La Commission européenne enfin offensive sur la question de l’énergie

La proposition de la Commission Européenne de limiter les investissements des compagnies de production d’énergie non-européennes dans les réseaux de distribution d’énergie européens est beaucoup plus offensive qu’elle n’en a l’air. La carte de la libre concurrence invoquée par l’Europe pour se défendre pourrait, au vu de la situation de Gazprom et du marché de l’énergie en Europe, se transformer en arme de guerre économique dans un conflit de puissances qui revêt un caractère d’asymétrie. La proposition présentée le 20 septembre par le Commissaire à l’énergie, Andris Piebalgs, prévoit de défendre le marché européen face à Gazprom en dissociant les activités de production et de transport. Ainsi, les entreprises fournissant du gaz ou de l’électricité sur le territoire de l’Union ne seront pas autorisées à posséder ou à exploiter un système de transport. Dans le cas où une compagnie non européenne souhaiterait acquérir des réseaux européens, il lui faudrait obtenir l’accord de la Commission. Ceci alors que le géant gazier Gazprom, détenu majoritairement par l’Etat russe, a adopté une stratégie offensive qui consiste justement à accéder directement à la distribution de gaz dans certains Etats membres de l’Union européenne. La firme russe a ainsi conclu en 2006 un accord avec l’Italien ENI, lui permettant de vendre du gaz sur le marché italien.  L’ouverture des marchés de l’énergie prônée par la Commission Européenne, qui a adopté le principe de libre concurrence comme facteur essentiel de compétitivité en faveur des consommateurs, semble alors être une porte ouverte à des acteurs monopolistiques du type de Gazprom en Russie. Il est en effet frappant de voir l’asymétrie de ce conflit de puissances par énergie interposée. Revenons un peu en arrière pour comprendre l’évolution des relations entre l’Europe et de la Russie.


En règle générale, la Russie a établi ses relations avec les pays européens sur une base bilatérale, tant avec les gouvernements nationaux qu’avec les compagnies du secteur énergétique. Ce processus initial s’est mis en place naturellement : la plupart des relations politico-commerciales en matière d’énergie trouvent leurs racines dans la Guerre froide, période durant laquelle les institutions européennes ne fonctionnaient pas encore efficacement, du moins en matière de politique énergétique. Cependant, le processus d’intégration européenne a favorisé l’émergence de nouvelles approches en matière de politique commune européenne et de règles du jeu, en encourageant une meilleure concurrence et une politique d’open market, qui ont remis en cause le cadre traditionnel des échanges. Paradoxalement, c’est grâce à cette ouverture des marchés que l’Europe est en mesure, si une volonté politique claire en matière d’énergie émerge, non seulement de se défendre face à Gazprom, mais aussi de contre-attaquer par la diffusion hors de ses frontières de la norme « libre-concurrence ».

Ce qui est plus nouveau dans l’argumentation de Bruxelles est le recours au principe de réciprocité, présenté comme corollaire de cette posture libérale dans la phrase même de José Barroso (« Nous pouvons être ouverts, mais nous ne devons pas être naïfs »). Pour la Commission, si les sociétés russes veulent pouvoir librement investir sur le marché européen de l’énergie, la Russie doit garantir des droits similaires à l’Union européenne. Or, ce n’est pas encore le cas puisque le marché énergétique russe reste en grande partie fondé sur les monopoles naturels et peu ouverts à la concurrence. C’est donc le non-respect par la Russie des règles du jeu du marché qui explique les propositions de la Commission. Sur le fond, ces mesures de l’Union européenne sont aussi motivées par la divergence croissante de politique énergétique avec la Russie. Alors que la Commission s’attache à libéraliser le marché européen de l’énergie, en Russie l’Etat renforce son contrôle sur ce secteur énergétique.

La faille dans le système monopolistique russe réside dans son caractère rentier : Gazprom est dans une optique de rentabilité et pas d’investissement, comme le souligne Claude Mandil, président de l’Agence internationale de l’énergie lorsqu’il dit que « Gazprom n’a pas investi assez dans le développement de nouveaux gisements pour contrebalancer la décroissance de ses trois principaux champs gaziers », lors d’un entretien accordé à l’International Herald Tribune en juillet 2006. Pour d’évidentes raisons, ces problèmes restent non-résolus. Une compagnie qui jouit de son monopole préfère investir dans le renforcement de son pouvoir plutôt que de s’engager dans des projets à plus long terme, porteurs de risques, comme le développement de la production en amont. Par exemple, durant la période 2003-2005, dans un contexte de recettes d’exportation exceptionnelles, Gazprom a consacré environ 14 milliards d’euros à des prises de participation dans des compagnies opérant en dehors du secteur gazier – pétrole, pétrochimie, électricité, industrie de l’équipement et construction. Ces opérations ont été fortement appuyées par l’Etat russe, afin de renforcer l’influence de ce dernier dans certains secteurs d’activités. Cette somme dépasse à elle seule le total des capitaux mobilisés ces dix dernières années pour le développement en amont de la production gazière. D’où depuis 2 ans les premières pénuries de gaz à l’intérieur du marché russe, Gazprom privilégiant l’exportation à la vente intérieure, moins rémunératrice.

Si Gazprom veut donc continuer à poursuivre sa stratégie d'investissement en Europe, cela passera par l'acceptation côté russe d'un cadre normatif de libre concurrence auquel elle n'est structurellement pas prête. La décision de la Commission va donc dans le sens d'une protection des réseaux de distribution tout en tentant d'imposer une nome qui permettrait aux compagnies européennes de pénétrer le marché russe et centrasiatique et donc de garantir la sécurité énergétique de l'Europe.


Martin Pasquier

Sources

 

http://www.ifri.org/files/Russie/ifri_milov_energy_sept2006_fr.pdf

http://www.iris-france.org/Tribunes-2007-09-20.php3

La Tribune, lundi 2 juillet 2007

http://ec.europa.eu/energy/green-paper-energy/doc/2006_03_08_gp_document_fr.pdf