La polémique naissante sur le targeting des ONG

On observe un nombre croissant d’ONG s’intéressant de près aux activités des entreprises. Travaillant parfois en collaboration avec ces dernières, les ONG utilisent des méthodes et des moyens de pression auprès des entreprises pour être écoutées. Un de ces moyens innovants, le targeting, précédemment utilisé par les organisations militaires, a pour but d’affaiblir ou d’anéantir la cible visée (projet, organisation, entreprise, parti politique, gouvernement en place). Une polémique est en train de naître sur la manière dont les ONG choisissent leurs cibles et conduisent ce que certains n’hésitent pas à qualifier de véritables attaques informationnelles. Si l’affaire Clearstream a mis l’accent sur les dangers de la désinformation orchestrée dans un cadre industriel et politicien, les dérapages informationnels de certaines ONG démontrent que le mythe du chevalier blanc est aussi fragile dans le monde des affaires que dans celui des associations à but humanitaire.

La différence entre le targeting militaire et civil
Le targeting est un mot anglais qui, au sens large, signifie transformer quelque chose en cible, afin d’agir sur elle. Ce mot est utilisé aussi bien par les militaires que par les politiques anglo-saxons. Pris dans son sens militaire, le targeting est un choix de cible pour une action d’attaque ou de destruction. L’art de la guerre contemporaine prend en compte la minimisation des dommages collatéraux comme une partie intégrante du targeting.
Pris dans son sens politique on parle de targeting comme une détermination d’un groupe d’objets, de régions ou une partie de population pour y mettre les ressources disponibles (argent, temps, hommes) dans le but de gagner une campagne électorale. Dans la majorité des cas, ces campagnes optent pour une allocation des ressources disproportionnelle, afin d’assurer le meilleur résultat global.
Dans les deux cas l’action de targeting comprend :
• choix d’une cible,
• un objectif,
• choix de mode d’action,
• recherche des moyens et leur allocation,
• des effets secondaires et/ou des dommages collatéraux
Ces deux types de targeting sont, néanmoins, différents dans leurs intentions initiales : le targeting militaire vise à détruire la cible, alors que le targeting politique, plus complexe, met en œuvre contre sa cible autant d’actions positives que négatives afin d’obtenir le meilleur résultat final possible.
Militantes, agressives, déterminées, les interventions des ONG fonctionnent de plus en plus dans la logique de « targeting ». Elles choisissent une cible (un pays, une entreprise, une personne, etc.), et l’attaque sous un prétexte de nature idéologique ou humaniste pour lui faire subir le plus de dégât possible, jusqu’à ce que la cible capitule. Malheureusement, dans leur lutte pour les droits de l’homme ou pour l’amélioration d’environnement les ONG n’ont pas toujours le temps (ou la volonté ?) d’étudier les dommages collatéraux possibles et d’essayer de les éviter.

Les actions constructives et destructives :
Chaque ONG a sa propre mission, problématique, et donc objectif inscrit dans leur charte. Plusieurs actions sont possibles pour répondre à ses objectifs. Deux types d’actions sont possibles : les actions constructives et les actions destructives.
Les actions constructives sont des actions qui ne remettent pas en jeu la bonne volonté des entreprises, des institutions politiques ou de la population. Ce type d’action peut être interprété comme une aide apportée autant au niveau de l’information, du matériel, etc. Parmi les cas d’actions constructives, on peut citer la reforestation, la sensibilisation à la consommation responsable, la protection des espèces rares. Ce type d’action cherche à atteindre un large public, comme la population d’un pays, un ensemble d’acteurs économiques sur une zone géographique donnée, etc.
Les actions destructives sont, à l’opposé, des actions qui ciblent des populations plus restreintes. Les actions destructives s’articulent autour des opérations d’agit prop (cf les coups d’éclat d’Act Up), les attaques en justice, les campagnes d’opinion relayées par les médias. A titre d’exemple, WWF diffuse sur son site web un comparatif de voiture (« Top Ten ») d’un point de vue environnemental, à savoir quel type de voiture consomme le moins, et pollue le moins. Ce type d’informations a pour objectif d’apporter de l’information aux utilisateurs qui souhaitent rentrer dans une logique écologique et/ou économique. « Sortir du nucléaire » (SDN) diffuse sur son site web un document classé « secret défense » confidentiel concernant la vulnérabilité d’EPR face à un crash suicide. Ce type d’information permet à la population d’avoir un avis un peu plus éclairé sur ce type d’infrastructure et des failles de l’utilisation actuelle d’énergie nucléaire.

