Les défaillances européennes dans la gestion du réseau électrique


Dans la nuit du samedi au dimanche 5 novembre 2006, l’Europe a frôlé le « black out » la grille de distribution d’électricité a menacé de s’effondrer comme un « château de carte » cette expression imagée est également le terme technique. Si le désastre a été évité, il a néanmoins révélé la grande fragilité du réseau de distribution électrique européen.

Si les raisons exactes de la panne ne sont pas encore clairement établies, les premiers éléments disponibles révèlent une situation embarrassante : la cause du black-out n’est pas un déficit de production, mais un incident dans le réseau de répartition/redistribution. Un problème technique dans le nord de l’Allemagne a conduit l’interruption de deux lignes à très haute tension, avec comme conséquence immédiate l’arrêt des exportations vers les pays voisins, dont la France. Le déséquilibre entre la consommation et la production menaçant la stabilité du réseau, les réseaux locaux déficitaires, ont du  réduire leurs consommations pour restaurer l’équilibre et maintenir leurs contrôles. Ils pratiquèrent donc des délestages sélectifs, dans les secteurs non prioritaires. Une fois l’équilibre rétabli, une relance de la production permis de réalimenter tous les secteurs.

L’incident initial c’est produit dans le nord de l’Allemagne, et le haut degré d’interconnexion, l’a répercuté jusqu’au sud de l’Espagne, la propagation s’est faite en moins d’une heure. Le groupe à l’origine de l’incident, est E.ON, numéro un européen de l’énergie, deuxième producteur d’électricité derrière EDF, E.ON un des fers-de-lance de libéralisation de l’énergie en Europe. Le problème n’est donc pas un problème de compétences techniques, ou de capacités de production, mais d’organisation du réseau lié à des choix stratégiques effectués très en amont.

La bonne nouvelle, c’est que les systèmes de sécurité ont fonctionné, selon le patron de la filiale d’EDF responsable de la gestion du réseau haute tension en France : « Si l'on n'avait pas fait ces coupures sélectives, ce ne sont pas 10 millions de personnes qui auraient été privés de courant pendant une heure, mais 100 à 200 millions d'Européens qui se seraient retrouvés sans électricité pendant plusieurs heures et peut-être plusieurs jours pour certains". La mauvaise c’est que la stratégie actuelle nous conduit vers la multiplication de ce type d’incident. La Commission de régulation de l'énergie (CRE), chargée du bon fonctionnement des marchés de l'électricité et du gaz, l’instance européenne compétente, a d’ailleurs déclaré qu’elle allait demander "une enquête européenne afin de déterminer la chaîne des responsabilités". Mais ce qui est mis en cause par de nombreux acteurs, c’est la politique de libéralisation de l’énergie impulsée actuellement par Bruxelles.

La commission applique le credo libéral qui affirme que les entreprises privées sont plus efficaces que le secteur public et que la libre concurrence permettra d’établir un marché de l’énergie plus dynamique et compétitif, et cela au profit de tous : de l’industriel au consommateur individuel. Sans ce débat, il ne s’agit pas de discuter la réalité des bienfaits du marché régulateur, mais plutôt de savoir si la nature de l’énergie électrique lui permet de bénéficier de l’apport du marché.

D’abord une réflexion sur la nature de l’électricité, on peut la définir comme un flux de particules chargées au travers d’un milieu conducteur. Le terme important est : flux, cette particularité a des conséquences, une très grande mobilité : elle peut donc être produite très loin de son lieu d’utilisation, par contre il est quasiment impossible de la stocker. En simplifiant, la production doit donc être en adéquation permanente avec la consommation, sinon il y a rupture du flux.

Ensuite une évidence, l’électricité est une ressource vitale des sociétés modernes, elle nous procure de la lumière, active la quasi-totalité de nos appareils et de nos moyens de communication ; elle tellement présente dans notre mode de vie, que son absence est paralysante. D’ailleurs pendant une panne d’électricité, notre comportement est assez standard :




  • Première phase : panique,

  • Deuxième phase : constat d’impuissance,

  • Troisième phase : attente résignée du rétablissement du courant.


Cette dépendance énorme, qui est la nôtre, devrait à elle seule nous interroger sur le statut que l’on doit donner à l’électricité. Ces éléments établis, il apparaît que l’électricité n’est pas une commodité banale, comme l’eau, le gaz ou le pétrole. Aussi il serait opportun de se demander si la libéralisation de ce secteur peut être menée de la même manière que celle des autres énergies, ou même des services. Prenons le principe de l’équilibre entre l’offre et la demande qui est la base d’un marché harmonieux, il est aussi nécessaire à une grille d’approvisionnement électrique équilibré. Cependant, la demande en électricité peut varier très rapidement, les pics de consommation sont fréquents, nécessitant des fournisseurs qu’ils entretiennent des capacités excédentaires. Pour le marché un tel déséquilibre entraîne simplement une hausse des prix, pour l’énergie électrique cela provoque une rupture de service locale ou générale. On s’écarte donc de la logique d’équilibre. On voit donc la contradiction entre la logique du marché pour qui les excédants sont néfastes en termes de rentabilités et celle de la sécurité d’approvisionnement à qui ils sont nécessaires.

L’importance du sujet devrait interpeller les dirigeants de l’Union européenne. Ils ont là un sujet qui relève de leurs compétences qui pourraient permettre à l’institution de se relever. Au lieu de s’enfermer dans une logique de marché qui une approche minimaliste voire inefficace de l’union. En considérant le sujet dans son ensemble car la distribution de l’électricité n’est qu’un maillon d’un problème, qui comprend la stratégie d’indépendance énergétique, mais également l’environnement et l’innovation puisque la manière dont produira et consommera de l’électricité dans le futur fait également parti de ces enjeux.

Notamment en formulant des exigences sur les capacités de productions, dont la croissance ne suit plus celle de la consommation, par manque d’investissement. En engageant une réflexion, sur les modes de production, la place des différentes sources énergies fossiles, renouvelables, nucléaires. Une réflexion sur les modes de consommations. Il ne s’agit en aucun cas de réclamer un retour aux monopoles historiques, mais de mener une réflexion réelle et approfondie sur les enjeux stratégiques de la production et de la distribution d’électricité.