L’Europe en mal de puissance

En ce début d’année 2008, le constat est amer : l’Europe est en mal de puissance. Si l’on peut se réjouir de l’entrée de deux nouveaux pays dans la zone Euro, Malte et Chypre, les bienfaits influeront davantage sur leur politique intérieure que sur l’Europe en général. Au-delà de cette évolution économique et financière ponctuelle, plusieurs faits et indices démontrent que l’Europe a vraiment beaucoup de difficultés à évoluer pour devenir une puissance à part entière, qui compte dans le monde actuel. Or, avec la mondialisation tout azimut, le temps défile et les atermoiements sont autant de retards dans le développement d’une Europe puissance.


Si la zone Euro compte aujourd’hui une majorité des Etats membres de l’UE, certains montrent peu d’empressement à franchir le pas. Pourtant, le poids de l’Euro dans les échanges commerciaux et financiers mondiaux est croissant. Le poids économique de la zone est de 22% du PIB mondial (27% pour les Etats-Unis). Le succès est donc au rendez-vous, même si au quotidien l’Euro est contesté et accusé d’avoir favorisé l’augmentation du coût de la vie. L’Europe doit être néanmoins consciente du poids économique mondial qu’elle représente pour peser véritablement sur les décisions et les équilibres mondiaux. Elle dispose avec l’Euro d’un vrai « contre-pouvoir » face au dollar qu’il faut valoriser.

Dans le domaine militaire, l’Europe montre également en ce moment une image divisée  avec la mise en place de l’Eufor. Cette force militaire européenne aurait du être déployée au Tchad et en République centrafricaine depuis plus de deux mois pour assurer la sécurité des 200 000 Tchadiens et Centrafricains qui doivent rentrer dans leurs villages. Fin décembre, il manquait encore 1200 hommes sur 4000, et un certain nombre de matériels de transport (avions et hélicoptères). Le 09 janvier dernier, la France a annoncé qu’elle mettait à disposition de cette force les hélicoptères manquants et 500 hommes supplémentaires afin de sauver cette mission. Plusieurs pays de l’UE, dont l’Allemagne, ont ainsi fait la preuve de leur  mauvaise volonté. Cette attitude et ces difficultés donnent une très mauvaise image de l’Europe, en interne mais surtout vis-à-vis de l’extérieur (organisations internationales, Etats,…), et démontrent qu’un certain nombre de membre de l’UE ne sont pas encore prêts à accepter l’idée d’une défense européenne, élément indispensable à la définition et à la construction d’une vraie puissance européenne.

Lorsque l’on suit l’actualité internationale, notamment en France, on constate également que le traitement médiatique de l’Europe est particulièrement pauvre. Hormis lors de certains grands rendez-vous, bien peu de médias, notamment télévisuels (les plus suivis), présentent avec régularité des sujets sur l’Europe, de quelque nature qu’ils soient. Encore moins disposent d’une rubrique, d’un rendez-vous régulier, concernant l’Union européenne. Comment alors s’étonner de la méconnaissance des citoyens de ce grand ensemble, son fonctionnement, ses atouts comme ses faiblesses, les gens qui la composent….Si l’Europe veut réellement exister, au-delà des nécessités institutionnelles, politiques, elle doit créer une identité. Cette identité passe obligatoirement par les citoyens qui la composent. On en est loin aujourd’hui.

Certes, le Traité de Lisbonne va permettre de fixer des institutions internes mieux adaptées à la gestion à 27 et à la représentation extérieure de l’UE, mais l’Europe semble aujourd’hui « choisir la voie de la facilité » en ayant vidé ce traité de symboles forts qui font l’identité. Il est symptomatique de voir que 16 des pays ayant ratifié la Constitution et regrettant cette « frilosité identitaire » aient rédigé une déclaration rappelant que les symboles (drapeau, devise, hymne, monnaie, journée de l’Europe) « continuent à être les symboles d’une appartenance commune des citoyens à l’UE ». Les divergences sont également nombreuses entre les membres sur le chemin à suivre entre poursuivre l’élargissement et renforcer l’acquis. Or, plus l’Europe s’élargit et plus elle perd en cohérence. Les intérêts nationaux priment toujours sur l’intérêt européen. Même si cette évolution est difficile à accepter, à appliquer, elle est certainement le gage d’une vraie Europe puissance. Comme le souligne une enquête récente auprès des élites chinoises et leur regard sur l’Union européenne, ceux-ci considèrent très négativement ses dysfonctionnements institutionnels ou son manque de cohésion politique, notamment étrangère.

Pour construire une Europe puissance, la nécessité d’un enseignement supérieur et d’un secteur recherche forts et soutenus, sont eux aussi indispensables. Or, 400 000 européens travaillent par exemple aujourd’hui aux Etats-Unis dans le secteur de la recherche et de l’innovation. Et les Etats-Unis prévoient de recruter 700 000 chercheurs d’ici 2010. Les arguments américains sont sonnants et trébuchants, avec des projets attractifs dans des laboratoires avec des moyens et une implication importante des entreprises. Les jeunes cerveaux européens et notamment français et allemands s’expatrient de plus en plus, privant ainsi l’Europe d’une réelle capacité à innover. Là encore, les enjeux sont énormes et s’étendent sur le long terme.

Outre les dissensions internes, que dire de l’action des Etats-Unis toujours prompts à user de différents moyens pour s’assurer que l’Europe se divise. Prôner son élargissement sans fin pour diluer sa cohérence, provoquer la Russie en laissant l’Europe entre deux feux, faire pression sur les nouveaux entrants européens, ce ne sont là que quelques exemples de la stratégie américaine pour s’assurer que l’Europe politique ne se construise pas.

Que veut-on faire de l’Europe ? Une simple zone de marché ou un véritable acteur mondial ? L’Europe a tous les atouts pour devenir bien plus qu’un grand marché, mais ses membres le veulent-ils ? En cette période difficile, les nationalismes sont plus forts et l’union mise à mal. Pourtant, le salut des pays européens passent indéniablement par l’UE. Cela nécessite certes des adaptations, voire des sacrifices, mais le résultat peut être à la hauteur des espérances si on s’en donne la peine. Il faut d’abord consolider, quitte à créer pendant un temps une Europe à plusieurs vitesses et se stabiliser autour d’un projet politique plus ambitieux. Sinon, l’Europe aujourd’hui en mal de puissance, sera vite en panne de puissance et restera un nain politique.

M. D.

Sources :

http://influenceamericaine.blogspot.com/2007/12/quand-les-etats-unis-freinent.html

article de Sophie Fay-« Pourquoi les cerveaux français vont aux États-Unis »-Le Figaro.fr-15/11/2007

Catherine Chatignoux-« Le traité européen de Lisbonne devrait être rapidement ratifié »-Les Echos-13/12/2007

Frédéric Thérin-« Les pays de l’Est traînent des pieds pour adopter la monnaie unique »- Les Echos-04/01/2008

Catherine Chatignoux-« L’Union européenne sort de la crise sans boussole »- Les Echos-04/01/2008

Jean Guisnel-« Tchad-République centrafricaine/Les soldats européens jouent les Arlésiennes »-

Le Point-n°1842 du 03/01/2008

Sophie Fay-« Un plaidoyer chinois pour « plus d’Europe » »- Le Figaro-07/01/2008