Choix des cibles :
Les ONG définissent une cartographie des acteurs identifiés sur une affaire dont la résonance est potentiellement porteuse (exemple : marée noire, déforestation, énergie nucléaire). Ces cibles correspondent à des critères de rentabilité propres aux ONG : capacité de mobilisation des sympathisants, dons recueillis par la dynamique de soutien à la cause, niveau de retombés médiatiques dans la presse nationale et internationale. Les ONG ayant des ressources financières limitées, elles sont obligées de cibler leurs actions et d’effectuer des choix dans les divers projets possibles. Dans certaines conditions, le choix d’un projet plutôt qu’un autre peut aussi être considéré comme une action de targeting. On peut prendre par exemple le cas d’une création de parc naturel qui peut s’effectuer par exemple dans plusieurs pays et qui peut avoir des effets bénéfiques pour le pays choisi (augmentation du tourisme, protection des espèces animales).

Choix du mode d’action
Les ONG choisissent leur mode d’action selon différents critères tels que leurs objectifs, leurs moyens, leurs partenaires, leurs adversaires, leur politique intérieurs, etc. Elles sont confrontées aux questions suivantes :
• Pourquoi effectuer ce type d’action ?
• Sur quel élément ?
• Avec qui ?
• Avec quel moyen ?
• Contre qui ?

Les ONG privilégient les campagnes de sensibilisation résultant des stratégies conçues dans le cadre du targeting. Le but d’une campagne de sensibilisation est de prévenir des éventuels dommages provoqués par un sujet de société comme la pollution, les atteintes à l’environnement ou aux droits de l’homme, et de démontrer la nécessité d’intervenir en amont sur un tel dossier. Pour cela les ONG s’adressent à tous les types de public :
- Acteurs politiques : le gouvernement, les élus, les collectivités, les syndicats, etc.
- Acteurs institutionnels : les institutions internationales, régionales, les autres associations, etc.
- Acteurs économiques : les entreprises
- Grand public : les citoyens.
Les campagnes de sensibilisation peuvent prendre des formes différentes :
- Campagne d’information, y compris médiatiques
- Manifestations,
- Lobbying (surtout auprès les acteurs politiques et institutionnels),
- Partenariats,
- Publications de révélations ou de recherches,
- Conférences, débats.

Le networking des ONG
Les ONG utilisent le Networking (créations des réseaux) pour amplifier leurs actions, bénéficiant ainsi d’une meilleure visibilité, et assurant des résultats plus importants. Nous pouvons distinguer plusieurs types de réseaux d’ONG. Tout d’abord, les réseaux peuvent fonctionner de manière formelle ou informelle. Un réseau formel a lui-même un statut juridique d’association, ses objectifs sont déterminés, ainsi que ses règles d’adhésion. Une fois membre, l’ONG relie dans une certaine mesure son nom, ses actions et ses objectifs avec ceux du réseau. En revanche, un réseau informel se crée spontanément sous une forme de coalition ou un groupe de pression entre plusieurs ONG, visant les mêmes objectifs. Tel réseau fonctionne sans définition juridique jusqu’à ce que les objectifs de ses participants soient alignés. Deuxièmement, nous pouvons parler des réseaux permanents et de ceux créés dans le cadre d’un projet dont l’activité est limitée par sa durée. Le SDN est un parfait exemple d’un réseau formel et permanent. Il fonctionne sous la forme juridique d’association et regroupe à ce jour 719 associations. Les adhérents à SDN sont des associations très disparates. On y retrouve des groupes très importants tels que Greenpeace ou WWF, un parti politique (les Verts) mais aussi beaucoup de petites associations régionales. Il n’est donc pas facile pour SDN, menant ses actions, de consulter l’avis de chaque membre, même s’ils essaient d’assurer la communication au sein du réseau. Il existe une possibilité pour un membre de SDN de participer à la détermination de la politique du réseau en rentrant dans le Comité d’Administration. À ce jour, aucune demande dans ce sens n’a été effectuée par des associations très importantes, peut-être que ces adhérents portent un moindre intérêt à influencer les prises de décisions des dirigeants de SDN.
Certaines ONG internationales ont aussi un statut de conseillers auprès de l’ONU, de ses agences spécialisés, ainsi qu’auprès de la Commission Européenne. Par exemple, le Conseil Economique et Social de l’ONU à lui tout seul compte à ce jour environ 2500 associations avec un statut de consultant. Les ONG peuvent également jouer le rôle de conseiller auprès d’entreprise.

