L'exportation d'armement français à la recherche d’un nouveau souffle

Depuis l’échec français du Rafale au Maroc, la question d’une remise à plat du système d’exportation d’armement se pose. En effet, une refonte globale du système de promotion des équipements militaires français sur les marchés d’export est actuellement en cours depuis l’électrochoc de l’échec marocain. L’objectif général actuel est de porter le niveau des commandes à l’exportation au-dessus de celui des commandes domestiques, soit 8 à 10 milliards d’euros, alors que l’année 2006 s’est terminée sur un niveau de commande de 5,7 milliards.
Ce remaniement semble se profiler à tous les stades du commerce de l’armement.    Ainsi, au plus haut niveau de l’Etat, une war-room ou « cellule opérationnelle » est mise en place. Cette dernière, déjà opérationnelle pour l’Arabie-Saoudite, regroupera des représentants des ministères de la défense, des affaires étrangères et des finances, du chef d’état-major de la présidence, de Matignon et du secrétaire général de l’Elysée. Son baptême du feu aérien sera le futur appel d’offre Suisse, ou plus probablement la gestion de l’appel d’offre indien (126 avions de combat + 64 en option), où le Rafale est compétiteur et malgré le fait que le russe MiG soit le favori.
La volonté de réforme se manifeste également au niveau de la Délégation Générale pour l’Armement (DGA) où des nouvelles orientations se profilent. En effet, le coût de fonctionnement de la direction du développement international (DDI) va être diminué. Un investissement sensible est également prévu pour le soutien à l’exportation (17 millions d’euros) ainsi que pour la promotion de la France dans les salons internationaux (Eurosatory, Euronaval, etc). Dans le même temps, la DGA tente d’aider les Petites et Moyennes Entreprises innovantes en matière de défense.
Dans le champ des commissions interministérielles, l’emblématique commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEMMG) dont les décisions sont tant attendues par les industriels de la défense, tente de s’auto-réformer en raccourcissant ses délais de prise de décision (son objectif est d’arriver à 20 jours maximum en 2009). Une refonte de la CIEMMG est tout de même très attendue quand on voit certains de ses errements en matière de règlementation à l’exportation, comme le cas de Thales qui doit obtenir des autorisations d’exportation pour vendre du matériel d’une de ses filiales européennes à une autre). Les réflexions se portent sur un système plus ouvert, moins bureaucratique, mais rien de concret n’a encore vu le jour. Par ailleurs, une nouvelle commission a récemment été créée : la commission interministérielle pour le soutien aux exportations de sécurité (CIEDES). Cette dernière, organisée autour de représentants des ministères de la défense, des affaires étrangères et des finances, du SGDN et de la Coface, a pour rôle d’améliorer ce qui peut l’être dans l’ensemble de la structure d’exportation d’armement. Le secrétariat est assuré par le DDI de la DGA et sa première réunion de la CIEDES a eu lieu le 1er octobre 2007.
Les offices de soutien à l’exportation d’armement sont toujours sur la sellette car l’éparpillement des forces n’est pas un facteur de compétitivité. Eux aussi se doivent d’évoluer. Pour l’instant, ce sont les têtes qui changent mais la rationalisation des structures reste encore une utopie. Défense Conseil International (DCI) vient de changer de directeur général avec la nomination de Jean-Baptiste Pinton. Ce dernier dispose, de par sa carrière, des connexions au niveau du ministère des affaires étrangères ainsi que dans certains pays stratégiques (Singapour, Afrique du Sud). Un de ses grands chantiers sera également l’usage stratégique du trésor de guerre accumulé par DCI et qui n’a jamais été utilisé de manière vraiment offensive. Bercy, en tant que Ministère de cotutelle, n’a pas hésité à y piocher des centaines de millions de francs dans les années 90. A titre d’exemple, la création de la petite entité Intelco au sein de DCI (ex-Cogepag) en 1993 par le contrôleur des armées Jouan n’a pas été comprise par les cadres de la holding et par les dirigeants des filiales du type COFRAS ou AIRCO. C’est ce qui a abouti in fine à l’externalisation de l’Ecole de Guerre Economique. Or l’EGE est aujourd’hui non seulement une structure rentable (contrairement à ce que pensait l’ancien dirigeant de DCI Bruno Durieux en 1997) mais en plus un réseau en phase avec de nombreuses problématiques informationnelles de l’industrie de Défense. Concernant la Sofresa (Société Française d'Exportation de Systèmes Avancés), un changement à sa tête est également en cours pour remplacer Philippe Japiot (qui assure l’intérim depuis le départ de Bruno Cotté pour Alstom). Les prétendants sont Dominique de Combles de Nayves (ex-directeur de cabinet du ministre de la défense Alain Richard), Jérôme Paolini (Conseiller de François Fillon) et Jean-Claude Cousseran (Ancien Directeur Général de la DGSE et disposant de nombreuses connexions dans les pays arabes grâce à ses anciens postes au sein du ministère des affaires étrangères). Ce dernier était encore récemment le grand favori afin d’élargir le champ d’action de la Sofresa (normalement limité à l’Arabie Saoudite) mais d’après certaines rumeurs persistantes, il serait écarté au profit des deux autres prétendants pour des motifs politiques. La Sofema, autre office français de soutien à l’exportation d’armement, s’apprête à remplacer son actionnariat (industriels de l’armement) par le Groupe GMD, spécialisé dans le lobbying. Les principaux problèmes de ces officines restent leurs réorientations ainsi que leur débureaucratisation, qu’aucun administrateur n’a pour le moment entrepri.
Enfin, le dernier point à aborder concernant les changements actuels apportés à tout le système d’exportation d’armement français est celui de la désignation d’un chef de file de ces structures. En effet, un des problèmes majeurs mis en relief par l’affaire Rafale/Maroc est celui du double discours entre la DGA et Dassault concernant les conditions du contrat de vente de l’avion de combat. Afin d’éviter cette schizophrénie française, des mesures sont en train d’être étudiées. Tous les industriels de la défense demandent une structure unique dirigée par un administrateur indépendant ayant la délégation de signature pour ce type de contrat. Actuellement, plusieurs possibilités sont envisagées comme la création d’une nouvelle administration, la transformation de la DDI (DGA) en administration autonome ou encore le changement de statut du directeur des affaires internationales de la DGA pour lui octroyer une liberté complète en la matière.
Au bilan, force est de constater que le tassement des prises de commandes à l’exportation pour nos équipements de défense est une réalité. En effet, entre l'absence de grand contrat dans l’aéronautique depuis plusieurs années, le durcissement de la concurrence et l'insuffisance relative de la consolidation européenne, l'industrie de défense française semble inadaptée pour atteindre son objectif de figurer dans le top trois des exportateurs d'armes. Elle semble en effet se situer plutôt à la cinquième place. Malgré cela et grâce notamment à la mise en pratique du rapport de juin 2006 du député Yves Fromion qui préconisait la création de la CIEDES, l'assouplissement des procédures CIEEMG ou encore la création d'une direction du soutien aux exportations de défense en lieu et place de l’actuelle DDI, la France tente de rattraper son retard et de se réadapter à un univers qu'elle perdait de vue.


