L'après Fidel Castro

Christian Nadeau, est l'auteur de « L'après Fidel Castro : les enjeux géopolitiques », disponible sur le site de l'Observatoire des Amériques. Il a accepté de répondre à nos questions concernant « l'après Castro ».Infoguerre – Quels sont les hommes capables de prendre les rênes de Cuba ?

Christian Nadeau - Les premiers auxquels il faut penser sont ceux qui exercent déjà le pouvoir dans l'île. Outre Raúl Castro, frère de Fidel Castro, ceux-ci comprennent José Ramón Balaguer Cabrera, Esteban Lazo Hernández, Carlos Lage Dávila et Felipe Pérez Roque. Ces ministres et membres du bureau politique cubain se partagent déjà le pouvoir depuis le début de la convalescence de Fidel Castro le 31 juillet 2006.

D'autres hauts-placés dans le Parti communiste cubain pourraient aussi arriver aux commandes. Tous ces dirigeants pourraient assumer le pouvoir sans trop de heurt advenant le départ de Fidel Castro. Ils pourraient aussi entamer une transition vers un système économique et/ou politique différent de celui établi par Fidel Castro.

Infoguerre - La Chine, le Brésil ou le Venezuela vont-ils peser sur l'avenir de l'île?

C. N. – La Chine et le Venezuela pèsent déjà sur la situation dans l'île. Les relations avec la Chine ont permis l'importation d'une flotte d'autobus moderne dont bénéficient les touristes mais aussi les Cubains. Un million de téléviseurs ont aussi été donnés par la Chine à Cuba. De plus, le gouvernement cubain procède actuellement au remplacement, dans chaque ménage, des vieux réfrigérateurs datant de l'époque soviétique et parfois même d'avant la Révolution. Ces réfrigérateurs sont remplacés par de nouveaux équipements modernes et peu énergivores importés de Chine. Des accords ont aussi été passés avec la Chine pour la prospection et l'exploitation pétrolière au large de Cuba. D'autres ententes ont été réalisées dans des domaines aussi variés que les sports, le tourisme et la bio pharmaceutique.

Ainsi, l'augmentation croissante des échanges entre Cuba et la Chine font de cette dernière un joueur dont devront tenir compte les successeurs de Fidel Castro. Pour leurs parts, les relations de Cuba avec le Venezuela amènent déjà à parler d'une alliance politique entre les deux pays ainsi que d'une politique étrangère commune. Le régime de Fidel Castro dépend en partie du pétrole vénézuélien pour répondre aux besoins énergétiques de son économie et de sa population. Pour sa part, le président du Venezuela, Hugo Chávez, bénéficie d'un capital politique auquel contribuent les contingents de professeurs et médecins cubains présents au Venezuela. En effet, les services rendus par ces Cubains visent la population pauvre du Venezuela qui, elle-même, constitue la base électorale de Chávez. Ainsi, les présidents des deux pays s'entraident mutuellement et contribuent ainsi l'un et l'autre à leur maintien au pouvoir.

De plus, les deux pays poursuivent activement une politique étrangère visant à récolter des appuis en Amérique du Sud et dans les Caraïbes. D'ailleurs, la Bolivie a rejoint leur projet d'intégration de la région après l'élection d'Evo Morales à la présidence au début de 2006. Ainsi, il est difficile d'imaginer les successeurs de Fidel Castro rompre radicalement les liens établis avec le Venezuela. En conséquence, toute transition sans heurt du pouvoir devra tenir compte des relations établies avec le Venezuela.

Infoguerre – Quelle est la marge de manœuvre des États-Unis et de l'Europe à Cuba? Comment peuvent-ils se préparer à "l'après Castro"?

C. N. – La marge de manœuvre des États-Unis à Cuba paraît de plus en plus restreinte. En effet, malgré plusieurs renforcements de l'embargo américain depuis 1992, Cuba a réussi à développer des liens avec les pays de sa région et d'autres régions du monde. Ainsi, l'augmentation des échanges économiques avec la Chine et le Venezuela réduisent d'autant les effets de l'embargo.

De plus, les appuis internationaux en faveur de Cuba isolent de plus en plus les États-Unis dans leur politique à l'égard de l'île. Dans leur stratégie pour orienter la succession de Fidel Castro, les États-Unis n'auraient pas intérêt à déstabiliser Cuba à cause de l'exode massif vers la Floride qu'une telle situation pourrait engendrer. En conséquence, ils devront tenir compte, d'une part, du Venezuela, avec qui ils entretiennent des relations conflictuelles, et d'autre part, de la Chine, avec qui les relations restent ambivalentes. En conclusion, alors qu'au cours des années 1990, Cuba n'avait dans le monde que des partenaires d'affaires, l'île dispose, depuis le nouveau millénaire, de deux alliés, le Venezuela et la Chine, dont les États-Unis doivent maintenant tenir compte.

Depuis les arrestations de dissidents en mars 2003, l'Union européennes a adopté une position critique face à la question des droits humains à Cuba. Par contre, depuis l'arrivée de José Luis Rodríguez Zapatero au pouvoir en Espagne en avril 2004, ce pays tente de faire fléchir la position de l'Union européenne en faveur de Cuba. Les critiques européennes n'ont pas empêché les dissidents de rester en prison alors que les touristes continuent à affluer d'Europe et que le commerce se poursuit avec Cuba.

En fait, l'influence de l'Europe à Cuba s'est réduite avec le resserrement des liens de l'île avec le Venezuela, la Chine et plusieurs autres pays du Sud. Cependant, l'Europe reste un partenaire commercial important pour Cuba et, en ce sens, pourrait avoir une influence sur les jeux de pouvoir qui succéderont à Fidel Castro.

Pour complément :
De Christian Nadeau :

1 - « L'après Fidel Castro : les enjeux géopolitiques ».
http://www.er.uqam.ca/nobel/ieim/IMG/pdf/chronique_nadeau_06_29.pdf

2 – « Étude socio-économique et politique : Cuba (1989 - 2005) ».
http://www.er.uqam.ca/nobel/ieim/IMG/pdf/dossier_cuba_05_03-2.pdf