L’affrontement énergétique entre l’Ukraine et la Russie

Le problème de l’approvisionnement en gaz est au cœur des défis économiques que l’Ukraine doit affronter. Avec des besoins annuels estimés à 76 milliards de mètres cube, et une dépendance aux importations de près de 80%, la situation économique et politique de l’Ukraine dépend fortement de la relation qu’elle entretient avec la Russie. La « crise du gaz » intervenue fin 2005 a démontré que l’énergie représente un facteur de puissance diplomatique pour la Russie, tant au niveau de ses relations avec l’Ukraine qu’au niveau de la pression exercée sur l’Union Européenne. Ayant pour origine officielle des accusations de la part du Kremlin, selon lesquelles l’Ukraine se « servirait » en gaz directement dans les réseaux de transports en provenance de Russie. Le règlement de cette crise du gaz  par l’accord du 4 janvier 2006 prend la forme d’un regain d’influence de Moscou sur Kiev, gelant la remise à plat des relations bilatérales entre les deux pays.

 


Sous Koutchma, le gaz turkmène était acheminé en Ukraine par l’intermédiaire d’Itéra, une société de droit américain, très liée au complexe énergétique turkmène, mais elle-même créée en 1994 par un Russe originaire du Turkménistan, Igor Makarov. Déjà en 2001, après l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, Itera, par l’intermédiaire de Gazprom et de son nouveau dirigeant, Miller, est évincé du rôle d’intermédiaire en approvisionnement. Gazprom ne participait pas au capital d’Itera, tout comme Naftogaz, le distributeur gazier ukrainien.

Le nouvel intermédiaire, EuralTransgas, créé par Dmitri Firtash, un homme d’affaire ukrainien, par l’intermédiaire d’une structure offshore basée à Chypre, laisse entrevoir les premiers signes de manipulation douteuse, notamment en raison de l’inconnu qui entoure ses principaux actionnaires. En outre, le rôle de Firtash dans la gestion d’ETG reste très flou. Après une prise de bénéfices conséquente (220 millions d’euros en 2003), une nouvelle structure est créée : RosUkrEnergo (RUE).  Cette société, créée en juillet 2004, reste, malgré l’énorme rôle qu’elle joue dans le transit de gaz, mais aussi de pétrole, entourée de mystères. On a connu que très tard l’identité de certains propriétaires de cette structure. Firtash en possède en réalité une grande partie (45%), par l’intérmédiaire de la société Raiffaisen, et semble agir pour le compte d’un groupe d’hommes d’affaire. L’autre propriétaire n’est autre que la société GazpromBank, filiale de Gazprom.  Reste à connaître les personnes réelles possédant les parts de cette société, et surtout quels liens ces individus entretiennent avec les personnalités officielles chargées de la gestion de l’énergie en Ukraine. Cette société est donc détenue, côté ukrainien, par un groupe d’hommes d’affaires privés.

Ces hommes, incluant Firtash, agissent-ils pour le compte de tiers ? Et de quel côté, ukrainien ou russe, ces personnages travaillent ils ? Que penser  par exemple du rôle joué par Semion Mogilevitch, un natif de Kiev réfugié à Moscou, impliqué dans diverses malversations, recherché encore aujourd’hui par le FBI, et lié à RUE, selon les services de sécurité ukrainiens ?

UkrGazEnergo, société mixte créée le 2 février 2006 dans le cadre de l’accord du 4 janvier 2006, est détenue à parts égales par RosUkrEnergo et Naftogaz Ukrainy. Elle est un compétiteur de Naftogaz pour la fourniture de gaz sur le marché intérieur. Ainsi l’Ukraine, qui achetait le gaz turkmène directement auprès de Turkmengaz, ne peut le faire désormais que par l’intermédiaire de la société mixte RUE. Naftogaz, depuis que RUE est entré dans le secteur, s’est considérablement endetté. Cet endettement résulte principalement d’opérations douteuses et de la vente du gaz à prix préférentiel sur le marché interne, alors que le coût à l’import ne cesse d’augmenter. En se fondant sur le rapport de la Cour des comptes et du Comité anti monopole, il ressort qu’une grande partie de l’endettement résulterait de malversations. L’endettement, au premier semestre 2006, serait de 2 milliards de dollars. Pis, Naftogaz est endettée auprès de RUE. Le risque majeur lié à cet endettement réside dans le recouvrement futur. En effet, la seule possibilité pour Naftogaz est de céder à  RUE ses actifs (réseau de stockage, de transport et de distribution ukrainien).