Une légitimité induite par l’action de contrôle
Les ONG environnementales mènent souvent des actions de contrôle. La première concerne le contrôle du respect des normes de sécurité. La seconde action concerne le contrôle de certains pays afin de vérifier si leurs engagements dans les accords internationaux est bien suivi. Ainsi, en mars 2005, suite à l’incendie survenu dans la centrale nucléaire du Blayais, l’association Tchernoblaye (membre de SDN) publie un document mettant en lumière les défaillances du nucléaire face au risque incendie. Dans ce document ses auteurs montrent que les centrales nucléaires françaises ne répondent pas aux normes de sécurité incendie, que les équipes d’intervention sur incendie dans les centrales nucléaires sont souvent défaillantes en particulier concernant la rapidité d’intervention, ainsi qu’EDF n’a pas respecté d’importantes directives édictées par l’Autorité de sûreté nucléaire concernant la formation des personnels et la remise en conformité de clapets coupe-feu défaillants.
Les actions de blocage des convois des déchets nucléaires ont été beaucoup pratiquées par SDN et autres ONG environnementales. En septembre 2003, Stéphane Lhomme, président de l'association anti-nucléaire Tchernoblaye et porte-parole national de SDN, s’est mis lui-même sur la voie ferrée pour bloquer un train transportant des déchets nucléaires de la centrale du Blayais (Gironde). Il a lancé un appel à tous les maires de l'agglomération, au Conseil général et au préfet, les invitant à se prononcer "pour l'interdiction du passage des trains de déchets par Bordeaux." Selon lui le danger est réel en raison "des radiations mais aussi des risques d'attentat sur un train qui n'est même pas surveillé ni gardé." (http://tchernoblaye.free.fr).
Les poursuites en justice représentent un moyen d’attaquer les entreprises enfreignant la loi, lorsque des preuves sont en possession des ONG. En juillet 2005, SDN a attaqué en justice les centrales de Civaux, du Blayais, de Saint-Laurent et de Gravelines pour l’enfreinte des arrêtés qui fixent les niveaux de rejets dans les rivières à cause de la sècheresse. SDN a qualifié la situation de « pré accidentelle » (Nouvelle Observateur 21 juillet 2005). Une autre association du Limousin Sources et Rivières qui ne fait pas partie de SDN a poursuivi en justice une filiale du groupe Areva pour "pollution, abandon ou dépôt de déchets contenant des substances radioactives" pendant et après cinquante ans d'exploitation de mines uranifères (SRL).
Les campagnes de réparation sont dans une optique beaucoup plus urgente que les précédentes campagnes. Elles nécessitent souvent des projets longs et coûteux à mettre en place. Parmi ses dernières, on retrouve des actions de nettoyage, de reforestation ou encore de réhabilitation.
Ces campagnes peuvent être utilisées comme arguments, sources et justification de futures actions de lobbying auprès par exemple des politiques locales ou de targeting contre les entreprises. A la suite de la campagne menée par des ONG anglo-saxonnes contre Total en Birmanie, la firme Total se voit encore interdire l’accès à certaines institutions internationales.

