Reportage au cœur d’un pôle de compétitivité français

« Ma mondialisation » est un documentaire réalisé par Gilles Perret (1) en 2006 qui traite des problématiques industrielles dans la Vallée de l’Arve en Haute-Savoie. Ce film n’est pas anodin puisqu’il traite du processus de mondialisation au sein d’une vallée, centre névralgique de l’industrie française usinant des pièces pour l’industrie automobile, l’armement, l’aéronautique, etc.
PME/PMI principalement familiales, certaines ont été rachetées à partir de la deuxième moitié de la décennie 1990 par des entreprises étrangères, surtout américaines, et des fonds de pensions ou d’investissement.
Ainsi, le documentaire, à travers le parcours d’Yves Bontaz, fils d'agriculteur devenu patron de 1000 employés, retrace l’évolution de l’industrie française dans cette région : pertes des identités familiales de certaines entreprises, délocalisations, rachat par des fonds de pension étrangers...
Pour commander le dvd : http://www.mamondialisation.com/Loin de présenter le film, cet article a se focalise sur l’un des nombreux aspects soulevés : la main mise du financier sur l’industriel. Ainsi, nous apprenons que six mois après le tournage, et avant même d’avoir vu le film, le groupe Autocam, cité dans le documentaire, s’est « séparé » de son directeur industriel qui témoigne dans le film. De même, en juillet 2006, le groupe Autocam annonçait un nouveau plan social de 140 personnes.
Dans le documentaire, le directeur financier a fait état du rachat de son entreprise par des fonds d’investissements américains. Or, pour se « rembourser » de l’achat, l’une des méthodes employées est de ponctionner les profits de l’entreprise sur un temps très court (entre 3 et 5 ans) et ce, au détriment du temps industriel qui suppose des investissements de long terme. Les effets sont perceptibles rapidement : alors que l’entreprise réalisait les achats nécessaires chaque année pour garder une certaine avance technologique sur ses concurrents (en octroyant une part conséquente du chiffre d’affaire à l’investissement capitalistique), notamment étrangers, ceux-ci (en Europe Centrale et en Asie) voient le gap technologique se réduire et deviennent plus attrayant que les entreprises françaises. D’où, une baisse du chiffre d’affaire, des machines qui périclitent, des licenciements et la perte du savoir faire industriel.

L’actualité récente d’Autocam

A la tête du groupe Autocam, qu'il a fondé en 1988 avec l'aide d'Aurora Capital, John C. Kennedy, avait successivement acheté, en 1998 puis en 2000 les entreprises de décolletage Franck & Pignard et Bouverat. En 2004, Autocam dont le capital était détenu à 60 % par Aurora et à 40 % par son fondateur, change de mains : John C. Kennedy garde 20 % des actions et le géant de l'industrie du transport (44 milliards de dollars de C.A) Penske, via sa filiale TRP (Transportation Resource Partners) et Goldman Sachs en acquièrent, l’un et l’autre, 40 %, sur la base de 400 millions de dollars, valeur globale de vente d'Autocam. Aurora Capital sort donc du jeu, au profit notamment du logisticien américain Penske.
Spécialisée dans la mécanique de précision pour l'automobile, Frank & Pignard a connu des difficultés dues à la baisse des prix, à la hausse des matières premières et à des problèmes de production, avec le lancement difficile d'une vingtaine de nouveaux produits. L'entreprise a mis en place un plan social, concernant 139 postes, qui devrait se solder par 70 licenciements secs, une quarantaine de personnes devant changer de fonction en interne. Par ailleurs, la société va fermer son site historique de Thyez et rapatrier 200 machines et 250 salariés sur ses deux autres usines. Néanmoins, le site polonais (70 salariés) devrait, quant à lui, fortement progresser.

Les questions en suspend :

Jean-Claude Léger, le maire de Cluses, capitale mondiale du décolletage, a interdit les projections du film dans sa ville. En outre, il aurait enjoint certains de ses homologues de villes environnantes à faire de même. Pourquoi ? L’explication serait la suivante : voir un entretien d'une heure réduit à une intervention de 30 secondes, et le refus initial du réalisateur de projeter au maire le film avant l'avant-première. De la part d'un ancien de Canal C (Canal Cluses, la chaîne télé locale), Jean-Claude Léger trouvait la manière un peu discourtoise. D'autant que, par la suite, le député-maire de Bonneville Martial Saddier a réussi à voir le film en avant première ; une condition posée pour l'autoriser à le projeter à la salle des fêtes municipales. Conclusion du maire clusien : « De toute façon, on ne va pas en faire tout un plat, ce n'est tout de même pas la palme d'or du festival de Cannes ! » (2).

