Les failles dans le processus de remontée de l'information étatique


La circulation de l’information au sein des hiérarchies dans les organisations de taille critique - Ministère, Etat-Major, conseil d’administration - conditionne la prise d’une décision stratégique pour le groupe. En théorie, on imagine l’information circuler librement en interne. En réalité, elle traverse les filtres établis aux échelons de la chaîne de commandement qui sont autant de firewall idéologique, émotionnel, politique, personnel etc.


Au centre, se trouve le décideur : Ministre, Capitaine d’industrie… Il donne le cap à l’ensemble de la structure à partir des informations qui lui parviennent. Le premier cercle des conseillers est le rempart ultime à l’information, il matérialise le tableau de bord à partir duquel le décideur pilote. Les conseillers sous-traitent les problèmes mineurs afin de lui laisser le champ libre pour décider. Généralement recrutés parmi les proches du décideur, ils ont nécessairement un lien d’appartenance - familial, idéologique ou professionnel. Sur les bases de cette connivence s’établissent des rapports de confiance mutuelle qui permettent aux uns et aux autres de se porter caution dans le jugement d’une affaire. Véritables pare-chocs idéologiques, « le mur des conseillers » est l’obstacle le plus dur à franchir. Ces conseiller lissent les difficultés pour le décideur : ils organisent, synthétisent, classent les données par ordre de priorités. La difficulté de leur métier est de rester objectif tout en agissant en barrage filtrant. N’ayant pas toujours le temps ou la volonté de remplacer chaque information dans un contexte plus large, ni la volonté d’être le messager d’une mauvaise nouvelle en engageant leur responsabilité auprès de leur chef, certaines vérités ne sont pas toujours dîtes.

Mais la difficulté majeure, c’est que le groupe de commandement gravitant autour du décideur est généralement étranger à la structure administrée. Autrement dit, le haut de la pyramide hiérarchique est itinérant : il va et vient avec le décideur. Entre les conseillers et les premiers relais de la structure - Directeur de département, de succursale, de zone … - existe un gap professionnel énorme : les premiers sont des théoriciens qui pensent selon une grille de lecture politique et se positionnent en permanence par rapport à la situation dans laquelle se trouve leur chef, les autres sont des techniciens et des praticiens de très haut niveau représentant la mémoire de la structure, qui contrairement aux premiers, ont une longue carrière derrière eux et en sont  « récompensés » par une nomination à la tête d’une grande direction de l’organisation.

Entre ceux qui parviennent et ceux qui arrivent, les intérêts divergent. Les conseillers défendent les opérations rapportant un certain crédit politique au chef alors que les soucis des seconds seront d’ordre pratique et pétris du pragmatisme tiré de l’expérience et de la connaissance de l’environnement de chaque dossier. La connaissance, le temps, la mémoire et la réalité contre la rapidité, l’opportunité et les représentations.

Si l’information parvient néanmoins à passer de ceux qui savent à ceux qui administrent, il n’existe aucune garantie que celle-ci ne parvienne à celui qui décide. Souvent l’information est ralentie voire neutralisée. Les solutions restantes ne sont pas nombreuses : soit il faut caricaturer l’information c’est à dire la grossir démesurément afin d’être sûr qu’à la sortie de tous les filtres, il en reste quelque chose, soit plus efficacement, il faut lui faire endosser le masque de l’opportunité politique ou l’adapter à la stratégie personnelle du décideur.