Les risques de dérapage des ONG
Les attaques par l’information contre les entreprises se situent de plus en plus sur le terrain de la polémique fondée sur des faits vérifiables et fondés. Les attaques sont menées le plus souvent à partir la société civile (ONG, d’associations, mouvements de nature subversive, lobbies divers). Le problème est qu’elles ne sont pas toujours légitimes et peuvent donner lieu à des contre vérités, voire des manipulations. Le cas d’école symbolisé par l’attaque de Greenpeace contre Shell aurait dû nous amener à réfléchir plus tôt sur la dimension parfois inquiétante qu’est en train de prendre les opérations de targeting déclenchées par certaines ONG.
La campagne de Greenpeace contre la société Shell en 1995 a été l’illustration d’un dérapage commis par une ONG qui a utilisé une argumentation scientifique inexacte contre la société Shell. Victorieuse dans un premier temps, l’attaque de Greenpeace contre Shell se retourne contre l’association écologiste, prise à défaut par manque d’arguments scientifiques crédibles.
La société Shell UK disposait à l’époque d’une plate-forme pétrolière inexploitable (Brent Spar) en mer du nord. Pour l’éliminer, la société anglaise décide de l’envoyer par le fond. En mai 1995 : Greenpeace dénonce le danger que pourrait représenter le coulage de la plate-forme pétrolière, affirmant qu’elle contient 5000 tonnes de pétrole, quantité dangereuse pour les fonds marins. Shell dément ces accusations, affirmant que la station ne représente aucun danger pour l’environnement : le pétrole a été déversé en 1991 dans un pétrolier lors de sa désaffection. La plate-forme ne contient plus que 130 tonnes de pétrole sans conséquences écologiques. Pour appuyer sa position, Shell s’assure du soutien de sommités scientifiques mandatées par le Gouvernement britannique et favorables au sabordage. John Major se prononce également pour le sabordage, plus sûr et plus économique.
• Greenpeace passe alors à l’attaque médiatique :
- dénonciation du caractère partisan des scientifiques mandatés par le Gouvernement : manque d’objectivité et manque d’assurance dans leurs diagnostics ;
- création de l’événement : abordage de la plate-forme filmée et diffusée dans le monde ;
- mise en exergue du danger de sabordage, rapport scientifique à l’appui : cela créerait une catastrophe écologique sans précédent ;
- appel au boycott dans les autres pays européens. Greenpeace joue sur les contradictions européennes, c’est-à-dire sur la position particulière de l’Angleterre dans la Communauté et la perception qu’en ont les autres pays : l’objectif est de ramener le mauvais élève à la raison. L’étendue des réactions en Allemagne a conduit le Chancelier Kohl à demander à John Major de renoncer au sabordage de la plate-forme.
Le 20 juin 1995, devant l’ampleur des protestations européennes (certains agitateurs iront jusqu’à incendier des stations d’essence de Shell en Allemagne), Shell UK renonce au sabordage de Brent-Spar pour ne pas mettre en péril son image à long terme : Shell-Allemagne perd déjà 35 millions de francs par jour. La société britannique accepte de remorquer la plate-forme dans les eaux norvégiennes pour être démantelée. Greenpeace a gagné. L’attitude défensive de Shell consistant à affirmer sans cesse la fiabilité de l’opération n’a pas suffi à contrer l’attaque de l’ONG écologiste. Cette impuissance est également liée à un décalage des terrains d’action. Shell agit sur le terrain objectif, tangible, factuel et scientifique. Greenpeace agit sur le terrain subjectif, subversif, pseudo-scientifique, des représentations et des contradictions. La propagande déstabilisatrice de Greenpeace oblige Shell à étoffer son discours d’arguments dans une stratégie de justification par l’objectivité, dépensant ainsi une grande énergie pour un résultat médiocre.
Shell demanda alors au bureau Veritas d’expertiser les produits contenus dans la plate-forme. Trente trois spécialistes rendent un rapport unanime qui conclut que « couler Brent Spar s’avérait sans danger. ». Par la suite, le responsable de Greenpeace-UK, Peter Melchett adressa une lettre d’excuse au PDG de Shell, Christopher Fay :
« Désolé, nos calculs étaient inexacts. [...] Je vous présente mes excuses pour cette erreur. [Les prélèvements ont été effectués] dans le conduit menant aux réservoirs de stockage de la plate-forme et non dans les réservoirs eux-mêmes ... ».
Ce dérapage de Greenpeace n’est malheureusement pas un cas isolé. De 1995 à 2006, la configuration des ONG a considérablement évolué. La proportion des ONG animée par des humanistes ou des idéalistes s’est réduite au profit des ONG professionnelles qui ont recherché une certaine taille critique des ONG. Le pouvoir de ces dernières est important et a gagné en efficacité dans les stratégies d’influence menées sur le plan international auprès des autorités politiques et des directions d’entreprise. Aujourd’hui ces ONG subissent, comme tous organismes et acteurs à l’échelle mondiale, les concepts du politiquement correct. De plus, les dirigeants de ces ONG sortent souvent des cercles d’affaires ou de la politique. Des affinités parfois fortes se nouent entre des personnalités dirigeantes des ONG et des représentants de l’entreprise ou d’institutions politiques. Ces relations peuvent jouer ensuite sur la gestion de carrières personnelles dans la mesure où ces personnalités deviennent des figures emblématiques du politiquement correct. Les entreprises recherchent leur appui ou leur neutralité étant donné l’écho de leur image médiatique.

