Le concept de « l'eau virtuelle » a été présenté par Tony Allan de la London’s School of Oriental and African Studies et professeur au King’s College de Londres au début des années 90 (Allan, 1993; 1994). Il peut être défini comme l’eau contenue dans les produits que nous consommons et utilisons. L’eau est largement utilisée dans tous les processus de production de biens et services qu'ils soient agricoles ou industriels. La première réunion internationale sur le sujet a été tenue en décembre 2002 à Delft, aux Pays-Bas. Une session spéciale a été consacrée en mars 2003 au Japon à la question du commerce virtuel de l’eau à l'occasion du Forum de l’Eau du Tiers-Monde. L’eau virtuelle est un outil essentiel qui permet de calculer l’utilisation réelle des eaux d’un pays, ou son « empreinte sur l’eau » (water footprint). Elle est égale au total de la consommation domestique du pays, complété par ses importations d’eau virtuelle et diminué de ses exportations d’eau virtuelle. L’empreinte sur l’eau d’un pays est un indicateur utile de la demande qu’il exerce sur les ressources en eau de la planète. Ainsi, il faut environ 1000 litres d’eau pour produire 1 kg de blé ou de farine (Hoekstra et Hung 2002), tandis que pour produire 1 kg de riz, il en faut en moyenne plus de 2500 litres (Guerra et al. 1998). Ces 1000 litres et 2500 litres respectivement représentent l’eau virtuelle, soit la quantité d’eau quasiment incorporée dans le kg de blé et de riz, en d’autres termes dans la nourriture.
Le concept de l’« eau virtuelle » permet aussi de démontrer que des déficits locaux en eau (même graves) peuvent être atténués très efficacement par des processus économiques globaux. Prenons le cas de l’Egypte : Si les importations de blé passent de 6,5 millions de tonnes à 6,6 millions. Cela correspond à une importation d’eau virtuelle d’environ 6,6 milliards de tonnes, si l’on applique la règle des 1000 l/kg de blé. En important cette céréale, l’Egypte économise donc presque 12% sur la part d’eau du Nil qui lui est garantie par contrat (55,5 G m3). Il lui suffit d’acheter du blé que les pays industrialisés tels que les Etats-Unis et l’UE mettent sur le marché mondial à des prix subventionnés dérisoires. Si l’on convertit toutes les importations de blé de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord en eau virtuelle, la quantité correspond environ à l’eau du Nil qui s’écoule à travers l’Egypte en une année. Autrement dit : cette région, la plus touchée par le manque d’eau dans tout le monde, économise un Nil tout entier grâce à ces importations (Allan 2003).
Les régions où le solde exportateur d’eau virtuelle est important sont l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Océanie, l’Asie du Sud-est. L’Amérique du Nord (les États-Unis et le Canada) est de loin la première région exportatrice d’eau virtuelle du monde. Le solde exportateur d’eau virtuelle des États-Unis représente un tiers des prélèvements d’eau effectués dans le pays. Les régions où les importations nettes d’eau virtuelle sont importantes sont l’Asie centrale et du Sud, l’Europe occidentale, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Parce qu’elles sont les premières régions du monde en termes de population, l’Asie centrale et du Sud ont de fortes exigences en matière d’alimentation; c’est la raison pour laquelle elles ont les plus fortes importations nettes d’eau virtuelle. Comme l’écrit A.Y. Hoekstra, « Des pays qui sont relativement proches en termes de géographie et de niveau de développement peuvent avoir une situation très différente pour ce qui concerne leurs échanges d’eau virtuelle ». Alors que des pays européens tels que la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et l’Espagne importent de l’eau virtuelle sous forme de produits agricoles, la France exporte une grande quantité d’eau virtuelle. (Volume du solde exportateur (109 m3) de la France par an 88,4. Ce qui fait de la France le 8ème exportateur d’eau virtuelle)
Au Moyen-Orient, on constate que la Syrie a un solde exportateur d’eau virtuelle lié au commerce de produits céréaliers, alors que la Jordanie et Israël sont des pays enregistrant des importations nettes d’eau virtuelle. L'accès à l'eau devient une source de tension de plus en plus significative. La problématique de l’eau virtuelle possède incontestablement une dimension politique et géopolitique importante. Si on raisonne à l’échelle d’un pays, la question de l’allocation des ressources en eau entre les différents secteurs de l’économie est toujours très sensible sur le plan politique. Les réformes du secteur de l’eau visant à résoudre les conflits d’usages (entre les différents secteurs de consommation : municipal, agricole, industriel…) sont souvent périlleuses sur le plan politique. L’inventeur de la métaphore, Tony Allan se plaît à dire que l’eau virtuelle est un concept « économiquement invisible et politiquement silencieux ».
