La Kanakie est-elle passée sous l'influence des Eglises évangélistes ?
Les journalistes évoquent souvent la faillite de l’Etat Français quand ils abordent les problèmes de justice et les violences sporadiques qui secouent la Nouvelle-Calédonie. Les conflits sont trop souvent réduits aux tensions ethniques entre wallisiens et mélanésiens et à l’agitation sociale qui résulte de l’urbanisation et du chômage. Mais leur vraie cause n’est-elle pas à regarder dans les différences anglo-françaises qui marquent les tous débuts de la période coloniale ?
Il ne faut certes pas négliger les enjeux qui se sont cristallisés autour du nickel et les différents politiques et économiques entre européens d’origine et population indigène.
Mais tout cela n’occulte-t-il pas une vieille opposition entre Catholiques et Protestants, qui régirait encore aujourd’hui les rapports inter ethniques en Calédonie ?
Il faut pour comprendre, revenir succinctement au contexte politique troublé dans lequel l’implantation de la chrétienté va se poursuivre après la prise de possession par la France en 1853. Depuis ce moment, et jusqu’aux accords de Matignon, les autorités françaises mènent une politique de « séparatisme » sous tendue par une équation historique simple : les protestants envoyés par la Mission de Londres, lors du débarquement des deux premiers « teachers » de la London Missionary Society en 1840, à la solde de l’Empire Britannique, sont des ennemis, alors que les catholiques sont amis et alliés du pouvoir français.
De fait, les églises protestantes ont su, dès leur arrivée sur l’île (trois ans avant les missionnaires catholiques), gagner les faveurs des mélanésiens en envoyant en mission des évangélistes océaniens, plus aptes de par leur proximité de culture, à utiliser les voies coutumières pour présenter la bible aux autochtones. C’est en recourant aux mêmes méthodes, en faisant venir à Nouméa des polynésiens ou vanuatus convertis au pentecôtisme, que se sont implantées en 1955 les premières Assemblées de Dieu (3500 membres et 56 lieux de culte recensés en 1999), suivis dans les années 1960 par des missionnaires américains.
Ces assemblées néocalédoniennes ont joué un rôle important dans la progression et la diversification des églises néo-évangélistes (charismatiques, adventistes, pentecôtistes…) via les communautés immigrées venues chercher du travail dans les mines de nickel. Aujourd’hui 40 % de la population néocalédonienne est protestante. C’est sur le terreau fertile des revendications canaques, que la mouvance des églises évangéliques mène tous azimuts de multiples actions d’influence, pilotées depuis les plus hautes instances œcuméniques, avec en perspective le referendum de 2018 sur l’indépendance (sur lequel pèse rappelons le, la résolution numéro 41/41 de l’ONU). Pour diffuser son message, l’Eglise Protestante Réformée s’appuie sur les thématiques mêmes que l’Etat Français entend promouvoir au sein de la nation : droits de l’homme, émancipation politique et culturelle des peuples autochtones, démocratie, éducation, prévention des conflits, préservation des ressources et développement durable, réduction de la pauvreté, défense des travailleurs, etc.
Le conglomérat mondial formé par la Council for World Mission (issue de la London Missionary), le World Council for Churches (WCC), la World Alliance of Reformed Churches (WARC), et la Communauté d’Eglises Protestantes en Mission en France (CEVAA), a créé en 1989 une plateforme à vocation économique et lobbyiste : l’Europe Pacific Solidarity Network (EPS) dont le secrétariat : l’European Center on Pacific Issues (ECSIEP) implanté en Hollande, est l’organe actif. A l’ECSIEP est accolée une structure désignée sous le sigle ICCO. Cette dernière a pour mission de « travailler à un monde où ne règnent ni pauvreté ni injustice ». Il s’agit ni plus ni moins d’une (parmi six) organisation de cofinancement (aux Pays-Bas), qui perçoit à elle seule 120 millions d’euros par an du gouvernement néerlandais et de l'Union Européenne. La vocation de l’ECSIEP est d’assurer une interface efficace entre une nébuleuse d’ONG (locales et européennes) et l’Union Européenne, pour obtenir le financement d’opérations en Nouvelle-Calédonie, avec pour cadre, les accords de Cotonou signés en 2000. L’ECSIEP joue également le rôle de facilitateur entre ces ONG et les organisations intergouvernementales (Pacific Island Forum, Secretariat of the Pacific Community) dans toute la zone Pacifique (encore dominée par le Commonwealth), avec pour toile de fond le « Pacific Plan ».
Seuls quelques exemples parmi des centaines d’ONG relais peuvent être cités ici : le Pacific Concern Ressources Center (PCRC), le Comité Catholique Contre la Faim (CCFD), l’European Center on Conflict Prevention (ECCP), le Caribbean and North American Area Council (CANAAC), le Development Resource Centre (DEV-ZONE), le Centre de Documentation et de Recherche sur la Paix et les Conflits (CDRPC) … Les projets promus et pilotés par l’ECSIEP sont souvent programmés sur plusieurs années selon des stratégies et méthodes très structurées qui ne sont pas sans évoquer une certaine culture du secret. Voici à titre d’illustration un extrait tiré du rapport annuel 2004 de l’ECSIEP :
“…main funding of the work of ECSIEP was secured via the ECSIEP core project 2003 - 2005 funded by ICCO (project number PC049091), Bread for the World (project number B-MEK-0208-0004), CCFD (project number 500.000.024/2003), EED (project number KED-IP 2003 6015), global ministries (project number 232.005.15), USPG, Methodist Church and Département Missionaire, and the project on Conflicts in the Pacific and the role of NGOs and Churches funded by the Council for World Mission (CWM)”.
Toute cette architecture ne serait rien sans le relais local joué par les églises évangéliques implantées sur le « caillou » : l’EENCIL (Eglise Evangélique en Nouvelle Calédonie et aux Iles Loyauté), Assemblées de Dieu de Nouvelle-Calédonie (ADDNC), l’ASEE (Alliance Scolaire de l’Eglise Evangélique), le Service Protestant de Mission (DEFAP), la Fédération de l’Enseignement Libre Protestant (FELP)… dont l’influence est très marquée sur les milieux indépendantistes kanaks. Les organisations kanaks cibles sont de natures diverses : sociétés civiles et commerciales, ONG, syndicats, mouvements indigènes, fondations, centres de recherches, etc. Parmi les plus connues : RHEEBU NUU (« l’œil du pays »), FLNKS, FCCI, UTLN Kanaky, Agence Kanak de Développement (AKD), USTKE, Parti de Libération Kanak (PALIKA), Société de Financement et d’Investissement de la Province Nord (SOFINOR), etc. Par le biais de cette organisation tentaculaire, digne d’une multinationale, et sous couvert d’une volonté affichée de pacifier la région, les Eglises Evangéliques entretiendraient-elles sciemment les tensions et les conflits entre les Kanaks et l’Etat Français ? Mais n’ont-elles en réalité jamais cessé de le faire depuis la prise de possession de Nouméa par le contre-amiral Febvrier Des Pointes au nom de Napoléon III ?
Pascal Teboul