Quel modèle pour la presse d'investigation en 2008 ?

L'état de la presse d'un pays est un des baromètres de son niveau de démocratie. Une des étapes clef de l'instauration d'une dictature est de museler la presse afin de faire en sorte que seule la version officielle soit disponible. Plus difficile à l'ère d'internet, mais certains pays déploient indéniablement énergie et talent. L'immense majorité de la population n'aura alors d'autre alternative que de croire, plus ou moins fort, à l'actualité et à l'histoire telle que relatée par les dirigeants.
La France, et plus généralement l'Europe, n'est fort heureusement pas dans ce cas. Nous disposons d'une presse relativement libre. Ceci n'implique pas que toute information émergera : certains sujets portent davantage que d'autre à une forme d'autocensure des médias. Tout ne s'écrit pas sur le roi d'Espagne, véritable symbole national. Tout ne s'écrit pas sur le roi du Maroc, mais pour des raisons à l’évidence différentes.Cependant, en France, toute information peut potentiellement sortir. La pression politique existe mais n'a que peu d'impact sur l'ensemble de la presse.

Si le gouvernement n'est pas en mesure de bloquer la grande majorité des flux d'information, que se passe-t'il si le système de presse manque d'efficience et ne permet pas de générer tous les flux d'information qui seraient nécessaire à une information supérieure, concourant au fonctionnement démocratique ?

Ceci, me semble-t'il, correspond davantage au cas de la presse française.

Je vois deux limitations principales au travail, nécessaire, des journalistes d'investigation : le manque de moyens financiers, et une indépendance toujours plus relative des rédactions vis-à-vis de leurs actionnaires. La censure politique se transpose, d'une certaine manière, dans le domaine économique.

La recherche, la collecte, le traitement et la mise en forme de l'information ont un coût. Si les cellules d'investigations de nos médias sont limitées dans leurs budgets, ils auront tendance à ne plus s'attaquer aux sujets non rentables. Ceci est une forme de limitation à la circulation de l'information. Certains journalistes d'investigation n'ont même pas accès aux bases de données dont disposent la plupart des entreprises, ayant un coût de l'ordre de quelques milliers d'euros annuels. Ils ont donc des difficultés à couvrir l'information ouverte quand leur travail consiste, par essence, à faire avancer l'information ouverte. Paradoxal.

Les groupes de presse ont, nécessairement, de grandes difficultés financières. Le déclin de la presse papier est un fait. Même le journal emblématique "Le Monde" équilibre toujours plus difficilement ses comptes. Les journaux se tournent alors vers la publicité ou vers l’intégration forcée à de grands groupes industriels. Outre les contraintes financière d’une entreprise qui descendront jusqu’aux rédactions, il deviendra de plus en plus difficile d’écrire sur son actionnaire un vrai article à charge.

La presse française est donc relativement libre, mais subit les contraintes du monde financier, ce qui limite sa capacité d’investigation.

Nous assistons donc à la naissance de journaux alternatifs. En 2007, les plus marquants ont été Rue89, Bakchich ainsi que le projet d’Edwy Plenel, Mediapart. Ces initiatives se fondent sur des coûts de fonctionnement réduits au maximum grâce à l’utilisation quasi exclusive d’internet, ce permettant de se concentrer sur l’investigation et le contenu. On ne peut nier une certaine réussite à Rue89 et Bakchich, dont l’initiative a le mérite de proposer de nouveaux modèles de presse.

Cependant, l’épée de Damoclès financière n’est pas loin : Edwy Plenel est, semble-t’il, en recherche de financements. Depuis quelques mois, le numéro jusqu’alors gratuit de Bakchich est à 1 euro, téléchargeable sur le site.

Nous revenons une fois de plus à la question du modèle économique, en train de rattraper également ces nouveaux journaux …

Marc ROUSSET
http://marcrousset.over-blog.net