La France prisonnière de ses contradictions

Entre une politique de relance fondée sur un accroissement de l’endettement (appuyée par le conseiller élyséen Henri Guaino) et une politique d’austérité fondée sur le constat de la crise financière de l’Etat (thèse de François Fillon), le pouvoir exécutif est à la limite du grand écart. Contrairement aux apparences, la crise durable du Parti socialiste ne lui donne pas de marge de manœuvre supplémentaire car les syndicats enfermés dans une vision purement sociale de l’économie française vont jouer le rôle de minorité agissante perturbatrice, indifférente à la légitimité sortie des urnes. Cette situation inquiétante, six mois à peine après l’élection présidentielle, est le résultat d’un processus historique dans lequel les soubresauts politiciens n’ont finalement qu’une importance marginale. L’économie française s’est construite autour d’un modèle d’économie de subsistances qui arrive aujourd’hui à son terme. L’évolution des modes de vie et le transfert d’une partie de notre potentiel économique vers les économies émergentes aux faibles coûts salariaux ont brisé le mythe éternel de la douce France suffisante à ses besoins. Pendant des siècles, la richesse tirée de l’agriculture a développé dans ce pays une pensée économique centrée sur la protection du patrimoine et l’épargne. Au début du XXIème siècle, le secteur agroalimentaire est encore le plus important de notre économie et les Français sont réputés pour leur attachement à épargner plutôt qu’à prendre des risques financiers. Contrairement à nous, la Grande Bretagne et l’Allemagne n’ont pas pu exploiter leur sol avec autant de constance pour suivre une évolution similaire à la nôtre. Ces pays ont dû aller chercher très tôt dans leur propre Histoire des subsistances à l’extérieur de leur territoire pour se développer. Ces économies d’espace vital (maritime pour l’Angleterre et continental pour l’Allemagne) ont obligé les élites de nos deux voisins à se projeter vers l’extérieur pour trouver de nouvelles richesses. La Grande Bretagne privilégia le commerce. L’Allemagne hésita longtemps entre la conquête territoriale du « Drang Nach Osten » et celui de la conquête commerciale qui est aujourd’hui le fer de lance de son économie de marché. Dans les deux cas, ces deux pays ont bâti au cours des siècles des stratégies d’accroissement de puissance qui créaient un lien quasi dialectique entre les enjeux politiques, économiques et militaires. Quand le britannique Pitt combat Napoléon Ier, il le fait à un double titre, en tant qu’ancien patron de chantiers navals et comme premier Ministre menant le blocus économique contre la France impériale. Lorsque Bismarck crée l’unité allemande, il s’appuie comme Hitler le fera plus tard sur le pouvoir économique des Konzern, des banques et des sociétés d’assurance allemande qui ont construit leur puissance commune en devant s’affranchir pendant des siècles de l’inexistence d’un Etat centralisé.
Cette culture symbiotique du combat économique au service de l’intérêt de puissance fait défaut aux élites françaises. Certes, il existe en France une prodigieuse créativité industrielle qui a permis à plusieurs dizaines de groupes de se hisser au meilleur niveau mondial mais leur force ne suffit plus à tirer le pays vers la mondialisation des échanges. Deux des failles les plus flagrantes de notre économie s’expliquent par cette approche distanciée du monde extérieur. Les PME trop souvent gérées de manière individualiste se sont habituées au statut de la sous-traitance dans lequel les ont enfermées les grands comptes. Les territoires sont encore dominés par cette incapacité chronique des notables des provinces à s’extraire des sentiers battus de l’économie de subsistance passée. Comment sortir de cette difficulté à trouver un chemin commun entre l’intérêt privé et l’intérêt collectif ? La quête récurrente de la croissance illustre bien le blocage de nos élites à penser une stratégie d’accroissement de puissance pour la France. Encore faut-il changer de dimension stratégique et s’affranchir de la vision restrictive des secteurs stratégiques hérités de la pensée gaulliste sur l’indépendance nationale. Henri Guaino se définit comme souverainiste mais sa pensée s’arrête à la finalité de la France dans l’Europe. François Fillion remet en cause le concept de patriotisme économique sans apporter de réponse sur la manière dont la France va encaisser le choc économique chinois et indien, et encore moins sur notre capacité à amener les Etats-Unis à sortir de leur opportunisme commercial à l’égard de l’Asie. Dans les deux cas de figure, il manque un grand dessein, celui de donner à la France les moyens de gagner les combats économiques vitaux qui se profilent à l’horizon.