Les Bourses occidentales sous la pression des fonds souverains

 Les 20 et 21 septembre 2007, le London Stock Exchange (LSE) a vu plus de la moitié de son capital partir dans les actifs de deux bourses orientales, celle de Borse Dubaï (comprenant Dubaï Financial Market (DFM) et Dubaï International Finance Exchange (DIFX)) et celle du Qatar (AIQ), détenant à présent 51% du LES. A l’origine de ces mouvements financiers, le NASDAQ, anciennement détenteur de 31% du LSE et ayant risqué une réduction de sa participation à 22% par l’achat du LSE de la Borsa Italia (01 octobre 2007), a décidé de mettre en vente ses actifs dans le LSE afin de contrer l’offre de Borse Dubaï sur OMX, l’acteur boursier nordique et balte. Au terme d’un accord entre Borse Dubaï et le NASDAQ, le contrôle d’OMX a été pris par le NASDAQ contre la cession à Borse Dubaï de 28,8% de ses actifs globaux dans le LSE et 19,99% de son capital. En plus du contrôle d’OMX, l’acteur boursier américain a pris des participations dans Borse Dubaï en se félicitant de la création d’ « un réseau multinational d’échange au service des investisseur » (Bob Greifeld, président du NASDAQ).

C’est oublier les réactions protectionnistes de Washington à l’encontre de Dubaï Ports World lors du rachat de ports américains en 2006. L’Autorité d’Investissement du Qatar (AIQ), rivale de Borse Dubaï sur les places financières orientales, a, le même jour, pris des participations dans le LSE à hauteur de 23% (dont 3% du solde du NASDAQ après accord avec Borse Dubaï) ainsi que 9,98% d’OMX, qualifiant cette participation de « soutien ». En effet, l’acteur financier qatari se présente aux bourses occidentales comme un investisseur de confiance et de longue durée.  Ainsi, si la prise de participation de Borse Dubaï dans le LSE et sa précédente tentative sur OMX semble ou semblait hostile  aux acteurs concernés, l’entrée de l’AIQ est saluée par Clara Furse, CEO du LSE, se disant « heureuse d’accueillir un investisseur à long terme » et par la même occasion un « rival » de Borse Dubaï lui permettant de préserver l’indépendance du LSE.

Comme indiqué ci-dessus, les prises de participation à hauteur de 23% dans le LSE par l’AIQ et son « soutien » de 9,98% dans l’OMX, semblent (pour l’instant) se cantonner à une simple position de « concurrence financière » face à Borse Dubaï. En effet, les deux places boursières, géographiquement voisines, voudraient toutes deux devenirs incontournables dans le milieu boursier faisant de leur position géographique un tremplin dans la finance mondiale entre un marché mature européen, un marché émergent d’Asie et un marché africain en devenir. Cet objectif commun leur permet tout de même des accords de « bons procédés » malgré leur rivalité, comme en témoignent les récentes discussions entamées par les intéressés quant à la possibilité d’échange des 9,98% de l’AIQ dans l’OMX contre 14% de capital du LSE détenus par Borse Dubaï (22/10/2007). Le résultat pourrait porter l’actionnariat de l’AIQ dans le LSE à 34% et lui permettre ainsi de lancer une OPA sur le célèbre marché financier jusqu’à présent indépendant. Les résultantes de ces discussions n’ont encore fait le fruit d’aucuns commentaires de la part de Borse Dubaï et de l’AIQ à part le démenti formel de cette dernière sur la question du rachat, à terme,  du LSE (à suivre…).

Les pays du Golfe, dont les réserves de ressources naturelles s’amoindrissent, tentent de trouver des positions alternatives dans une ère de mondialisation. Jusqu’à présent spectateurs des marchés occidentaux (en restant discret et minoritaire dans les prises de participations), ces pays tendent à devenir des acteurs très actifs dans la finance mondiale, utilisant leur fonds souverains comme outils de levier. Derrière les investissements de masses de l’AIQ se trouve donc une réelle stratégie de puissance, exprimée par les marchés financiers. La richesse des fonds et leur capacité d’action autorise ces nouvelles institutions boursières à s’ingérer au cœur des économies occidentales sans difficultés, les rendant dépendantes, tout en travaillant une image de partenaire comme le fait remarquablement l’AIQ.

Si les présidents du NASDAQ et du LSE sont enthousiastes vis-à-vis de leurs partenaires , les énormes mouvements financiers ont alerté un peu plus les Etats occidentaux sur le pouvoir de ces fonds souverains sur leur propre marché, poussant l’administration Bush à demander une réunion des ministres des finances du G7 à ce propos (19 octobre 2007). Les discussions sur le sujet sont loin d’être bouclées tant il est complexe. Plusieurs esquisses protectionnistes se dessinent dans les pays occidentaux, notamment via le droit d’ingérence des Etats dans les prises de participations d’entreprises considérées comme stratégiques ou sensibles, ou encore, par renationalisation. Le FMI aborde, quant à lui, la question  par la Stratégie d’Allocation des Actifs (SAA) inconnue des  ¾  des fonds souverains.

Au niveau Européen, l’idée commence à faire son chemin avec l’évocation d’une « golden share européenne » (action préférentielle) empêchant les prises de contrôle hostiles. Cependant, le spectre du protectionnisme resurgissant, les débats ont été suspendus laissant (encore) grandes ouvertes les portes des entreprises européennes au grand dam du président Français et de la chancelière Allemande, figures de proue du navire européen. Les problématiques soulevées par l’ensemble des fonds souverains restent donc encore sans réponses, partagées entre un libéralisme exacerbé, voir aveugle et un protectionnisme  réorientant les politiques financières des Etats.

Brice Ouizeman