Les leçons non assumées de l’Histoire

S’il faut lire un ouvrage pour mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons, c’est bien celui de Vassili Grossman, Carnets de guerre (Calmann Lévy, janvier 2007). Ce reporter de guerre comme on l’appellerait aujourd’hui nous livre une information intéressante sur la bataille de Stalingrad. Le décret 227 émis par Joseph Staline mérite qu’on s’y attarde quelques secondes. Ce décret fixait que le commandant de chaque armée organise entre 3 et 5 détachements de 200 hommes chacun pour faire barrage à l’envahisseur nazi afin de former une seconde ligne de front destinée « à combattre la lâcheté ». En clair, ce décret validait l’ordre de tir sur tout soldat de l’armée rouge qui tentait de fuir devant l’ennemi. Selon Vassilli Grossman (page 167), 13500 soldats de l’armée rouge ont été exécutés par les troupes soviétiques chargées de cette mission, soit l’équivalent d’une douzaine de régiments dans leur format actuel. Il y eut même des cas de fusillés qui avaient été ratés et qui en revenant vers leurs lignes ont été fusillés une seconde fois. La Russie soviétique ne faisait pas les choses à moitié. Il est étrange que ce « point de détail » ait été si peu commenté dans nos médias, pourtant d’habitude si pressés à mettre l’accent sur les sujets de la repentance. Comme quoi le traitement de l’histoire par les adeptes de la défense des Droits de l’homme est fonction de la couleur idéologique des dossiers. L’homo sovieticus n’a pas droit de cité dans leur mémoire collective.Cette impasse systématique sur ce qui dérange le camp des bien pensants commence à devenir lassante. Elle ressemble à d’autres formes de traitement de l’information. Comment ne pas penser à l’histoire de la guerre d’Algérie au cours de laquelle des combattants d’un mouvement de libération nationale, le FLN, commirent durant ces longues années de lutte des crimes contre l’humanité qu’aucune cause à défendre ne pouvait légitimer. Un femme enceinte éventrée, un bébé fracassé contre le mur, des cadavres aux yeux crevés, les parties génitales dans la bouche. Ces images-là sont aussi la honte de l’Algérie comme le recours à la pratique de la torture le fut pour la France. Le silence sur les horreurs commises au nom de la liberté est devenu un critère récurrent de l’humanisme à la française.

L’acte d’omission est un phénomène ancien. Il est symbolisé par la scène de l’exécution de Louis XVI au cours de laquelle les plus excités de la foule environnante vinrent se barbouiller le visage de son sang pour clamer leur joie. Triste image d’une nation qui s’émancipe de la Monarchie absolue. Aussi est-il devenu nécessaire de remettre les pendules à l’heure. Le dossier du Rwanda et le dossier de la Côte d’Ivoire sont traités souvent avec le même principe de sélection et surtout de lecture de l’information. Les omissions répétées sur les dessous de l’Histoire qui dérangent les humanistes de profession ne sont pas des anecdotes. Elles nous fragilisent tous autant que nous sommes. L’autre présenté comme le faible a par nature toujours raison.

Le soldat soviétique qui tire sur son compagnon paniqué par la pression militaire de la Wehrmacht est-il un héros de la grande guerre patriotique ou un assassin qui obéit aux ordres d’un dictateur sanguinaire nommé Joseph Staline ? Quelle vérité faut-il choisir pour rédiger nos livres d’histoire ? Quel est le prix de l’omission ?

La recomposition actuelle du monde soulève des interrogations constantes de ce type. Les incantations humanistes ne sont pas une réponse crédible. Il est urgent de devenir lucide sous peine de ressembler à un pantin ballotté au gré des manipulations les plus diverses, y compris dans ce qui est rangé dans la rubrique des fais divers comme cette brève diffusée « pudiquement » l’autre jour sur France Inter et signalant le viol d’une seconde femme policière à la sortie de son service. Un fait divers parmi d’autres qui ne doit surtout pas être mis rangé dans le dossier de l’insécurité, ce qui pourrait fausser le vote des électeurs dans la campagne présidentielle. De la surinformation dénoncée lors de la campagne précédente, on passe désormais à la non information. La démocratie n’a rien à gagner à ce jeu de balancier orchestré par les opportunistes du temps présent.