Le pari financier des Britanniques

L'attrait britannique pour le secteur financier ne remonte pas à hier. Aujourd'hui, il est tel que le Royaume-Uni a délaissé certains secteurs de son industrie. La situation du Royaume-Uni, tant au niveau des relations internationales qu'au niveau de sa position au sein des systèmes commerciaux et monétaires internationaux, a pourtant bien changé par rapport au début du XXème siècle. Le contexte actuel pose la question de l'impact du pari financier du Royaume-Uni sur sa situation si les contextes économiques ou  politique évoluaient défavorablement.


Du point de vue économique, bien que tous les principaux pays membres de l'OCDE aient tous connu, durant ces dernières années une baisse significative de la part de leur secteur industriel dans leur PIB respectif, cette baisse est particulièrement importante pour le Royaume-Uni et semble également ête expliquée par des facteurs différents de ceux des autres pays industrialisés. A la fin du XIXème siècle, la politique initiée par Margareth Thatcher a également et délibérément lâché l'industrie au profit du secteur des services à haute valeur ajoutée et, en particulier, des services financiers. Certaines explications de la désindustrialisation du Royaume-Uni en faveur des services financiers sont souvent retenues : le fléchissement de l'esprit d'entreprise [1], le développement d'une mentalité court termiste, la mise en oeuvre de politiques destinées à la stabilité d'indicateurs économiques chère aux milieux financiers (taux d'intérêts, inflation,...) alors qu'elles ne s'accordent pas avec celles auxquelles les industries sont sensibles (emploi, production) [2], etc...

Mais la principale explication de la préférence accordée au secteur financier ressort de la position du Royaume-Uni au sein des échanges commerciaux et financiers. Adepte précoce de la libre-circulation des biens et des personnes, le Royaume-Uni a favorisé l'ouverture aux échanges, la concurrence et le redéploiement de ressources économiques vers les secteurs dans lesquels il détient un avantage comparatif. Cette ouverture commerciale du pays a permis le développement de flux financiers à partir de et vers son territoire. Si à la fin du XIXème siècle, le Royaume-Uni était placé au centre de ces échanges, le pays a délibérément développé une législation attrayante pour maintenir et développer cette position à la fin du XXème siècle. Ayant saisi que le facteur clé de fonctionnement de l'économie planétaire est la mondialisation financière, issue de la déréglementation et de la libéralisation des marchés, le Royaume-Uni a misé sur son avantage dans les services financiers pour percevoir une sorte de rente sur les transactions dont le nombre s'est démultiplié suite à leur dématérialisation et à la désintermédiation financière.

Sur le plan politique, la position du Royaume-Uni a bioen changé depuis le début du XXème siècle. A l'époque, au faîte de son hégémonie, ce pays dominait un tiers des terres émergées, contrôlait les principales voies maritimes servant aux échanges mondiaux, percevait déjà de larges bénéfices de ses investissements extérieures, lui assurant une balance de paiement [3] équilibrée à son avantage. Il détenait également la monnaie de référence, soutenait le système monétaire de l'étalon-or qui garantissait la convertibilité de la Livre en or et assurait, par sa position, la stabilité nécessaire à l'exportation des capitaux à travers le monde.

A la fin du XXème siècle, le Royaume-Uni n'est plus maître ni des terres ni des mers. Suite aux lourds tributs que ce pays a payé pendant les deux guerres mondiales gagnées par son grand allié américain, le Royaume-Uni a connu la décolonisation et le délitement du Commonwealth. Au point que, aujourd'hui, ce club anglophone n'apparaît plus que comme une francophonie à l'anglaise.

Cependant, dès son entrée dans la Communauté Européenne en 1973, le Royaume-Uni mit en oeuvre les démarches nécessaires à la construction d'une Union Européenne atlantiste dépendant politiquement de son allié d'outre-Atlantique, en terme d'élargissement, de défense, de la PAC,etc.... Sur la scène internationale, aussi bien ses positions diplomatiques que celles défendues au sein des instances monétaires et commerciales internationales se rapprochent le plus de celles des Etats-Unis. La position politique britannique peut s'expliquer tant par les liens historiques et culturels tissés avec les Etats-Unis que par le sentiment que seul le poids politique de leur allié privilégié est en mesure de maintenir une stabilité politique et financière mondiale nécessaire pour préserver leur rente de situation.

Actuellement, le bénéfice de cette situation est illustrée par des taux de croissance britanniques supérieurs à ceux de ses voisins européens. En revanche, si un déséquillibre géopolitique ou économique mondial conduit à une brusque contraction des flux financiers, la position de l'économie britannique pourrait ne plus sembler si enviable. Quelles seraient les conséquences d'un conflit militaire important ou d'une crise financière d'ampleur sur l'activité du secteur financier britannique? Quel serait l'impact de problèmes rencontrés par ce secteur sur l'ensemble de l'économie britannique?

L'importance accordée aux services financiers ne crée-t-elle pas une dépendance irrémédiable des Britanniques vis-à-vis des Etats-Unis pour le maintien de la stabilité politique mondiale et vis-à-vis des autres puissances économiques pour la stabilité des systèmes commercial et financier?

Le Royaume-Uni envisage-t-il d'autres appuis que celui des Etats-Unis pour surmonter une crise financière conséquente? Jusqu'à quel point leur allié privilégié actuel est-il prêt à le supporter dans une telle situation?


A. S.




[1] Rubinstein R.W. (1993), Capitalism, Culture and Decline in Britain 1750-1990, London and New York: Routledge



[2] Dintenfass M. (1992), The decline of industrial Britain, 1870-1980, London and New York, Routledge


[3]Tandis que sa balance commerciale est restée déficitaire durant les XIXème et XXème siècles.