L'influence chinoise en Afrique

Le 17 Mai dernier, à Shanghai, ont pris fin les discussions sur le thème « Afrique et Asie : partenaires au développement », dans le cadre des assemblées annuelles de la Banque Africaine de Développement. La rencontre fut l’occasion pour Pékin de démontrer un peu plus son intérêt grandissant pour les Etats africains. Au-delà des logiques « gagnant-gagnant » et tiers-mondialiste que prônent les autorités chinoises envers le continent africain (1), se trouvent des motivations bien plus stratégiques, notamment celles en termes d’accès aux ressources pétrolières.
Comment expliquer cet appétit vorace de la Chine pour l’or noir africain ? Quel est le mode d’action des chinois en Afrique ? Les enjeux pétroliers resteront-ils au coeur des relations sino-africaines dans les prochaines décennies ? Quels sont les risques de l’invasion chinoise en Afrique ? Jusqu’où et comment les partenaires traditionnels du continent s’accommoderont-ils de cette présence ? Voici une tentative d’analyse et de réponse.


De la dépendance énergétique de la Chine


La Chine, manufacture du monde, dont la consommation de pétrole (2), de gaz naturel et de charbon est bien supérieure à la production de ses combustibles, se heurte à un déficit énergétique croissant. Au point d’évoquer que « si les modèles de la croissance économique et du commerce international chinois ne sont pas rapidement modifiés et si de nouvelles réserves ne sont pas exploitées localement ou s'il n'y pas d'avancées technologiques, alors la demande en pétrole et l'offre seront en déséquilibre, le développement économique et commercial de la Chine sera en péril. » (3)

Afin de faire face à sa dépendance croissante via à vis du pétrole – 40% aujourd’hui, 60% en 2020 (2) –, Pékin relance, depuis les années 2000, sa longue marche commerciale – et stratégique – vers l’Afrique. Quasiment absente il y a 25 ans, la Chine devient en 2004 le troisième partenaire commercial du continent africain, après les Etats-Unis et la France, substituant ainsi l’influence des joueurs traditionnels occidentaux. Comme le souligne Valérie Niquet, Directrice du Centre Asie de l’IFRI, « la Chine dont la croissance demeure particulièrement gourmande en énergie et en matières premières trouve en l’Afrique un nouveau « grenier » où s’approvisionner en pétrole, minerais [fer, cuivre, or, diamant, platine, acier, aluminium, ndlr], bois d’œuvre et même produits agricoles » (4).

De la « diplomatie pétrolière » africaine

La Chine a besoin de l’Afrique et elle se donne les moyens pour atteindre ses objectifs. L’Empire du Milieu a tout planifié. En quelques années, il a adopté un modus operandi performant, qui vise à nouer des partenariats avec des entreprises publiques pétrolières africaines.
Constituées à 100% de capitaux publics donc étatiques, les compagnies pétrolières chinoises (5) jouissent d’un appui incontestable de leur gouvernement pour la distribution de sommes d’argent massives et la conclusion d’accords.
Pékin peut alors se permettre d’être présent sur l’ensemble de la chaîne de valeur pétrolière : obtention de droits de prospection, financement de constructions de raffineries et d’oléoducs, extraction du pétrole. Ce « développement par la Chine » est inespéré pour les africains et représente une alternative intéressante aux sociétés pétrolières des pays occidentaux.
Aujourd’hui, la Chine rafle plus de 25 % du pétrole d’Afrique, dont la majorité provient du Golfe de Guinée (l’Angola, le Nigeria, le Congo Brazzaville, le Gabon) et du Soudan (6). L’Egypte arrive en seconde position.

Pékin double cette offensive économique d’une politique « maîtresse » de prêts, assortis d’aucune condition politique, et adopte le principe de « non ingérence » dans les affaires intérieures. Les autorités chinoises n'exigent ni le respect des droits de l'homme, ni la lutte contre la corruption ou l'adoption de réformes économiques pour accorder son soutien. En toute impunité, Pékin va à l’encontre totale des structures et pratiques internationales établies, mais assoit, tout en douceur, son pouvoir et son influence auprès des élites politiques africaines. La stratégie de puissance chinoise opère. Un grand pourcentage des contrats – pétroliers notamment – va aux sociétés chinoises (6).
Les Chinois font également tout leur possible pour entretenir des relations étroites – aujourd’hui essentielles mais souvent sous-estimées – avec le Portugal, qui constitue une porte d’entrée sur les pays lusophones d’Afrique (Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau, Mozambique, Sao-Tomé-et-Principe) (8).

De l’avenir de l’Afrique

La production pétrolière africaine représente un peu plus de 10% de la production mondiale. L’avenir de la Chine se jouera très probablement en Afrique. Et le pétrole restera, très certainement, au coeur des relations sino-africaines dans les prochaines décennies. La Chine table d’ailleurs sur une augmentation potentielle de 68% de la production pétrolière africaine d’ici 2020.
A ces enjeux pétroliers pourront s’ajouter ceux relatifs à la production de coton. En effet, d’ici 2010, la Chine pourrait être très demandeuse de cette matière première pour son industrie textile. D’après l’OCDE, une tension sur les marchés de l’acier et de l’aluminium (bauxite) est aussi à prévoir (9). L’invasion chinoise ne fait que commencer.

