie dictature franquiste-démocratie, en d’autres termes, de l’Etat espagnol moderne. Par conséquent, la polémique sur le roi et le drapeau ne vient pas s’ajouter à la « question de fond» des nationalismes basque, galicien et catalan ; elle constitue, au contraire, dans un Etat à 17 régions et 4 langues officielles, la bataille de fond. Ainsi, alors que Juan Carlos Ier affirme que « la monarchie parlementaire sur laquelle repose notre constitution a permis à l’Espagne de vivre sa plus longue période de stabilité et de prospérité en démocratie », la Esquerra Republicana de Catalunya s’empresse de proposer de le déchoir de son rang constitutionnel de chef suprême des forces armées pour y placer le chef du gouvernement. Si le rôle d’une Constitution est d’être une solution consensuelle à une organisation politique qui équilibre les forces vives de l’Etat, celle de l’Espagne de 78 semble avoir échoué à forger une unité politique à partir des identités collectives qui lui étaient antérieures. La contestation plus ou moins violente mais toujours présente des symboles nationaux ne fait que traduire la difficulté de cohabitation de diverses identités sur la même scène politique : en corollaire des nationalismes, on constate surtout « un manque d’Espagne ». Cette absence s’explique par l’histoire du pays. En effet, l’absorption des identités collectives antérieures ne peut se façonner à travers la politique centralisatrice que la Castille s’est toujours efforcée de mener : à travers le monopole du pouvoir et du discours, elle a cherché à monopoliser la voix créatrice de mémoire collective, substrat de toute unité nationale. Cette trajectoire passée explique la contradiction présente : Madrid considère, encore aujourd’hui, que ce monopole est nécessaire à la construction réussie de l’identité espagnole, mais celui-ci n’est ni légitime et ni réaliste dans un Etat de droit démocratique, dans une société plurielle inervée par les nouvelles technologies de communication.