L’émission Esprit Public diffusée sur France Culture le dimanche 5 août a le grand mérite de donner un éclaircissement important sur le débat portant sur la décolonisation. On y apprend notamment l’ampleur de la manipulation de l’information au sein de l’Education Nationale puisqu’un sujet des épreuves de philosophie du baccalauréat de juin 2007 a été conçu à partir d’un texte dont certains passages ont été modifiés par les professeurs qui ont rédigé le sujet.
Le texte tel qu’il a été présenté donnait selon l’invité de l’émission Daniel Lefeuvre, professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris VIII, une lecture fausse du débat entre Jules Ferry et Clemenceau à propos de l’engagement de la France dans la décolonisation. A ce propos, l’historien Daniel Lefeuvre, auteur de « Pour en finir avec la repentance coloniale » (Flammarion, septembre 2006) nous précise qu’une dizaine d’enseignants de tout grade interviennent dans la validation d’un sujet. Les manipulations idéologiques sur l’histoire sur la colonisation portent aussi bien sur le négationnisme ou l’omission de l’esclavagisme noir ou arabe en Afrique avant la colonisation que sur la simplification de la lecture de l’Histoire de France comme c’est le cas pour la fin du XIXè siècle qui est présentée de manière univoque dans des ouvrages scolaires de la République française. Les enseignants, auteurs des manuels en question, présentent la politique coloniale de la France comme une position unitaire dominante alors que les monarchistes et la droite s’opposaient à l’époque aux partisans du colonialisme en mettant en avant la priorité du patriotisme hexagonal contre l’Allemagne qui s’était emparée de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine à la suite de notre défaite en 1870.
Les défenseurs de la repentance qui dominent pour l’instant la pensée dans l’Education nationale sont souvent des combattants d’arrière-garde du soixante-huitardisme. Battus sur le plan politique dans les années 70, les héritiers du gauchisme et d’une faction des forces anticolonialistes se sont repliés sur des « guerres de l’information » à mener dans la société civile. L’Education nationale est un de leurs fronts principaux. Leur démarche intellectuelle s’est adaptée à l’évolution sociologique de la population scolaire. Lors de l’émission Esprit Public du 29 juillet 2007, les participants à l’émission ont appuyé leur démonstration à partir des statistiques globales sur l’évolution de la population française : sur 62 millions d’habitants, 3 à 5 millions de personnes sont d’origine africaine ou antillaise, 5 millions sont d’origine maghrébine et 4 millions viennent de populations diverses. Cet espace multiculturel s’avère une aire de manœuvre de choix pour les enseignants engagés dans les combats idéologiques. Elle ressemble à celle que le monde syndical avait laissé apparaître en délaissant quelque peu la cause des travailleurs immigrés, ouvriers spécialisés (OS), du début des années 60. Si les syndicats traditionnels ont perçu le danger de laisser les groupuscules gauchistes se coopter comme portes paroles des OS immigrés et ont limité leur présence à l’intérieur des usines, les syndicats enseignants n’ont pas réagi avec la même fermeté pour protéger leur sphère d’influence dans les personnels de l’Education nationale. L’explication résulte de la situation des enseignants dans les établissements où la population scolaire est majoritairement d’origine immigrée. Une attitude conciliante sur la repentance et la dénonciation du colonialisme leur évite bien des désagréments de la part des éléments les plus agités de leurs classes. Cette passivité du corps enseignant facilite la diffusion à grande échelle des manipulations de l’Histoire et de la pensée philosophique (manuels scolaires et questions posées aux examens).
C’est la raison pour laquelle il faut saluer l’émission Esprit Public qui ose enfin aborder un sujet tabou sur une chaîne de radio où les héritiers du post soixante-huitardisme sont très présents. Cette tentative de reconquête du droit de penser est louable mais insuffisante. La passivité du corps enseignant est une fausse victoire des post soixante-huitards mais représente une brèche non négligeable en matière de cohésion nationale. Il ne faut pas délaisser cette guerre intérieure de l’information et abandonner le terrain à des minorités agissantes dont l’objectif n’est pas l’instauration des rentes de situation des groupes trotskistes actuels mais l’affaiblissement durable des fondations historiques de notre pays. Pour être légitime, ce combat doit être collectif. Il implique donc une très forte vigilance des parents d’élèves et une reconquête de notre culture écrite par la contestation systématique des manuels approximatifs ainsi qu’une une remise en cause publique des questions d’examens falsifiées. Internet peut être un vecteur vital pour mener cette guerre intérieure de l’information. Les recours en tribunal administratifs ainsi que la polémique ouverte sur les auteurs de ces manipulations sont désormais des opérations relativement faciles à entreprendre. Il suffit de le vouloir et d’en comprendre la nécessité. La France est un pays de culture écrite. C’est une de ses richesses les plus importantes. L’ensemble du corps enseignant a trop baissé les bras dans ce combat. Aidons-le à reconquérir un principe élémentaire : la qualité de nos écrits.