De quoi inquiéter les partenaires traditionnels occidentaux, tant au niveau politico-économique que social. D’une part, un « envahissement » des importations chinoises est pressenti, car ces importations pourraient concurrencer ou empêcher tout développement ou croissance de l’industrie africaine (10). D’autre part, les aides chinoises pourraient avoir pour conséquence le ré-endettement du continent (11) voire pourraient encourager les pratiques de corruption.

Alors, stratégie bénéfique à tous ou asymétrie économique grandissante entre la Chine et les Etats africains ? Espoir ou controverse ? La Chine : une alternative attirante ou un néocolonisateur sans scrupules ? Une chose est sûre : Pékin est prêt à tout pour atteindre son impératif stratégique : se garantir d’actifs de ressources naturelles incontournables à sa survie.

Estelle KUPIEC.
http://twinpartners.wordpress.com

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Notes :

(1) : « We rejoice at economic and social development in Africa and will continue to provide help to the best of our ability. We are ready to further strengthen cooperation with the Bank and work together with other members to promote Africa’s prosperity and development for the purpose of mutual benefit and seeking a win-win result ».
Extrait de l’allocution de Xiang Jumbo, gouverneur temporaire de la Chine – Assemblées annuelles du Groupe de la Banque africaine de développement – 16, 17 Mai 2006 – http://www.afdb.org/pls/portal/url/ITEM/30A63D453386ECDDE040C00A0C3D64F7.

(2) : La Chine consomme 314 millions de tonnes de pétrole par an, alors qu’elle n’en produit que 180. Elle est le deuxième consommateur mondial de pétrole. Sa dépendante s’élève à 40% aujourd’hui. Ce taux pourrait même atteindre les 60% en 2020, selon un rapport du principal organe chinois de planification économique.

(3) : Source : http://www.leblogfinance.com/2006/01/la_chine_poursu.html

(4) : Source : NIQUET Valérie. L’offensive africaine de la Chine, Lettre du centre Asie IFRI N°11, 02/02/07.
http://www.ifri.org/frontDispatcher/ifri/publications/publications_en_ligne_1044623469287/publi_P_publi_asie_lettre_du_centre_asie_1170432942829

(5) : Les sociétés pétrolières chinoises et leurs implantations en Afrique : Sinopec (Algérie, Mali, Soudan, Gabon, Congo, Angola), CNPC/PetroChina (Mauritanie, Algérie, Tunisie, Nigéria, Niger, Tchad, Soudan, Angola), CNOOC qui vise l’exploitation offshore (Nigéria, Guinée Equatoriale).

(6) : « En Angola, le prêt de 2 milliards de dollars de la Chine était lié à la garantie de Luanda que 70 % des contrats associés au pétrole seraient attribués aux entreprises chinoises. » Extrait de « La Chine en Afrique, l’extorsion des richesses. » Commentaire Canada-Asie. CHAN Cheryl. Numéro 44. Mars 2007. Page 5.

(7) : « La qualité du pétrole de la région du Golfe de Guinée dont la faible teneur en sulfure la rend adaptée aux capacités des raffineries chinoises. »
Extrait de « Chine-Afrique : Après le sommet historique de Pékin. » IRIS. Décembre 2006. http://www.iris-france.org/Tribunes-2006-12-07a.php3

(8) : Source : FISHER-THOMPSON Jim. L’implantation de la Chine dans le secteur pétrolier africain. 18/09/06. http://usinfo.state.gov/fr/Archive/2006/Sep/18-116132.html
MAS Monique. Pékin en quête de nouvelles sources d’énergie africaine. 11/01/06.
http://www.rfi.fr/actufr/articles/073/article_41013.asp

(9) : Source : CEDEAO-CSAO/OCDE. Atlas de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. L’Afrique et la Chine. Décembre 2006. Page 15.

(10) : C’est déjà le cas dans le secteur du BTP, où les ouvriers chinois – plutôt que les ouvriers locaux – sont employés pour la construction de routes, de chemins de fer, de réseaux d’électricité et télécommunications … en Algérie, Nigéria, Rwanda … Cela continue dans le secteur de la distribution (magasins d’alimentation, boutiques de quartiers et restaurants), où la diaspora chinoise contrôle tout. Dans le secteur des vêtements, du textile, de la chaussure et du cuir, 250 000 emplois auraient été perdus au cours des dernières années, compte tenu de l’importation de textiles chinois bon marché.
Source : CHAN Cheryl. Commentaire Canada-Asie. La Chine en Afrique, l’extorsion des richesses. Numéro 44. Mars 2007.

(11) : « L'Allemagne, qui préside cette année le G8, demande que le forum exhorte la Chine à cesser de prêter des millions de dollars aux pays africains sans se soucier de la manière dont les fonds seront utilisés ou s'ils pourront réellement être remboursés. […]
Après les annulations de dette consenties à l'Afrique ces dernières années par les pays riches et les institutions multilatérales du type Fonds monétaire international (FMI) et Banque mondiale, « il convient à présent d'éviter que ne se reconstitue une endettement non soutenable ». […] Pour cela, il est important, selon elle, de respecter les critères édictés par le FMI et la Banque mondiale pour mesurer le niveau d'endettement que peuvent supporter les pays en développement, en fonction « de la qualité de leur gouvernance » interne. « Tous les créanciers devraient s'y tenir. Cet appel du G8 est en particulier destiné à la Chine qui, dans sa politique de prêts à des pays comme le Soudan ou l'Angola, ignore largement les aspects de bonne gouvernance ». »
Source : Dette de l'Afrique : l'Allemagne veut un rappel à l'ordre du G8 à la Chine –
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