Le pôle de compétitivité Arve Industries Haute-Savoie Mont Blanc (en voie de bureaucratisation… ?) possède-t-il un groupe de personnes dédié à la problématique des investissements industriels : besoin d’un financement de long terme, rôle des fonds d’investissements, etc. ? Ont-ils pris conscience de l’importance de cette question comme moyen de développement du décolletage et de l’industrie française en général ?

Le pessimisme et le fatalisme des personnes interviewées. Ouvriers, syndicalistes ou patrons, un même mot d’ordre : « on n’a pas le choix ». Au mieux, un sentiment de passivité est observable dans la population active française. Le problème est donc de trouver un moyen de motivation : l’argent ? Le patriotisme ? Quoi d’autre ?

Le problème de la vente des entreprises : il faut un acheteur (les fonds d’investissement) et un vendeur (le propriétaire). Or, le problème est de savoir ce qui oblige à vendre : l’intensification de la concurrence, la cupidité, les problèmes administratifs (impôts, bureaucratie), etc. ? Sans doute tout cela… Or, la solution à ce problème viendra sûrement de la résolution des deux questions précédemment évoquées.

AR

Sources :
http://www.haute-savoie.com/poles_competitivite.htm
http://www.haute-savoie.com/pdf/catalogue.pdf
http://www.arve-industries.fr/?lang=fr
Bref Rhône Alpes (2006), « licenciements chez Autocam », 30 août.

(1) Gilles Perret : Agé de 38 ans, le réalisateur haut-savoyard en est à son dixième documentaire. II a notamment réalisé « T.IR.-toi du Mont-Blanc » (camions sous le tunnel) et « 8 clos à Évian » (G8 d'Évian). Certains de ses films (« Trois frères pour une vie », « L'homme qui revient du haut », « Les sauveteurs des cimes »), diffusés sur France 3 ou France 5, ont été primés lors de festivals. Gilles Perret est également réalisateur pour le magazine « Chroniques d'en Haut ».

(2) http://www.mecanosprod.com/REVUE_PRESSE/MA_MONDIALISATION/MA_MONDIALISATION_LE_MESSAGER2.htm

Cadrage : la présence américaine dans le décolletage français.

Le premier décolleteur français est l'américain Autocam. Il emploie 1.400 personnes dans la vallée de l'Arve en Haute-Savoie, depuis qu'il a racheté en 1998 les PME familiales Franck et Pignard puis, en 2001, Bouverat André et Fils. En six ans, à l'instar de ces deux sociétés installées dans la vallée depuis plusieurs générations, les plus beaux fleurons industriels du décolletage (usinage de pièce en métal) français sont devenus la propriété de groupes étrangers, majoritairement américains. Selon l'étude publiée fin 2003 par l'établissement de Cluses de la Banque de France, « les entreprises locales contrôlées à plus de 50 % par des groupes étrangers, soit directement, soit par l'intermédiaire de sociétés holdings de rachat, représentent un chiffre d'affaires de 434 millions d'euros, soit le tiers du chiffre d'affaires global réalisé par les décolleteurs de la vallée ». La majorité des décolleteurs français (520 entreprises, 10.000 salariés) sont implantés dans la vallée de l'Arve, qui peut s'enorgueillir ainsi d'une notoriété internationale. Bien que peu mis en avant dans l'Hexagone, ce savoir-faire français a traversé les frontières et attiré les investisseurs étrangers. Leur arrivée a coïncidé avec les premières difficultés des décolleteurs. Longtemps prospères, ces entreprises familiales, peu capitalisées, ont eu de plus en plus de mal à suivre les exigences - en qualité, réactivité, technologie, logistique - qu'imposent leurs grands donneurs d'ordres. Et la mondialisation a changé la donne de la concurrence, provoquant une baisse générale des prix. « Depuis le début de l'année, le prix des matières premières a augmenté de 30 % et les PME ne peuvent pas répercuter ces hausses », note Bernard Jeglot, directeur général du CT Dec, le centre technique du décolletage. D'où l'inquiétude dans la vallée. Les fonds d'investissement qui ont racheté les entreprises de la vallée de l'Arve n'investissent plus dans l'innovation. « Ils construisent des usines en Chine ou ailleurs pour fabriquer les pièces à faible valeur ajoutée », constate Bernard Jeglot. Autocam a ouvert récemment une filiale en Chine à la demande de son client Johnson Electric. Reste l'usinage, le cœur du savoir-faire des décolleteurs haut-savoyards.
La Tribune (2004), « les Américains aiment le décolletage français », 4 novembre.