La puissance américaine en question : trois évènements pour une remise en cause

En cinq années, la nation américaine a subi trois évènements majeurs qui sont peut-être les signes d’un retournement de leur puissance. Ces trois actes, que sont le scandale Enron, les attentats du 11 septembre et le cyclone Katrina, sont éventuellement le point de départ de changements géopolitiques et géoéconomiques profonds dans les années à venir. A leur manière, sur trois échiquiers différents, ils sapent les fondements qui font la puissance américaine.

Le scandale Enron et la remise en cause interne du capitalisme américain.

Dans les années 1990, il y a un changement de paradigme dans le développement économique des grandes entreprises et dans les revenus des individus : les premières sont axées vers l’accroissement de la valeur pour l’actionnaire (augmentation des cours boursiers et du rendement de leur capital) tandis que les salariés sont incités à se créer un patrimoine en vue de leur retraite via l’achat d’actions (de leur entreprise ou autres) et moins grâce à leur salaire. Celui-ci voit sa part relative baisser, au profit d’un revenu financier (rendement des actions achetées), dans les revenus totaux reçu par l’individu. Or, ce système, du fait des problèmes systémiques que connaît la finance (cours erratiques, crises récurrentes, finance prédatrice/parasite au dépend d’une finance productive), fragilise le capitalisme américain, et donc le système mondial. La faillite d’Enron est révélatrice de ce fiasco. L’une des plus grandes entreprises américaines a disparu en quelques mois du fait des malversations de ses dirigeants et de leur cupidité. Mais qui en est sorti perdant ? Les salariés qui s’étaient créé un fonds retraite en action Enron. Comme le disait le président de Enron, Kenneth Lay, « je vivais le rêve américain ». Le plus surprenant est que le comité directeur d’Enron, certes se doutait que ce qu’il faisait était répréhensible, mais croyait surtout que la gestion mise en place (malversations visant à améliorer les résultats comptables de Enron ce qui faisait augmenter les cours de bourse donc le profit qu’ils pouvaient retirer de la vente de leurs stock-options) était devenu un nouveau mode de gestion des entreprises du XXIème siècle. La faillite Enron a été révélatrice d’un mode de gouvernance des entreprises parasite mais institutionnalisé. Le capitalisme américain s’en est relevé mais au prix d’une purge dans le système financier national : présidents écroués (ceux de Worldcom, la firme comptable Andersen, Merrill Lynch, NatWestBank, Crédit Suisse First Boston…), mise en place de la loi Sarbannes-Oxley… On peut se demander dans cette affaire si le capitalisme américain tourne rond. Ainsi, sous l’Administration Clinton (1992-2000), 85 % des entreprises américaines ne payaient pas, en toute légalité, d’impôts sur les profits, 10 % les payaient mais pas en totalité et 5 % les payaient complètement.

Les attaques du 11 septembre 2001.

Celles-ci montrent au Monde la fragilité des Etats-Unis du fait d’attentats directement réalisés sur leur sol et d’une déficience des services de renseignement US pour les prévenir. Mais le plus dramatique est l’utilisation de ces attaques et leurs conséquences géopolitiques. En effet, il y a eu dans l’Administration Bush un accaparement par un noyau idéologique du drame du 11 septembre dans le but de l’utiliser comme un détonateur à une nouvelle politique étrangère, avec le consentement via la désinformation de la population américaine. Or, il s’avère aujourd’hui que les déterminants avancés par l’Administration US pour attaquer l’Irak sont fallacieux, à la plus grande colère de la CIA qui a été utilisée par les faucons du Pentagone. Ainsi, ceux-ci avaient un triple objectif dans l’utilisation des attentats du 11/09 (1) : Un objectif idéologique avec le renversement de Saddam Hussein et l’établissement de la démocratie au Moyen-Orient. Un objectif géostratégique avec le contrôle des réserves pétrolières irakiennes et généralement du Moyen-orient (aux dépends des principaux consommateurs de brut de cette région : l’Europe, le Japon et la Chine) ainsi qu’une présence forte à côté d’un « état voyou », l’Iran. Un objectif économique avec la réservation des contrats liés à la reconstruction irakienne et à la mise en valeur des champs d’hydrocarbures aux entreprises américaines, les majors en tête. Or, aujourd’hui, la situation en Irak est une catastrophe et la question irakienne est permanente dans l’Administration Bush du fait de ne pas avoir pensé, de manière réaliste, l’après guerre, plus précisément le devenir politique du pays. De ce fait, les Américains sont vus comme des envahisseurs et ce sera sûrement à la prochaine Administration (démocrate ?) de régler la question.

Le cyclone Katrina et le réchauffement climatique.

Le cyclone Katrina, comme les intempéries en Virginie ces jours, induit deux états de fait que les Américains prennent frontalement : La gestion des secours et de la reconstruction ont été catastrophiques. Les secours étaient désorganisés, mal préparés (de nombreuses troupes de la garde nationale sont impliquées en Irak) et l’Administration Bush n’a pas été à la hauteur, en minorant d’entrée de jeu l’étendu des inondations. Pis, en analysant après coup, des spécialistes ont montré que le manque de moyens et d’investissements dans les infrastructures, et notamment les digues, cette dernière décennie est responsable pour une partie de l’ampleur de la catastrophe. Or, ce manque de moyens renvoie directement au nouveau paradigme lié au capitalisme financier (l’idéologie libérale dominante appelle à la réduction du rôle de l’Etat). Celui-ci est impossible de penser le long-terme et le collectif. La deuxième conséquence est le devoir de prise en compte, à présent, du réchauffement climatique. Alors que l’Administration Bush minorait le problème depuis son entrée en fonction, avec le refus de signer le protocole de Kyoto, Katrina est venu rappeler aux Etats-Unis que le mode de vie américain doit être revu. Déjà, Al Gore, le candidat démocrate à la présidentielle 2000 et ancien vice-président de Clinton, a fait du réchauffement climatique son cheval de bataille. Or, cette remise en cause induit une modification dans le système productif américain et a jeté le discrédit (une nouvelle fois) sur les majors pétrolières, principal soutien de Bush. Ce qui fait dire à nombre d’observateurs que les Etats-Unis sont peut être en train de mettre en place, de facto, un mode de production plus économe en énergie, c’est-à-dire plus « européen ».

AR

(1) Nous rappelons que nous n’accordons aucun crédit aux thèses sur les soi-disant complots concernant le 11/09 et liant les services secrets américains et israéliens.