L’avenir de l’agriculture européenne

Le Mouvement pour une Organisation Mondiale de l’Agriculture, le MOMA, vient de publier une analyse très pertinente sur les limites de l’analyse de la Commission Européenne dans le domaine agricole. Le document que la Commission européenne a remis au Parlement européen vise théoriquement à préparer la nouvelle politique agricole après la Politique Agricole Commune (PAC). Une consultation de six mois a été lancée, ouvrant la voie aux stratégies d’influence intérieures et extérieures de toute nature.


Le MOMA  a lancé à cette occasion un véritable message d’alerte en affirmant que « la Commission part d’un postulat hautement contestable : celui d’un monde sans risque de rupture d’approvisionnement, avec une rencontre parfaite offre-demande, en bref une situation où la main invisible du marché pourrait tout à la fois satisfaire les producteurs et les consommateurs. Dès lors, elle propose de reconsidérer l’existence même des systèmes d’intervention. En un mot, elle affirme que pour définir un avenir à la PAC, il faut d’abord commencer par la démanteler. Curieusement, elle propose « de réaliser, à un stade ultérieur, une analyse plus générale des risques pour la période postérieure à 2013 ». C’est comme si le ministère de la Défense planifiait une analyse des menaces après cinq ans d’observation du monde et, dans l’intervalle, une neutralisation des moyens d’intervention opérationnels.»

Mariann Fischer-Boel, la commissaire européenne de l’agriculture et du développement rural, s’est lancée dans un projet de réforme de la PAC en proposant la suppression des tarifs douaniers ainsi que l’exige l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et la diminution la part allouée à l’agriculture dans le budget de l’Union Européenne (UE). Cette réforme révèle un autre enjeu qui aura des conséquences à la fois sur l’avenir de notre agriculture et donc sur notre industrie agroalimentaire qui est, rappelons-le, le premier secteur industriel français : avec 39,3 milliards d’euros d’exportations, 1,6 millions d’emplois et une balance commerciale excédentaire de 9 milliards d’euros, l’agriculture française est la première d’Europe et la deuxième mondiale.

La France peut-elle se permettre de perdre une bataille majeure pour l’avenir de son économie mais aussi pour le bien être alimentaire de ses citoyens ?

L’appel du Président de la République française à la « préférence communautaire sur les produits agricoles » s’inscrit dans cette problématique. Sa proposition est loin de faire l’unanimité à Bruxelles. Le premier concurrent de l’agriculture française et européenne est l’agriculture américaine. Autrement dit, les membres de l’UE sous la dépendance des Etats-Unis sont potentiellement les adversaires internes d’une agriculture européenne puissante et compétitive. Aujourd’hui, la Commission en reste à une vision très linéaire de la question agricole. Loin de poser les questions de fond, elle préfère porter son attention sur l’élaboration d’une zone de libre échange où l’on doit appliquer les règles de l’OMC, c'est-à-dire supprimer les tarifs douaniers pour laisser l’offre et la demande fixer librement le prix des matières agricoles. Elle ne tient pas compte du dumping social, environnemental, monétaire et sanitaire des pays émergents qui cherchent à écouler leurs produits agricoles sur le marché mondial. De leur côté, les Etats-Unis utilisent leurs alliés européens comme la Grande-Bretagne pour ralentir ou faire échouer les négociations sur la préférence communautaire.

A cet obstacle s’ajoute le fait que, pour de nombreux pays européens, l’agriculture n’est pas un secteur stratégique. Seules des nations comme l’Autriche et l’Allemagne ont conscience de la nécessité d’adapter la PAC pour affronter la concurrence américaine. Une minorité de Français a également saisi l’importance de cet enjeu stratégique. Pourquoi cette perception limitée ? Ce phénomène s’explique par la forte proportion d’urbains, très peu sensibilisés aux questions de dépendance agricole, de sécurité alimentaire, ou de préservation des territoires.

Le vœu exprimé par le président français est pour l’instant peu audible car il a été prononcé lors du salon agricole SPACE à Rennes. De plus, le programme de la présidence française de l’UE en 2008 n’intègre pas l’agriculture comme thème de travail. Aucune task force n’a été constituée pour faire aboutir au niveau européen la stratégie présidentielle sur la préférence communautaire. D’aucuns s’interrogent sur la prudence du ministre français de l'agriculture, Michel Barnier, qui connaît très bien les arcanes de la Commission de  Bruxelles puisqu’il y a été commissaire. Sa candidature éventuelle à un futur mandat de président de la Commission européenne ne risque-t-elle pas de perturber la donne ?

De leur côté, les structures agricoles françaises jouent pour l’instant en ordre dispersé et se concentrent sur la défense de leurs intérêts.

Bertrand Terreux

Sources

Le Monde daté du 12/09/2007 ; « Le président français appelle les agriculteurs à se préparer pour une agriculture nouvelle » ; d’Arnaud Leparmentier et de Philippe Ricard.

Le Monde  daté du 13/09/2007 ; « La PAC n’est plus d’actualité : on manque de tout, le blé flambe, on parle même de revenir sur la jachère » ; de Laetitia Clavreul.

Le Monde daté du 09/10/07 ; « Bruxelles n’envisage pas de réformer la PAC dans le sens souhaité par l’Elysée » ; de Laetitia Clavreul et de Philippe Ricard.

Le Monde daté du 07/11/2007 ; « Washington attend de la France « un nouvel élan » ; de Corine Lesnes.

http://www.elysee.fr/elysee/root/bank/print/79385.htm.

http://www.momagri.org/