La Chine sera-t-elle notre pire cauchemar ?

L’accouplement monstrueux entre le système communiste totalitaire et le capitalisme mondialisé sans entraves : personne ne l’avait rêvé, mais la Chine l’a quand même fait !

Un nouveau mythe?

Parmi les nombreux ouvrages, articles, reportages publiés ces dernières années, bien peu évoquent l’envers du décors de la folle croissance chinoise : ce ne sont que paillettes, tops model, construction de barrages, de cités nouvelles, bref l’acheminement vers un avenir résolument radieux. Les media s’attachent à construire une image fascinante de la Chine pour les Européens. Une mythologie où ce pays deviendra la première puissance, le plus grand atelier et le plus vaste marché du monde…
Mais la réalité est plus prosaïque. C’est ce que tentent de décrire les deux auteurs. Il existe une Chine de l’envers, qui souffre, qui est exploitée sans vergogne. Une Chine sans systèmes éducatif et de soins dignes de ce nom, sans logements décents. La Chine de Mao (que nombre de Chinois regrettent), si elle n’était pas vraiment le régime idéal des libertés et de lendemains qui chantent imaginée par certains, sous l’influence d’une propagande lénifiante et d’un enthousiasme indiscutable d’une jeunesse occidentale en mal d’idoles, n’en était pas moins une terre où régnait un peu plus d’égalité et de respect des masses laborieuses.La réalité du miracle chinois : une industrie assise sur masse de travailleurs surexploités

L’esclavage moderne des ouvriers, socle de l’expansion chinoise
La compétitivité du pays repose sur la surexploitation de 200 millions de mindong, paysans migrants devenus ouvriers en ville. Sans permis de résidence citadin, sans droits (éducation, santé) qui y sont associés, ce sont des citoyens de 2nde zone. Les salaires des ouvriers dans l’industrie (10 à 30 fois moins qu’en Europe ou aux USA) n’ont pas bougé depuis 1980, à cause de l’afflux des migrants et de la volonté du PCC. Sans compter les horaires de travail fleurant bon le 19e siècle. Le chômage touche des dizaines de millions de personnes. La Chine connaît la mortalité la plus élevée du monde dans ses mines (6000 morts/an officiellement, 20000 plus certainement).

L’emploi. Un danger pour les autres nations et des ravages en Chine…
Non seulement l’expansion économique Chinoise ravage l’emploi dans les économies développés mais elle le fait aussi dans ceux en voie de développement (textile en Turquie, au Maghreb, Mexique et même au Vietnam et en Indonésie!). Si on parle de 13500 emplois perdus par an en France à causes des délocalisations (INSEE), il semble que l’on ne prenne guère en compte l’emploi potentiel perdu du à la sous-traitance effectuée en Chine pour un nombre croissant d’activités.
En fait, il n’existe pas de droit du travail et du commerce stable. En réalité, peu de sociétés occidentales y font réellement des profits (1/3 environ), mais c’est un secret de polichinelle… la Chine EST l’eldorado ultime pour les maniaques de la production à bas coût. Marx l’avait prouvé, la Chine l’a fait : avec son « armée de réserve prolétarienne » de 300 millions d’hommes et femmes, elle aura largement le temps de faire disparaître ce qui reste des industries européennes de base d’ici 2040…

Des inégalités insupportables et un système corrompu
La Chine connaît une explosion des inégalités. A la suite des restructurations des entreprises d’Etat, des dizaines de millions de travailleurs ont été licenciés et de nombreuses villes sont depuis sinistrées, au contraire des zones côtières en plein dynamisme. Par ailleurs, la différence de niveau de vie entre campagne et ville atteint un rapport de 1 à 6.
Depuis l’ouverture économique à la libéralisation, beaucoup de Chinois n’ont plus les moyens d’envoyer leur(s) enfant(s) dans des établissements scolaires décents ou de se faire soigner correctement. Le système éducatif est en voie de privatisation rampante, avec les effets que l’on connaît. L’ascenseur social, rêve des miséreux qui se sacrifient pour leurs enfants est rendu plus difficile par la misère paysanne, le désengagement de l’Etat (la part de l’éducation dans le budget est faible et en baisse). 50% des chinois résidants dans les villes sont dépourvus de couverture sociale…
La situation environnementale est dramatique. La pollution de l’air des villes extrêmement grave, et il y a peu de contrôles des rejets dans les eaux des usines (80% des rivières polluées), ce qui a des conséquences néfastes sur la santé des chinois et sur les rendements agricoles ou leur qualité.