L’analyse du targeting de Greenpeace dans l’affaire Clémenceau
L’affaire du Clémenceau a démontré la manière dont une ONG comme Greenpeace dans son affrontement historique avec l’Etat français peut focaliser l’attention du public, sur un aspect du problème en faisant abstraction des autres données essentielles, en faisant notamment une analyse comparée du désamiantage des navires de guerre par pays. Mais le targeting de Greenpeace peut répondre à d’autres besoins que la dénonciation d’un scandale.
Des besoins de financements, de médiatisation et de développement.
Greenpeace assure son financement essentiellement par les dons des particuliers adhérents suite à de fortes opérations de médiatisation dans 32 pays du monde entier
Les sources de financement historiques de l’association sont majoritairement issues du monde anglo-saxon et sont en baisse. De plus, Greenpeace est attaqué sur son mode de gestion aux US permettant les donations par les entreprises (Public Interest Watch, ONG créée en 2002 pour surveiller les dons aux associations – affaire Frans Kotte)
Le chiffre d’affaire mondial de Greenpeace est en baisse depuis 2003 (site Greenpeace Annual Report). Enfin, n’omettons pas le fait que Greenpeace met en place une stratégie de développement en Inde (site Greenpeace Annual Report) et en Asie du Sud Est.
Dans la stratégie médiatique de Greenpeace/ Monde, la France est une proie médiatique facile. Pour les raisons suivantes :
Les antécédents historiques du conflit France / Greenpeace :
• le Rainbow Warrior
• la reprise des essais nucléaires en 1996.
Des facteurs politiques :
• le gouvernement français est plus susceptible de plier face aux pressions internationales de Greenpeace à cause de son application quasi automatique du principe de précaution (conséquences du scandale du sang contaminé et du nuage de Tchernobyl).
• La France a une faible culture de lobbying et une pratique purement politicienne de la guerre de l’information (cf affaire Clearstream). Elle est donc plus exposée que d’autres pays comme les Etats-Unis qui coulent leurs navires de guerre au large de leurs côtes ou comme la Russie qui laisse pourrir ces anciens sous marins nucléaires sur les côtes de la mer de Mourmansk.
Des justifications sociétales :
• L’existence d’une caisse de résonance forte suite au scandale du désamiantage de l’université de Jussieu.
• Une opinion publique informée et sensibilisée aux problèmes de l’amiante.
• Une forte hausse des adhérents français à GreenPeace et donc la nécessité d’occuper le terrain médiatique pour poursuivre le développement de Greenpeace France (45 permanents au sièges / 80 000 adhérents / 17% de hausses de coûts de campagnes)