Hélène Cometto


Sources :

Rapport Fromion du 23 juin 2006  les exportations de défense et de sécurité de la France.
Les Echos, 31 octobre 2007, « Pour exporter des armes, la France doit parler d'une seule voix ».
La Tribune, 19 octobre 2007, « Rafale au Maroc : le décryptage d’un cuisant échec ».
La Tribune, 5 octobre 2007, « La DGA améliore le soutien à l’export».
http://www.intelligenceonline.fr/,   5 octobre 2007 Un comité pour soutenir les ventes d'armes.
http://www.intelligenceonline.fr/,  20 avril 2006 Que faire du cash des offices?
http://www.intelligenceonline.fr/, 11 mai 2007 Comment booster les ventes d'armes.
Le Monde,  24 octobre 2007,  « L'Elysée veut tirer les leçons du fiasco commercial du Rafale ».
Intelligence Online - Edition Française, 18 octobre 2007, « Un chef de file pour l'export défense ».
Air & Cosmos, 19 janvier 2007, « Sensibilisation des PME aux règles de l'exportation ».
TTU, 3 octobre 2007, « Réunion du CIEDES ».
TTU, 24 octobre 2007, « Lybie ».
Le Figaro Economie, 26 octobre 2007, « Vente d’armes : le dispositif à  l’export sera remis à plat ».