Le Brésil : “Puissance Verte”

“Le brésil sera une grande puissance mondiale de l’énergie liquide”. C’est dans les années 70 que José Walter Bautista Vildal (1), un des principaux responsables du programme Pro-Alcool, lance cette affirmation. Trente ans après, le Brésil est le premier producteur et consommateur mondial de biocarburant éthanol. Jusqu’ à 50% moins cher que l’essence, ce nouvel « or vert », obtenu à partir de la canne à sucre, est aujourd’hui une réponse efficace face au cours élevés des prix du pétrole.


Lancé le 14 novembre 1975, le projet Pro-Alcool fut l’unique programme universel de substitution au pétrole qui a donné des résultats concrets. Paradoxalement, le début de ce programme a été dirigé par le général Ernest Geisel, président de Petrobras, société pétrolière nationalisée, qui accéda au pouvoir en 1974. Après le premier choc pétrolier, l’objectif stratégique du gouvernement était principalement de diminuer la dépendance énergétique du pays et d’améliorer la balance des paiements. Entre 1975 et 1976, la production d’éthanol passe de 600 millions de litres par an à 3,4 milliards l/an. Les premières voitures roulant exclusivement avec le biocarburant apparaissent en 1978. Le programme Pro-Alcool se renforcera avec le second choc pétrolier. Des organismes comme le Conseil National de l’Alcool (CNAL) et la Commission Exécutive Nationale de l’Alcool (CENAL) sont créés pour développer et organiser la filière éthanol. Au milieu des années 80, la production atteint les 12,3 milliards de l/an et 90 % du parc automobile « essence » est substitué par des véhicules roulant uniquement à l’éthanol.


Pourtant, en 1999, la part des ventes accordée aux « automobiles vertes » chute à moins de 2 % ! Et l’aventure énergétique du Brésil a bien failli s’arrêter prématurément. Plusieurs facteurs sont à l’origine des défaillances du plan Pro-Alcool au début des années 90. Tout d’abord, le biocarburant est devenu moins attractif avec la baisse des prix du pétrole. Puis, sous la pression de la Banque Mondiale et du FMI, l’Etat brésilien cessa de subventionner les petits producteurs. Ces derniers, qui représentaient 30 % de la production totale d’alcool éthanol, cultivèrent donc d’autres denrées économiquement plus rentables. Or, ce manque se répercuta sur l’approvisionnement des stations services. Il devenait difficile de faire un plein d’éthanol et les brésiliens perdirent confiance en ce carburant.

Si le programme Pro-Alcool n‘était plus capital aux yeux des politiques, il fut maintenu au travers d’initiatives pour les collectivités : « bus verts »… Mais depuis l’entrée dans le 21ème siècle, le prix du baril de brut n’a cessé d’augmenter. Les réserves mondiales de pétrole s’épuisent et la nécessité de palier aux énergies fossiles devient un enjeu majeur pour la sécurité nationale. Le « plan éthanol » est revisité. Il en va de l’autonomie du pays mais, aujourd’hui, se pose également le problème de santé publique lié à la pollution des grandes métropoles, telle Sao Paulo et ses 16 millions d’habitants. Or, l’éthanol est bien moins polluant que les carburants ordinaires. Il est produit à partir de la canne à sucre qui capte pendant sa croissance autant de gaz carbonique qu'elle en rejette lors de sa combustion, si bien que le bilan des émissions de carbone du biocarburant est nul.

Face au pétrole, l’éthanol possède donc trois atouts majeurs : cette énergie est moins chère, plus propre et renouvelable. De 1975 à 2000 l’utilisation de l’éthanol a permis au Brésil de réduire sa production de CO2 d’approximativement 110 millions de tonnes. Au niveau de ses importations, le pays aurait aussi économisé l’équivalent de 550 millions de barils, ce qui se traduit en devise par un impact de 11,5 milliards de dollars (2). Aussi, en 2003, le marché du biocarburant est relancé avec l’arrivée du véhicule « flex-fuel ». Introduite par Volkswagen, la motorisation « flex-fuel » permet à l’utilisateur de rouler à l’éthanol, à l’essence ou aux deux à la fois. Chacun peut ainsi composer selon la disponibilité et les prix des carburants proposés à la pompe. En 2005, un million de véhicules « flex-fuel » sont en circulation au Brésil. Ce type d’automobile représentait 21,6% du total des immatriculations en 2004, et l’on passe déjà 49,5% depuis le début de l'année. Les prévisions pour le marché se basent sur deux tiers des ventes en 2007. Après Volkswagen, Ford, Fiat, Renault et PSA ont du s’adapter et proposent une Clio et une 206 "flex-fuel" aux consommateurs brésiliens.