Tout ceci se passe à la plus grande joie d’une caste de bureaucrates corrompus. La corruption qui est bâtie sur la misère du petit peuple (expropriation de paysans…), malgré le risque de finir d’une balle dans la buque, atteint en Chine une ampleur inégalée. Ceci entraîne des dizaines de milliers de révoltes par an, plus ou moins bien étouffées par les autorités. Les ouvriers et les paysans, naguère piliers de la Révolution, sont aujourd’hui méprisés et sacrifiés sur l’autel d’une croissance quantitative et bien peu qualitative. Pour beaucoup de chinois, la qualité de la vie s’est beaucoup dégradée depuis l’ère maoïste… Voila donc le système qui nous concurrence, pour la plus grande joie de certains libéraux qui s’appuient sur ce « modèle » pour pousser à se débarrasser des « pesanteurs » françaises afin d’être plus « compétitif »…

Le rôle du PCC: une stratégie de puissance pour la Chine

A défaut de continuer à appliquer son programme qui lui a valu la prise du pouvoir ( « Révolution, justice, égalité »), le régime a permis, encadré et organisé l’expansion chinoise que l’on connaît. Les dirigeants communistes ont fait le choix de développer l’atelier du monde plus que la productivité, à la différence du Japon d’après guerre.
La Chine vit en état de guerre. L’objet affiché est la puissance (et le maintien de l’oligarchie en place au pouvoir). Elle voit l’économie comme un champ de bataille. Le pays vit en tension permanente (il suffit de voir le ton des communiqués sur la production, les percées commerciales, etc.). Et à la différence de l’UE, la Chine est régie par une volonté unique.

La chine ne joue qu’en apparence le jeu du libre échange
Le PCC est ainsi la véritable « main invisible » du marché chinois. L’intervention du parti est déterminante à tous les niveaux :
-il maintien un esclavage moderne (législation du travail, migrations, permis de résidence…),
-il pèse sur la compétitivité et la croissance chinoise en contrôlant et manipulant le cours du yuan (sous évaluation de 30 à 40%),
-il intervient sur les ingrédients des prix agricoles et industriels (fixation du prix des matières premières et des céréales), donc le niveau de vie des paysans et des mindong…
-il ne lutte pas contre l’irrespect de la propriété et du droit des marques,
-il intervient dans la gestion des grandes entreprises (jamais totalement privée), ce qui est assez différent de la concurrence « franche et loyale » de l’UE,
-il organise l’inéquité des conditions de production entre industriels locaux et étrangers. Le soutien étatique (via des subventions) fournit aux entreprises chinoises des surcapacités d’investissement (rendues possibles par le non respect des règles prudentielles du système bancaire chinois),
-l’Etat chinois a à sa disposition plus de 850 milliards de dollars de réserves de devises, car il contrôle une partie des capitaux des banques…

La montée en puissance chinoise s’illustre par une organisation sur 2 fronts complémentaires : sous-traitance (fabrication de produits pour des firmes occidentales) et émergence de géants industriels partant à l’assaut des marchés mondiaux. Les délocalisations permettent des acquisitions de savoir-faire réutilisés pour la conquête des marchés.

Un système absurde et dangereux dont le capitalisme occidental est responsable
Ajoutons à cela la traditionnelle absence de liberté des individus et de la presse, la restriction de la circulation des personnes, l’interdiction des syndicats et des partis d’opposition, le contrôle étatique sur toutes les activités agricoles et industrielles… Bienvenue dans le meilleur des mondes libéral-communiste !
Bref, la gravité de la situation tient à ce que le libre-échangisme d’aujourd’hui prépare non seulement le retour de la Chine à sa position dans l’économie mondiale qu’elle tenait il y 200 ans, mais peut-être aussi son monopole international demain!
Mais ne nous trompons pas, c’est bien la dynamique économique occidentale qui est responsable de cette évolution: la logique du moindre coût à tout prix est devenu le critère unique du marché (notons le fabuleux progrès que représente un système économique qui fait parcourir 20000 km à 1 kg de tomates pour économiser 0,50 euros)...
Notre erreur (collective) est de croire que les chinois (ou les indiens) accepteront une répartition mondiale du travail basée sur la spécialisation entre conception (pour nous) et production (pour eux), entre activités à haute valeur ajoutée et activités industrielles polluantes… Encore une (grave) illusion ! La Chine travaille à développer ses champions dans tous les secteurs, son indépendance énergétique, bien loin des préoccupations de l’UE, résolument opposée à une politique industrielle.
La Chine veut et va maintenir une croissance élevée, fondée sur ses avantages évoqués, les outils dont disposent le PCC et l’affaiblissement de ses adversaires par le refus de la spécialisation (du fait de larges réserves de capital et de travail), la copie massive de technologies étrangères (avec notre aide bienveillante) et par une hausse croissante de la demande en matières premières et en énergie entraînant à terme une baisse de croissance dans les pays développés.

Que faire ?
Les auteurs donnent quelques idées :
-la préférence communautaire (1),
-faire de l’euro un outil pour favoriser les exportations européennes,
-réintégrer le coût du transport au coût du produit (pollution maritime, infrastructures que l’Etat offre),
-organiser un rééquilibrage des relations entre producteurs et distributeurs pour éviter la logique du toujours moins cher (ex. : par l’extension de la logique du prix unique),
-une TVA sociale (européenne ?) pour lutter contre les distorsions de concurrence.

Toutes mesures peu appréciées par les bureaucrates européens d’aujourd’hui.

(1) Voir à ce sujet le livre de Maurice Allais : « L’Europe en crise. Que Faire ? » Sous-titré : « Réponses à quelques questions. Pour une autre Europe ».

Pierre Boutaud

La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? de Philippe Cohen, Luc Richard (Editions Mille Et Une Nuits)