Liban : la France devant ses contradictions

Puissance moyenne, la France conserve un capital important de représentativité sur la scène mondiale comme l’a confirmé le déroulement des négociations sur le cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah au Liban ainsi que le débat sur les modalités d’intervention de la FINUL renforcée. Il est dû essentiellement à son potentiel de projection militaire dans des délais relativement courts. Détail significatif : des représentants de l’US Army étudient en ce moment le savoir faire français dans ce domaine car ils ont des lacunes qu’ils souhaiteraient combler. Le niveau de professionnalisation et d’aptitude au combat des forces armées françaises est aussi un élément majeur à prendre en cause. Mais cette victoire tactique ne se traduit pas forcément par une clarification de l’avenir géostratégique de la France. Dans le passé, les interventions diplomatiques et militaires de la France n’ont pas abouti à des résultats convaincants. Le Liban est un cas exemplaire. L’influence traditionnelle que la France exerçait sur ce pays depuis la fin de la seconde guerre mondiale a été remise en cause par le jeu des rapports de force entre puissances, qu’elles soient occidentales comme les Etats-Unis ou régionales comme Israël, la Syrie ou l’Iran. La France n’a pourtant pas été absente dans les évènements tragiques qu’a connus le Liban durant cette période. Citons les plus significatifs : l’intervention de l’armée française pour aider Yasser Arafat et les troupes de l’OLP à quitter Beyrouth encerclée par l’armée israélienne ; la mort de dizaines de casques blancs tués par des snipers, l’attentat contre le Drakkar qui a coûté la vie à 58 parachutistes français ; les multiples blessés et mutilés lors de ces engagements , y compris dans le contingent de la Finul au début de son mandat ; la participation à de nombreuses opérations délicates de déminage. Cette main tendue aurait dû a minima entretenir un capital de sympathie pro-français au sein de la population libanaise. Si l’image de la France est restée présente dans le coeur de certains, son influence économique et culturelle n’a fait que s’étioler. Les capitaux des pays du Golfe ont joué un rôle important dans la reconstruction du pays après la guerre civile des années 1970/1980. Les élites libanaises regardent plus vers les Etats-Unis et les capitales du monde arabe que vers Paris. La pratique de l’anglais se sustitue désormais au français. Notre présence universitaire s’affaiblit au profit des universités anglo-saxonnes. Et rien ne semble pour l’instant inverser la tendance. La présence d’un contingent militaire français sur le terrain du Sud Liban ne suffira pas à contrebalancer les initiatives durables de la politique étrangère syrienne ou iranienne sur la zone. Le Liban est-il un révélateur du déficit de pensée sur la puissance depuis le départ du général de Gaulle ?

A la lecture, les discours ou les textes rédigés par les candidats annoncés ou supposés à l’élection présidentielle sont d’une transparence limpide sur leurs hésitations à définir la place de la France dans le monde. Le renforcement des puissances montantes, l’usure des puissances traditionnelles, la démultiplication des sources de conflit (conflits de basse intensité, terrorisme, rivalités autour des ressources vitales, affrontements ethniques, faillite d’Etat…) modifient les bases du fragile équilibre acquis à l’âge atomique. Depuis le 11 septembre 2001, l’irrationnel du faible au fort s’est imposé de facto dans la grille de lecture des conflits. Désormais, un dérapage est possible sans que la dissuasion nucléaire ne soit une condition suffisante pour l’empêcher. La menace irrationnelle symbolisée par le terrorisme islamique a changé les données de la sécurité nationale dans les démocraties. La lutte contre les opérations suicidaires d’Al Qaida ou de ses imitateurs implique de facto un contrôle accru des fractions de population susceptibles de fournir des volontaires à ce type d’activisme. Imperceptiblement, les sociétés les plus pacifistes du monde occidental commencent à muter dans leur mode fonctionnement. C’est ainsi que les autorités des Pays Bas viennent d’autoriser la fouille au corps lors des contrôles de police opérés sur la voie publique. De son côté, l’institution militaire suisse a commencé à réfléchir discrètement sur la préservation des valeurs culturelles du pays dans le cadre de la définition de la doctrine sur les opérations d’information. Ces signaux faibles ne sont pas anodins. La crispation d’une partie des populations européennes est un ressort dont il est difficile de mesurer la détente à moyen terme. Pour les politiques, l’exercice est très compliqué car ils sont obligés de composer avec le syndrome de Munich (la paix à tout prix). Ils savent qu’un discours de vérité fait perdre l’élection car c’est celle ou celui qui promet qui l’emporte. Pas celle ou celui qui annonce l’effort à accomplir pour atteindre tel ou tel objectif. Ce paradoxe est tellement ressenti qu’il existe aujourd’hui des colloques sur le thème « Faut-il mentir pour être élu ? ».

L’opinion publique rechigne à regarder les problèmes en face (risque de rupture dans le financement des retraites, difficultés à conserver le RMI, incapacité à intégrer les vagues d’immigration sauvage, augmentation de la fracture entre le Nord et le Sud).
Autrement dit, l’opinion publique s’enferme dans une vision manichéiste centrée sur l’intérêt individuel. Les conseillers des politiques ne cachent plus leur scepticisme en résumant le débat présidentiel à la formule suivante : les victoires électorales reposent sur des discours qui rassurent. Les dossiers qui conduisent aux défaites sont ceux qui portent sur la stratégie de puissance de la France car ils n’intéressent que très peu de monde et sont souvent dénoncés comme des tentatives de résurgence du nationalisme. Comment sortir de ce dilemme alors que nous sommes dans un monde instable dont la complexité des enjeux ne cesse de croître ?

Les pays comme Israël mesurent en temps réel les défaillances humaines au sommet de leur appareil d’Etat. Pour la première fois de son histoire, le Premier ministre israélien n’est pas en symbiose avec Tsahal, l’armée de l’Etat hébreu. Il n’a pas été éduqué dans sa culture du combat et du renseignement. Le résultat a été très démonstratif. A la différence de ses prédecesseurs, Ehud Olmert a été incapable d’être un chef de guerre. D’autres exemples du même type ont abouti aux mêmes erreurs. Avant d’être élu à la Maison Blanche, Bill Clinton n’avait aucune connaissance du monde du renseignement américain. Il s’en méfiait comme la peste. Lors de son premier mandat, il a gouverné en méprisant l’apport des services de renseignement américain. Cette cécité volontaire de la Présidence a rendu les Etats-Unis vulnérables. C’est une des causes du 11 septembre. L’opportunisme politique est la résultante de cette mauvaise préparation à la gouvernance. Le court terme l’emporte sur le moyen/long terme. Le carriérisme l’emporte sur la stratégie.

La France ne peut pas se permettre d’être écartelée entre une majorité électorale qui risque d’opter pour la fuite en avant et un contexte international qui exige un pilotage réaliste et combatif des forces vives de ce pays.