Actuellement le Brésil produit environs 15 milliards de litres d’éthanol par an. Une étude de l’UNICA, le syndicat professionnel des sucriers, table sur une demande additionnelle de 10 milliards de litres d’ici 2010. Quarante nouvelles usines de distillation sont en construction, avec un total d’investissements calculé à trois milliards de dollars. Plus de 360 000 nouveaux emplois directs et 900 000 emplois indirects devraient être créé grâce à cet essor financier. Intrigués par ce succès, de nombreux gouvernements étrangers se sont intéressés au « miracle » Brésilien. La Chine, le Japon, l’Inde et le Nigeria ont déjà passé commande. Et bien que le model de production d’éthanol brésilien soit exportable, le pays dispose d’atouts indéniables pour rester leader sur ce secteur. Le coût de production moyen de l'éthanol au Brésil est de 19 cents par litre, contre 55 c/l en Europe. De plus, les capacités du pays sont considérables. Les grands patrons de la filière estiment que la production pourrait être doublée ou triplée d’ici cinq ans sans avoir recours à la déforestation (3).

Alors le Brésil va-t-il, cette fois-ci, saisir sa chance ? Pour José Walter Bautista Vildal, il est clair que la situation actuelle du Brésil dans le monde est singulière. Le physicien a récemment déclaré qu’un pays qui voulait être une grande puissance énergétique ne pouvait rester servile et se laisser utiliser comme une « colonie ». Mais si l’éthanol semble soulever l’enthousiasme de toute la sphère économique, il devra, à nouveau, être appuyé par la volonté politique du pays. Au relais des entreprises, il appartient au gouvernement de prendre les décisions stratégiques. Le succès du biocarburant dépendra largement de l’image véhiculée par les décideurs du public et de leur détermination à rayonner sur l’échiquier géopolitique. Le danger étant qu’à l’échelle d’une nation comme le Brésil, il est tentant de rester rivé sur un immense marché intérieur, en pleine croissance, et de délaisser les opportunités extérieures.

Pourtant, de l’autre coté de l’Atlantique, les pays de l’UE cherchent eux aussi des solutions au problème énergétique. En septembre dernier, Dominique de Villepin décrivait les biocarburants comme « un enjeu fondamental à l'heure où la France s’engage à réduire sa consommation de pétrole ». Le Premier Ministre a annoncé l’obligation d’incorporer 5,75% d’énergie verte dans les carburants d’ici 2008, 7% en 2010 et 10% en 2015 (4). Pour atteindre ces quotas, la production française de biocarburant devra donc être multipliée par sept avant 2008. De nombreux agriculteurs français attendaient cette opportunité pour s’engager sur ce nouveau marché. Mais ils craignent que la France imite la Suède et importe de l'éthanol bon marché du Brésil. Or, ce « géant vert » souhaite ardemment conclure le cycle de Doha, et aboutir à une baisse des barrières douanières de l’UE. Le prochain épisode des négociations de l'OMC se tiendra à Hong Kong, du 13 au 18 décembre 2005.

En attendant les résultats de ce sommet, le Brésil rêve d’un libre marché international de l’éthanol. Ce pays, au 5ème rang mondial de part sa superficie, est aujourd’hui le 3ème exportateur de produits agricoles, après les Etats-Unis et l'Union européenne. D’ici 10 ans, il sera sans aucun doute le premier producteur mondial de produits agricoles.

SCS

Notes :

1 Source : www.seti.gov.br/noticias/ noticias_2005/Agos/Bautista_Vidal.htm
2 Source : www.biodieselecooleo.com.br/proalcool/
3 Roberto Giannetti da Fonseca dirige le département des Relations Internationales et du Commerce Extérieur de
la FIESP, la Fédération des Industries de l’Etat de São Paulo.
4 Source : Les Echos, 6 octobre 2005 : Pétrole «vert», l'heure du décollage