L’emprise de RUE sur le système gazier ukrainien ne s’arrête pas là. Depuis quelques temps, la société intermédiaire multiplie les tentatives de prise de contrôle de sociétés affiliées à Naftogaz, telles que Volyngaz ou Lvivgaz, soit par des transferts d’actifs, soit en demandant à sa société affiliée, UkrGazEnergo, de couper l’alimentation en gaz de ces dernières, jusqu’à cessation d’activité.

Un autre élément troublant dans l’accord du 4 janvier concerne les conditions du transit du gaz turkmène. Depuis 2001, la Russie était engagée à assurer le transport du gaz provenant de cette région vers l’Ukraine. Avec l’accord de 2006, elle n’y est plus contrainte.  Si l’acheminement et l’approvisionnement en gaz dépendent d’un groupe d’individus privés, leur lien avec les milieux politiques ne fait aucun doute, et cela des deux côtés.

Le positionnement de Vladimir Poutine dans le système d’échange gazier entre le Turkménistan, la Russie et l’Ukraine est une réponse géopolitique à l’américanisation de l’Ukraine, à travers la révolution orange, et aux propos du président Loutchenko quant à l’adhésion de son pays à l’Otan. Le 14 septembre 2006, Ianoukovitch déclarait que l’Ukraine allait faire une pause dans son rapprochement avec l’Otan. Dans le même temps, Gazprom paraissait plus modéré dans la politique qu’il comptait suivre, et qui sanctionnait gravement le système économique ukrainien. On ne peut en effet dissocier la crise politique ukrainienne du fonctionnement du système énergétique. La stratégie de rupture avec l’héritage soviétique, mise en place par Ioutchenko et son gouvernement, ne pouvait s’effectuer sans une refonte de l’appareil de production ukrainien. La crise de fin 2005, et surtout la coupure de l’approvisionnement en gaz par la Russie, n’ont fait que décrédibiliser cette stratégie, et le gouvernement lui-même. La perpétuation de modes de gestion de la question gazière fondés sur l'opacité nourrit la corruption au sein des élites dirigeantes. Cette corruption et cette opacité constituent le principal obstacle à la rupture engagée.

Le Kremlin élabore sa stratégie d'influence à partir de ses atouts énergétiques et de sont positionnement géographique. L'affiliation prouvée du gouvernement russe aux entités dirigeantes du système de transport et de distribution énergétique ne font que conforter cette idée. Du côté ukrainien, les activités et les affiliations des principaux coordinateurs de ce même système, majoritairement privés, et impliqués dans la création et le maintien de structures intermédiaires économiquement irrationnelles, comme RosUkrengo, démontrent une volonté de privilégier leurs intérêts personnels et financiers, au détriment des intérêts nationaux. Il en ressort, plus qu'une relation bilatérale visant à renforcer des liens d'assistance historique entre deux pays anciennement rattachés, une volonté nette de la part de la Russie, de désorganisation du système ukrainien, ayant pour but, à terme, l'accroissment de la domination de la Russie sur l'Ukraine, par la destruction des projets de politiques d'indépendance énergétique de ce pays, objectif essentiel de son rapprochement avec l'Europe et les Etats-Unis.


Guillaume Detilleux

 

 

Sources :

Sites internet :

http://liberalisme-democraties-debat-public.com, Article de Claude Rainaudi du 9 janvier 2006.

http://www.seniorplanet.fr/actualite, dépêche AFP du 02/10/2007.


, article du Rian Novosti, Gazprom-Ukraine:Ioutchenko donne des directives à Ianoukovitch en vue des négociations, 8/10/2007

http://www.twq.com/07spring/docs/07spring_wallander.pdf, The Washington Quarterly, 2007.

http://osw.waw.pl/files/EastWeek_100.pdf, article d'Eastweek, 10/10/2007

http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2004_2009/documents/fd/dcas20060502_

11/dcas20060502_11en.pdf

http://www.iss.europa.eu/occasion/occ68.pdf

Presse écrite

Le Figaro, édition du 26 juin 2006, Gaz : l'Ukraine toujours sous la menace russe.

Le Monde,  édition du 10 octobre 2007, L'Ukraine et Gazprom ont signé un accord sur le gaz