La médiatisation de l’affaire du Clemenceau est une opportunité pour Greenpeace d’avoir un impact médiatique maximum sur ses zones de développement de ses activités. Selon les principes du targeting, le choix des cibles s’est fait selon une logique symbolique et médiatique au détriment des autres aspects du débat.
Ainsi dans le cas de la campagne contre le sabordage de la plateforme pétrolière de Shell en mer du nord, l’évolution de l’affaire a montré que l’organisation avait choisi sa cible non pas par rapport a une problématique purement environnementale, démentie par les études scientifiques postérieures, mais par rapport à la visibilité de Shell et sa proximité vis à vis des pays comptant le plus de contributeurs à l’organisation (Pays Bas, Grande Bretagne, Allemagne) et ayant une forte sensibilité environnementale. Dans le cas du Clémenceau, il s’agit d’une double dimension symbolique : le navire est un ancien fleuron de la marine de guerre française, caractérisé par sa taille et son histoire, et la France entretient un long passif avec l’ONG. De plus, l’action de l’ONG est renforcée par le fait que la France soit le pays mettant le plus en avant le respect des droits de l’homme et de la nature (signature des accords de Kyoto).
Le targeting ne permet pas de construire une réflexion de fond sur un problème donné. Il agit au coup par coup. La rapidité du coup médiatique ne s’accommode pas avec le temps long que demande l’élaboration d’une véritable solution. Si dans l’affaire du Clémenceau, Greenpeace critique la politique du gouvernement français, il ne cherche pas à proposer de véritables solutions, ou se borne à proposer des solutions irréalisables de façon à faire durer la crise, et maintenir la pression médiatique. En effet toute approche constructive aurait pour effet de réduire la dimension polémique et spectaculaire du conflit, rendant l’exploitation médiatique incertaine.
En outre le targeting privilégie les dossiers à forte dimension émotionnelle : étrangement, beaucoup des sujets de Greenpeace ont un lien avec les océans et l’emblème de l’organisation est un bateau. De même, certains sujets peuvent ne plus être à la mode, ainsi il n’y a jamais eu autant de bébés phoques, ancienne star de Greenpeace, tués cette année, dans le silence le plus total.
En outre cette pratique du targeting a contraint Greenpeace à adopter des comportements en contradiction avec son éthique supposée mais jamais affichée. Ainsi le réalisateur Islandais Magnus Gudmundsson a accusé Greenpeace d’avoir tourné plusieurs prises de vue de tortures d’animaux pour sa campagne médiatique, se rendant ainsi coupable d’actes de barbarie sur des animaux et d’être complice de chasseurs de baleines et de kangourous. Ces dérives sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont le plus souvent passées sous silence par les médias.

Qui contrôle les actions de targeting des ONG ?
Greenpeace n’est pas la seule ONG à susciter des interrogations à propos du targeting. Le fait qu’Amnesty International se soit attaquée au travail forcé en Birmanie et ne daigne pas s’intéresser au travail forcé des détenus chinois utilisés sur des chantiers en Afrique (enquête menée par des étudiants de la Promotion 9 de l’Ecole de Guerre Economique) en dit long sur la capacité des ONG à s’amender de la pesanteur de certaines contraintes diplomatiques. Le siège d’Amnesty International est à Londres et le Foreign Office n’apprécierait guère ce genre d’ingérence dans les relations commerciales entre la Chine et la Grande Bretagne. Ce pilotage à vue souvent très fluctuant des ONG dans le domaine du targeting nous amène à poser deux questions élémentaires :
Comment les entreprises peuvent-elles se protéger lorsque les attaques menées par des ONG spécialisées dans le targeting et qui ne sont pas motivées par des faits avérés ?
Comment peut-on contrôler les dérives éventuelles ?
Il existe deux types d’acteurs qui ont un rôle prépondérant dans la mutation de l’économie de marché, les brokers et les ONG. Depuis l’affaire Enron et la loi Sarbanes Oxley, les brokers sont les premiers à réclamer aux entreprises plus de transparence et une moralisation des affaires. A l’autre extrémité de l’échiquier, les ONG mettent en avant les principes de développement durable et de commerce équitable et d’investissement socialement responsable. Les brokers et les ONG se rejoignent sur un point : ils échappent aujourd’hui à toute notation ou forme de contrôle. Cette situation laisse la porte ouverte à toutes les dérives.

Ce document a été réalisé à partir de plusieurs sources :
• Un mini mémoire d’étudiants du mastère Marketing Management de l’ESSEC réalisé dans le cadre du cours d’intelligence économique dispensé par Christian Harbulot,
• Un exercice donné sur l’affaire du Clémenceau à la MSIE1 de la formation continue de l’Ecole de Guerre Economique,
• d’un document d’Intelco/DCI rédigé par Pascal Jacques Gustave en 1995.