Economiquement invisible parce qu'il n'est pas évident de quantifier l'eau virtuelle importée ou exportée par un pays et donc difficile de se rendre compte de l'impact des éventuelles économies d'eau qui sont réalisées ainsi et de tous les avantages économiques qu'un pays en retire. Politiquement silencieux, parce qu'aucun homme politique ne va admettre ou déclarer officiellement que son pays dépend du commerce international pour une ressource aussi vitale. Ce n'est pas socialement acceptable et ne constitue pas non plus une bonne stratégie politique. De plus, selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), pour que le commerce d'eau virtuelle soit réellement bénéfique, les pays doivent remédier aux mesures incitatives, aux effets pervers qu'ils appliquent parfois en faveur d'une sur-utilisation de cette ressource. Dans de nombreuses parties du monde, le prix de l'eau ne reflète pas son véritable coût car il n'intègre pas pleinement les externalités environnementales, sociales et autres éléments négatifs qui accompagnent son épuisement progressif ou sa mauvaise utilisation.
Gaspard Tavernier
Sources
Sites internet utilisés :
Biographie Tony Allan :
http://www.kcl.ac.uk/schools/sspp/geography/people/acad/allan/research.html
Les dangers de l’eau virtuelle :
http://www.unesco.org/courier/1999_02/fr/dossier/txt32.htm
L’eau virtuelle Faits et Chiffres :
http://www.wateryear2003.org/fr/ev.php-URL_ID=5868&URL_DO=DO
_TOPIC&URL_SECTION=201.html
http://www.fsa.ulaval.ca/personnel/vernag/eh/f/cause/lectures/Faits%20et%20
Chiffres%20-%20L'eau%20virtuelle%202003.htm
L’empreinte sur l’eau de quelques pays :
http://www.linternaute.com/savoir/dossier/eau-virtuelle/waterfootprint.shtml
Les cultures qui consomment le plus d’eau :
http://www.linternaute.com/savoir/dossier/eau-virtuelle/cereales.shtml
L’eau virtuelle dans les produits que vous consommez :
http://www.linternaute.com/savoir/dossier/eau-virtuelle/produits.shtml
Forum de l’eau à Kyoto :
http://www.h2o.net/magazine/urgences/enjeux/politiques/2003_kyoto/
francais/kyoto.htm
PDF utilisés :
Ami, pas ennemis Pascal Lamy :
http://www.unep.org/pdf/OurPlanet/2007/february/fr/OP-2007-02-Fr-Article 3.pdf
L’eau dans la nourriture :
http://www.infoagrar.ch/wasser-symposium/images/referat_boetsch_f.pdf
Fiche technique « eau » :
http://decroissance.free.fr/Fichetechnique_eau.pdf
Water footprints of nations: Water use by people as a function of their consumption pattern
A. Y. Hoekstra · A. K. Chapagain:
http://www.waterfootprint.org/Reports/Hoekstra_and_Chapagain_2006.pdf
World Water Council:
http://www.worldwatercouncil.org/fileadmin/wwc/About_us/official_
documents/Statuts_fran_ais_approuv_s___la_4_me_AG.pdf
http://www.waterfootprint.org/Reports/virtual_water_final_synthesis.pdf
L’eau dans le monde ? :
http://www.vouloirentreprendre.com/mediatheque/veolia.pdf